« Chère Maman, je ne sais pas par où commencer. La vie n'est pas comme on nous l'a raconté. Je me suis usé, j'ai beaucoup souffert […]. Le travail, la maison, je sais que c'est pour les Allemands. » Souffrances, humiliations, galères, misère, tel est le lot des immigrés clandestins. L'Europe est belle, mais pas pour ceux qui n'ont pas de papiers. Pire, l'Europe a ses pervers, qui profitant de la situation désespérée des clandestins, leur demandent « quelques services » en échange d'euros qui suffisent à peine à remplir l'estomac pour deux ou trois jours.
Désillusion. Parvenus en Europe pour tenter de gagner leur vie dignement et envoyer de l'argent à la famille restée au pays, Marius, Allal, Abdallah, Igor, Hamidou, Stefan, Kelly, Karim… ont vite déchanté. « Ici, en Espagne, ils font bosser que les femmes, les Polonaises, les Roumaines, les Chinoises. Les Marocains, on nous traite comme de la merde. » Sans papiers, pas de travail. Sans travail, pas d'argent. Sans argent, ces clandestins venus du Maghreb, de Roumanie, du Kurdistan vont d'abri de fortune en centre d'hébergement, de squat à la déambulation nocturne. Que reste-t-il pour survivre ? Le vol à l'étalage pour manger, le deal ou la prostitution occasionnelle.
Espagne. Deux « grands » essaient de prévenir Allal, 16 ans, ils lui conseillent de ne pas rester dans ce quartier mal famé, où tournent les voitures louches. « Si tu restes naïf comme ça, tu risques de te faire expulser » ; devant l'insistance d'Allal, ils lui expliquent les combines : « Les pédés, il y en a partout. Tu vas à la gare, tu te fais un ou deux pédés, et tu demandes, 90, 60, 50 euros ». Et c'est ainsi qu'Allal apprend les rudiments de l'espagnol en sachant répondre à la question : « Combien ? » « 90 euros. »
Un autre « grand » de 5 ans son aîné lui raconte : « J'ai essayé de survivre en respectant la loi… J'ai cherché à garer les voitures pour gagner de l'argent… Chaque week-end, j'ai satisfait leur plaisir. Mais ça suffit à peine pour survivre. C'est peut-être la volonté de Dieu. […] J'ai aucun droit ici. Je pourrai pas continuer longtemps comme ça ici. Quand je suis arrivé ici j'avais 14 ans. Ici personne ne t'aidera. Dealer, tout le monde le fait. Ça fait 8 ans que je vis sous le pont. Va en Hollande. »
Espagne. Deux « grands » essaient de prévenir Allal, 16 ans, ils lui conseillent de ne pas rester dans ce quartier mal famé, où tournent les voitures louches. « Si tu restes naïf comme ça, tu risques de te faire expulser » ; devant l'insistance d'Allal, ils lui expliquent les combines : « Les pédés, il y en a partout. Tu vas à la gare, tu te fais un ou deux pédés, et tu demandes, 90, 60, 50 euros ». Et c'est ainsi qu'Allal apprend les rudiments de l'espagnol en sachant répondre à la question : « Combien ? » « 90 euros. »
Un autre « grand » de 5 ans son aîné lui raconte : « J'ai essayé de survivre en respectant la loi… J'ai cherché à garer les voitures pour gagner de l'argent… Chaque week-end, j'ai satisfait leur plaisir. Mais ça suffit à peine pour survivre. C'est peut-être la volonté de Dieu. […] J'ai aucun droit ici. Je pourrai pas continuer longtemps comme ça ici. Quand je suis arrivé ici j'avais 14 ans. Ici personne ne t'aidera. Dealer, tout le monde le fait. Ça fait 8 ans que je vis sous le pont. Va en Hollande. »
L'humanité a perdu sa dignité
Images filmées en 16 mm en couleurs, le documentaire suit le parcours de plusieurs clandestins, de Marseille à Calais, en passant par Turin, Berlin ou Amsterdam. Pour rendre compte de l'impression de clandestinité, d'impalpabilité de la situation des sans-papiers, contraints à l'invisibilité, le réalisateur prend le parti de filmer sans lumière additionnelle, souvent de nuit, durant leurs galères nocturnes, au plus près des visages et des corps, comme pour mieux y déceler le visage émacié, le regard acéré, la cicatrice et la souffrance à fleur de peau. A la manière du médecin que Bruno Ulmer fut autrefois avant d'être réalisateur.
Mais ce sont les entretiens individuels qui sont de loin les plus poignants. Toujours au plus près des visages, filmés en vidéo, ils interviennent dans le film comme une respiration, un moment où l'individu reprend le dessus, s'interroge et se pose. En plan fixe, en noir et blanc, ils donnent une dimension « identitaire » aux témoignages de ces hommes qui se laissent aller aux confidences et expriment leurs doutes.
Images filmées en 16 mm en couleurs, le documentaire suit le parcours de plusieurs clandestins, de Marseille à Calais, en passant par Turin, Berlin ou Amsterdam. Pour rendre compte de l'impression de clandestinité, d'impalpabilité de la situation des sans-papiers, contraints à l'invisibilité, le réalisateur prend le parti de filmer sans lumière additionnelle, souvent de nuit, durant leurs galères nocturnes, au plus près des visages et des corps, comme pour mieux y déceler le visage émacié, le regard acéré, la cicatrice et la souffrance à fleur de peau. A la manière du médecin que Bruno Ulmer fut autrefois avant d'être réalisateur.
