Culture & Médias

Abd al-Malik, pour l’islam et l’amour du rap

Cheminement spirituel d'un rappeur

Rédigé par Fatna Tahari | Dimanche 20 Novembre 2005 à 14:24

Depuis sa prime jeunesse, Abd al-Malik mène des doubles vies. Jeune délinquant au quartier, il est un élève studieux à l’école. Cheminant avec les Tabligh le jour, il s’adonne au rap le soir venu… Sa découverte du soufisme lui procure enfin la plénitude et la sérénité. En témoigne Le face à face des cœurs, son dernier album déjà dans les bacs.



Le face-à-face des coeurs, le dernier album d'Abd al-Malik
Abd al-Malik est né à Paris il y a 29 ans. Lorsque ses parents déménagent à Strasbourg, il n’est encore qu’un enfant et se nomme alors Régis. Dans le quartier de Neuhof où s’installe la famille, l’environnement social n’est pas facile. La délinquance lui tend la main : « j’étais délinquant, pas parce que j’étais méchant. Quand on est gamin, on a envie d’être accepté par le groupe. On n’a pas envie d’être rejeté » confie-t-il calmement. A coups de vols et de trafics illicites divers, il trouve sa place au sein d’une bande de « méchants garçons ». A la différence de ses amis de virées, il nourrit une passion dévorante pour le savoir, « le savoir en général et la littérature en particulier » explique-t-il. Il mène alors une double vie : « délinquant le soir et bon élève la journée » confesse-t-il en riant.

Régis devient alors Abd al-Malik

A la séparation de ses parents, l’adolescent prend conscience de la nécessité de s’éloigner du quartier, au moins pour étudier. Aidé par une enseignante, il réussit à s’inscrire dans un collège catholique privé. « La scission était encore plus grande entre la vie dans le quartier et la vie au collège». Le besoin de spiritualité se fait alors ressentir.
Le catholicisme de ses parents ne le satisfait pas. Les livres prêtés par son frère aîné, converti à l’Islam, lui apportent des éléments de réponse. Ces ouvrages lui parlent. Le jeune Régis perçoit l’Islam comme une « religion naturelle » sans pour autant opérer une rupture avec le catholicisme. « C’est, affirme-t-il, une continuité ». Avec l’Islam, il a trouvé « le vêtement qui correspond à son être». Il choisit le prénom de Abd al-Malik, que l'on peut traduire par serviteur de Dieu. Il a alors 15 ans.

Mu probablement par le besoin d'appartenir à un groupe, Abd al-Malik rejoint le mouvement Tabligh, le plus grand mouvement piétiste de l’Islam. Sur cette tranche de sa vie, le rappeur ne s’encombre pas de complaisance : « J’ai instrumentalisé l’Islam que je portais comme un étendard » reconnaît-il.
Autour de lui, la vie n’est pas rose. Il voit certains de ses amis sombrer dans la toxicomanie, tandis que d’autres finissent en prison quand ils ne sont pas conduits au cimetière. Pour parler de cette tragédie, il monte le groupe NAP (New African Poets) dont il est leader. L’idée de départ est de dénoncer les injustices, témoigner de leur détresse par la musique rap. A cette époque, les contestations et les revendications sont exprimées avec violence. C’est l’engagement. Le groupe NAP devient vite connu, d’abord au niveau régional puis sur la scène nationale.
Abd al-Malik mène alors deux vies parallèles. Comme tout bon Tabligh, il prêche régulièrement dans les quartiers durant le jour. Le soir venu, il monte sur l’estrade, accroche un micro au passage et chante en cachette. Pas pour longtemps. Le Tabligh lui ordonne de quitter NAP. Il quittera le Tabligh. Car, dit-il : « On me demandait de quitter mes frères ».
Avec NAP, la vie prend un autre sens pour lui et ses amis : « la musique nous a responsabilisés. Nous ne sommes plus de simples consommateurs. Nous sommes devenus acteurs » confie-t-il. Il considère désormais le rap comme un prolongement de lui-même et utilise cette musique comme il use la parole.
C’est dans cet état de grâce que ses lectures le mènent au soufisme. Dans cette voie spirituelle de l’islam, le rappeur soupçonne un monde chargé de trésors. Pour en savoir plus, il fait le voyage au Maroc au cœur de la confrérie soufi al-Qadiria al-Butchichia. Il y rencontre Sidi Hamza qu’il appelle « son maître-bien aimé ».
De ce maître spirituel, dans la pure tradition soufi, il apprend l’amour de l’autre. Il apprend à ne pas juger, à ne pas dénigrer. Un enseignement qui passe par le « langage de cœur à cœur », dit-il. Pour Abd al-Malik, le bouleversement est total.

Sortir du paraître vers l’être

Les paroles du maître sont simples, profondes et chargées d’images significatives: « dans le jardin, dit le maître, les fleurs sont multiples mais l’eau est une ». La rencontre du maître et les fruits de son enseignement interpellent Abd al-Malik sur l’importance d’accorder de l’intérêt à autrui. Ses découvertes spirituelles vont affecter sa relation à son art. Lui qui jusqu’alors ne faisait que du rap de contestation et de critiques, découvre qu’il ne suffit pas de juger mais qu’il faut aussi proposer ; qu’il ne sert à rien de condamner si l’on ne prend pas d’initiative par la suite. Il réalise que, dans le rap comme dans l’islam, il avait  « une posture de paraître et non d’être » parce que trop inquiet de la réaction du public, préoccupé par les opinions des gens. «Il m'a fallu déconstruire pour reconstruire. Mais rien de bon ne peut sortir hors de l’amour et hors de l’acceptation de l’autre » résume-t-il en évoquant son cheminement.

La face à face des cœurs, un album solo, est le fruit du cheminement spirituel du rappeur. Il y est question d’Amour. Finie la contestation. Les textes ont été écrits dans le désert marocain durant les dix derniers jours du mois de Ramadan. Une période que la tradition musulmane sait particulièrement riche en énergie spirituelle. Le jeûneur musulman est donc encouragé à intensifier ses actes de piété durant ce dernier tiers du mois de ramadan. Abd al-Malik est « comme dans un état spirituel » lorsqu’il écrit cet album qui a donné naissance à Qu'Allah bénisse la banlieue, (éd, Albin Michel) un livre dans lequel l’homme explique son cheminement. L’expérience semble concluante puisqu'il prépare un recueil de contes soufi qui aurait pour problématique l’être dans la vie moderne.

En présentant Qu'allah bénisse la France, l'auteur écrit: « Le Face à Face des coeurs c’est d’abord un rendez- vous galant avec soi- même. Je reviens là d’où l’on aurait jamais dû partir : Paix, Amour et Unité. Le Hip Hop était d’abord - excusez- moi - spirituel. Capable de dépasser sa condition, ses conditionnements, et de rencontrer l’Autre par la musique. Le Rap est mon art. »

Pour en savoir plus, voir son site officiel: http://www2.abdalmalik.fr/