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Points de vue

Vincent Geisser : « Ennahda aurait dû faire preuve de patience démocratique »

Rédigé par Fouad Bahri | Lundi 25 Février 2013 à 00:00

           

La démission du Premier ministre Hamadi Jebali dans un contexte de crise politique majeur en Tunisie, après l’assassinat de l’opposant Chokri Belaïd, illustre les divergences internes au sein d’Ennahda. Pour Vincent Geisser, chercheur à l'Institut français du Proche-Orient (IFPO), le parti islamiste a manqué de pragmatisme et de « patience démocratique » face à la colère des Tunisiens.



Vincent Geisser : « Ennahda aurait dû faire preuve de patience démocratique »

La démission de Jebali marque-t-elle l’échec politique d’Ennahda ?

Vincent Geisser : Oui, c’est un échec d’Ennahda dans sa capacité à se normaliser, à apparaître comme un « parti comme les autres », à imposer une certaine forme de crédibilité gouvernementale. Mais sans excuser les erreurs d’Ennahda, il faut bien reconnaître que le parti a dû affronter l’anti-islamisme primaire de certaines couches et groupes de la société tunisienne qui ne lui ont pas fait de cadeaux. En ce sens, je dirais que l’échec est collectif et qu’il traduit bien une forme d’irresponsabilité de l’ensemble des acteurs politiques tunisiens.
Mais il faut ici apporter des nuances à ce constat pessimiste : quelle que soit la majorité gouvernementale, toute transition politique est difficile car le pays vivait sous Ben Ali dans le mythe de la performance sociale et économique qui, aujourd’hui, s’effondre. De ce point de vue, la démocratie s’apparente à une « opération vérité » qui est parfois difficile à porter pour les gouvernants comme pour les gouvernés.

La ligne idéologique du parti a donc triomphé du pragmatisme de Jebali…

Vincent Geisser : Il est clair que c’est la tendance conservatrice et identitaire qui l’a emporté sur le clan des pragmatiques représenté par le Premier ministre Jebali. Dans le même temps, le parti Ennahda se revendique non pas d’une légitimité « purement islamiste » mais d’une légitimité démocratique en avançant l’argument suivant : nous avons été élus par le peuple et nous resterons au pouvoir, au moins jusqu’aux prochaines élections. C’est un argument logique du point de vue démocratique mais qui tend à faire fi du contexte de crise politique profonde. C’est du démocratisme radical qui tend parfois à l’aveuglement.

La proposition de Jebali de former un gouvernement apolitique représentait d’une certaine manière aussi un désaveu du résultat des urnes…

Vincent Geisser : C’est justement là le problème majeur. On demande au parti Ennahda de se retirer du pouvoir au nom de la défense de la démocratie mais en niant la légitimité démocratique donnée par les urnes. Le risque est de discréditer le « sens démocratique » des citoyens ordinaires et de brouiller les frontières entre les différentes formes de légitimité.
Dans le même temps, il faut reconnaître qu’un gouvernement composé de personnalités indépendantes aurait été un moyen de calmer les esprits et les passions. Ennahda a voulu aller trop vite en besogne en sous-estimant les résistances de certains groupes sociaux et les pesanteurs de l’ancien système autoritaire.
Je pense qu’Ennahda aurait dû faire preuve de « patience démocratique » et accepter les compromis qui lui étaient suggérés par son Premier ministre Jebali.

L'hypothèse que les derniers évènements politiques, dont l'assassinat de Chokri Belaïd, s'inscrivent dans une volonté de déstabilisation du pouvoir, notamment par des anciens acteurs du système Ben Ali, semble-t-elle sérieuse ou exagérée ?

Vincent Geisser : Toutes les hypothèses sont ouvertes. De l’acte d’un extrémiste isolé à l’action d’un service sécuritaire en passant par une opération préparée par un groupuscule radical. Personnellement, je ne crois pas à un assassinat décidé par les dirigeants du parti Ennahda car ils n’avaient aucun intérêt à supprimer Chokri Belaïd, qui était, certes, un adversaire redoutable, mais pas forcément dangereux pour leur propre pouvoir. Au contraire, ils avaient tout à y perdre.
La seule chose que l’on peut dire, c’est que c’est un crime politique qui a été minutieusement préparé et qui est l’œuvre de professionnels.





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