Mais ce sont les entretiens individuels qui sont de loin les plus poignants. Toujours au plus près des visages, filmés en vidéo, ils interviennent dans le film comme une respiration, un moment où l'individu reprend le dessus, s'interroge et se pose. En plan fixe, en noir et blanc, ils donnent une dimension « identitaire » aux témoignages de ces hommes qui se laissent aller aux confidences et expriment leurs doutes.
« Je suis le plus grand des enfants, raconte Allal, 16 ans. Mes parents mangent ce qu'ils cultivent. Ma raison d'être, c'est l'Europe. J'ai payé 1 000 euros un passeur. » Allal se tait. « Maintenant je suis en Europe, j'ai plus rien à dire… »
« Je viens du Kurdistan, en Turquie, explique Mehmet. C'est là que les discriminations ont commencé. Malgré la torture, tu restes Kurde. J'ai fait de la politique. En 1993-1994, c'était pire. Je voulais rester chez moi, mais j'ai dû partir car ils menaçaient ma famille et menaçaient de me tuer. »
Plusieurs mois après, Allal : « Je suis incapable de m'humilier pour gagner ma vie. J'ai peur de voler et de prendre un an de prison. J'ai peur de niquer un pédé pour gagner 30 ou 50 euros, que je dépenserais dans la nuit. Dealer, tu passes toute ta vie en prison. Il n'y a rien à gagner dans tout ça. On pensait trouver le paradis, on a trouvé l'enfer. Des squats, des bidonvilles, du racisme. Même si je retourne au bled, on ne trouvera rien. »
Pays-Bas, un autre clandestin : « Je suis ici depuis deux ans, on dirait que ça fait vingt ans. Je suis un vagabond. Il y a des gens qui veulent t'aider, mais c'est donnant-donnant. Tu comprends ce que je veux dire ? Ils attendent quelque chose de toi. Aucune aide n'est donnée au nom de Dieu. Ici, personne ne te dit que ce que tu fais est honteux. Ici, dans le Quartier rouge [Amsterdam], c'est la débauche. C'est vrai que rester un vrai homme, c'est pas facile. Si un homme te demande d'aller avec lui… Tu es un homme ! Pas une pute ! »
Et c'est à Mehmet que revient la conclusion, amère : « L'humanité a perdu sa dignité. Pour que certains vivent, d'autres doivent mourir. C'est ce que j'ai compris. »
A l'heure d'aujourd'hui, nombre des personnes filmées dans ce documentaire ont été expulsées, pour situation illégale ou pour délit. Allal, après avoir séjourné dans un centre pour mineurs et accepté de suivre une formation, a été expulsé, sur décision d'une juge pour enfants, mais a été reconduit à Tanger, à 1 000 kilomètres du foyer familial. Seul Mehmet, le seul réfugié politique du film, a vu sa situation régularisée.
« Je viens du Kurdistan, en Turquie, explique Mehmet. C'est là que les discriminations ont commencé. Malgré la torture, tu restes Kurde. J'ai fait de la politique. En 1993-1994, c'était pire. Je voulais rester chez moi, mais j'ai dû partir car ils menaçaient ma famille et menaçaient de me tuer. »
Plusieurs mois après, Allal : « Je suis incapable de m'humilier pour gagner ma vie. J'ai peur de voler et de prendre un an de prison. J'ai peur de niquer un pédé pour gagner 30 ou 50 euros, que je dépenserais dans la nuit. Dealer, tu passes toute ta vie en prison. Il n'y a rien à gagner dans tout ça. On pensait trouver le paradis, on a trouvé l'enfer. Des squats, des bidonvilles, du racisme. Même si je retourne au bled, on ne trouvera rien. »
Pays-Bas, un autre clandestin : « Je suis ici depuis deux ans, on dirait que ça fait vingt ans. Je suis un vagabond. Il y a des gens qui veulent t'aider, mais c'est donnant-donnant. Tu comprends ce que je veux dire ? Ils attendent quelque chose de toi. Aucune aide n'est donnée au nom de Dieu. Ici, personne ne te dit que ce que tu fais est honteux. Ici, dans le Quartier rouge [Amsterdam], c'est la débauche. C'est vrai que rester un vrai homme, c'est pas facile. Si un homme te demande d'aller avec lui… Tu es un homme ! Pas une pute ! »
Et c'est à Mehmet que revient la conclusion, amère : « L'humanité a perdu sa dignité. Pour que certains vivent, d'autres doivent mourir. C'est ce que j'ai compris. »
A l'heure d'aujourd'hui, nombre des personnes filmées dans ce documentaire ont été expulsées, pour situation illégale ou pour délit. Allal, après avoir séjourné dans un centre pour mineurs et accepté de suivre une formation, a été expulsé, sur décision d'une juge pour enfants, mais a été reconduit à Tanger, à 1 000 kilomètres du foyer familial. Seul Mehmet, le seul réfugié politique du film, a vu sa situation régularisée.
* Le CMCA (Centre méditerranéen de la communication audiovisuelle) organise depuis 1994 le Prix international du documentaire et du reportage méditerranéen, qui contribue à donner une meilleure visibilité aux œuvres traitant de la société, de l'histoire, de la culture, du patrimoine, de l'art en Méditerranée, et à en faciliter la diffusion des deux côtés du bassin méditerranéen.
Welcome Europa, film documentaire de Bruno Ulmer (1 h 30).
Welcome Europa, film documentaire de Bruno Ulmer (1 h 30).