Livres

50 idées reçues sur l'état du monde

Un livre de Pascal Boniface

Rédigé par Amara BAMBA | Mardi 20 Novembre 2007 à 08:29

Au sortir de la deuxième guerre mondiale, dit-on, les relations internationales étaient simples. Deux blocs idéologiques antagonistes s'affrontaient un peu partout. Chacun voulait contrôler la planète. Et de leur animosité partagée l'on pouvait tout comprendre. Ce schéma simpliste suffisait aux experts pour nous expliquer les relations internationales.



Mais depuis la guerre froide, le pétrole s'est fait or, le mur s'est effondré à Berlin, la bombe a proliféré, le chômage s'est pointé au Nord, le Sud n'a cessé de se peupler, la Chine s'est réveillée, le Japon a émergé, l'Europe est née, l'Autorité palestienne a été inventée, Rabin a été assassiné, l'islamisme a explosé, talibanisé, les bakcans ont repris feux, l'Otan, l'Onu, l'Opep, ONG et, les dernières notes de cette symphonie du nouveau monde sont la globalisation, la « guerre au terrorisme », le Nouvel orient. Samuel Huntington en a même tiré une partition !
Une chose est certaine, les relations internationales ne peuvent plus souffrir de la rationalité limitée. Mais le ver est dans le fruit: experts auto-proclammés, hommes politiques populistes et médias à sensations colportent des idées reçues sur les relations internationales, souvent avec bonne foi. Et depuis le « 11 septembre 2001 » nous sommes tentés de leur prêter attention.

« 50 idées reçues sur l'état du monde » (édition Armand Colin, septembre 2007), le dernier livre de Pascal Boniface, arrive donc à point. Directeur du prestigieux Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), M. Boniface observe quotidiennement des relations officielles et officieuses entre les pays du monde. Ce livre de 157 pages offre l'avantage d'être accessible au grand public. Le choix des sujets (voir la liste ci-dessous), la précision de l'analyse et la structuration des arguments en font un outil pédagogique au bonheur des journalistes, des étudiants et de leurs enseignants. Dans un format de Livre de poche, le style est fluide, le propos est concis. Ce livret ne manque pas d'atouts pour séduire ceux qui se méfient des écrits d'universitaires.

Nos idées reçues sont nombreuses. Et chacune a sa raison d'être. Il a donc fallu faire des choix. Avant d'avancer ses arguments, l'auteur pose, en italique, les raisons qui fondent l'idée à laquelle il veut s'attaquer. Il déroule ensuite son développement sur une page ou deux, rarement plus. Ce qui fait des « 50 idées reçues sur l'état du monde » un catalogue que l'on peut feuilleter à loisir; s'arrêter sur un titre, flâner, papillonner, lire à la carte; dans les sens de l'écriture ou dans le sens contraire. Nous nous sommes arrêté à la page 111, sur l'idée reçue N° 34.

L'islam est incompatible avec la démocratie


Aucun pays musulman n'est une démocratie. Au contraire, la plupart de ces pays sont des dictatures où la place de la religion étouffe tout développement de la société civile. La femme y a toujours un statut mineur.

S'il est vrai que la plupart des pays musulmans ne sont pas des démocraties, la généralisation de l'incompatibilité entre l'islam et la démocratie est abusive et ne se vérifie d'ailleurs pas dans les faits. Elle provient de deux erreurs de perspective. D'une part, le monde musulman est assimilé au monde arabe; or l'Asie du Sud et du Sud-Est compte trois fois plus de musulmans que les pays arabes, et les pays arabes sont aussi les patries de communautés chrétiennes. D'autre part, le conflit israélo-arabe est transposé dans une logique du modèle de la guerre froide comme étant un conflit entre démocratie (Israël) et dictatures (pays arabes).
Le monde arabe est en effet très en retard en ce qui concerne la démocratisation et le développement humain, ce qui d'ailleurs a été déploré dans un rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) réalisé par les Arabes eux-mêmes. Parmi les membres de la Ligue des Etats arabes, seul le Liban peut s'enorgueillir d'une démocratie réelle quoique fondée sur des bases confessionnelles. Alors que, paradoxalement, les Palestiniens n'ont pas d'Etat reconnu, l'autre authentique démocratie qui a pu avoir des élections débouchant sur une véritable alternance politique est l'Autorité palestinienne, le Hamas mouvement d'opposition ayant remporté les législatives de janvier 2006 dans des conditions de transparence vérifiées par la communauté internationale. Problème de taille, cependant: le Hamas est considéré comme un mouvement terroriste par Israël et les pays occidentaux. De fait, l'environnement géopolitique (permanence du conflit israélo-palestinien, soutien des Etat-Unis à Israël, guerre d'Irak) donne une grande popularité dans les pays arabes aux formations radicales et antiaméricaines.

Mais les mouvements de démocratisation dans les autres pays arabes n'ont pas toujours été aidés – c'est le moins que l'on puisse dire- par les pays occidentaux qui ont souvent privilégié la stabilité des régimes en place au détriment de la démocratie. Dans le reste du monde musulman, la démocratie peut exister. C'est le cas notamment en Turquie de façon assez ancienne, même si constitutionnellement l'armée se voit toujours accorder des droits spécifiques. Le pays musulman le plus peuplé du monde, l'Indonésie, a connu une réelle démocratisation après la fin du régime mis en place par un coup d'Etat en 1965. Si un pays clé comme le Pakistan n'est pas une démocratie, le régime du président Musharaf est soutenu par le monde occidental au nom de la lutte contre le terrorisme. Chacun s'accommode des régimes dictatoriaux d'Asie centrale au nom du même principe. En ce qui concerne les droits des femmes, les pays arabes et musulmans connaissent des situations très contrastées, du plus obscurantiste au plus libéral. Mais, même dans les sociétés occidentales, l'émancipation des femmes, pour être réelle, n'est pas très ancienne. Par exemple, les Françaises n'ont le droit de vote que depuis 1944 et l'Assemblée nationale élue en 2007 compte moins de 20 % de députées.

Pascal Boniface
50 idées reçues sur l'état du monde
157 pages
Edition Armand Colin, 2007

La liste des 50 idées reçues


1.C'est vrai, je l'ai lu dans un livre
2.Les experts aident à comprendre les évènements
3.Les médias contrôlent l'opinion
4.Le 11 septembre a changé le monde
5.Ce sont les Américains qui ont eux-mêmes organisé les attentats du 11 septembre 2001
6.La mondialisation s'impose à tous
7.Le monde progresse
8.Il existe une communauté internationale
9.Il n'y a plus de frontières
10.La France ne compte plus à l'échelle internationale
11.L'Afrique ne pourra jamais se développer
12.Les Etats-Unis sont en déclin
13.La puissance militaire n'est plus utile
14.L'Etat n'a plus de pertinence au niveau international
15.Le monde occidental est en danger
16.L'ONU ne sert à rien
17.Le monde est unipolaire
18.La Chine va dominer le monde
19.Ce sont les firmes multinationales qui dirigent le monde
20.Il y a un retour de la guerre froide
21.Le choc des civilisations est inévitable
22.La guerre d'Irak a été faite pour le pétrole
23.La France est pro-arabe
24.La politique extérieure française est guidée par l'antiaméricanisme
25.Israéliens et Arabes ne pourront jamais être en paix
26.Il y aura une guerre Chine/Etats-Unis
27.Il existe des armes de destruction massive
28.Nous subissons une prolifération nucléaire
29.L'apparition de nouvelles puissances nucléaires est la principale menace qui pèse sur la sécurité internationale
30.Le principe de souveraineté protège les tyrans
31.La guerre d'Irak a été faite pour y installer la démocratie
32.La Russie ne peut être gouvernée que par un régime fort
33.Les démocraties ne font pas la guerre
34.L'islam est incompatible avec la démocratie
35.L'Afrique n'est pas mûre pour la démocratie
36.La démocratie peut se construire de l'extérieur
37.Le terrorisme est la menace principale
38.Les organisations non gouvernementales (ONG) incarnent une politique morale
39.La realpolitik est amorale
40.Le terrorisme est d'essence religieuse
41.Il existe des « Etats voyous »
42.L'ingérence est une idée progressiste
43.Les Etats mènent une politique cynique
44.Les valeurs occidentales sont universelles
45.Comprendre le terrorisme, c'est le légitimer
46.Ceux qu'on appelle terroristes sont des résistants
47.Le terrorisme est l'arme des faibles
48.Il n'y a pas de valeurs universelles
49.Combattre efficacement le terrorisme peut nécessiter de s'affranchir de certaines limitations juridiques
50.Le réchauffement climatique sera évité grâce aux progrès technologiques