Religions

Abdessalam Yassine : un savant résistant face à l’oppression

Rédigé par | Vendredi 4 Janvier 2013 à 00:00

Le décès du savant Abdessalam Yassine, fondateur du mouvement Justice et Bienfaisance (Al Adl wal Ihsane), a suscité une forte émotion au Maroc, qui s'est rapidement propagée au-delà des frontières du royaume chérifien. En France, Participation et Spiritualité Musulmanes (PSM) est à l'oeuvre pour lui rendre un hommage et perpétuer ses enseignements auprès des musulmans. Reportage.



Un auguste homme parmi les savants musulmans s’en est allé de ce monde. Abdessalam Yassine, leader du mouvement Justice et Bienfaisance (Al Adl wal Ihsane) s’est éteint paisiblement le 13 décembre, au Maroc, à l’âge de 84 ans. Signe de son ample influence dans la société marocaine, des milliers de fidèles ont convergé le lendemain de sa mort vers la mosquée Sunna de Rabat pour la prière mortuaire de ce chef spirituel très apprécié.

Depuis, les hommages vibrants à son égard se multiplient. En France, Participation et Spiritualité Musulmanes (PSM) est à l’œuvre pour mettre en lumière, auprès d’un plus large public, l’homme que fut Abdessalam Yassine et ses enseignements. L’association n’est autre qu’une émanation, à sa création, du mouvement Al Adl wal Ihsane, considérant le savant comme « un père intellectuel et spirituel » dont la mémoire doit être saluée.

« Un moment d’intimité familiale » pour PSM

La cérémonie de PSM, organisée mardi 1er janvier à Saint-Denis, en région parisienne, a attiré près de 600 personnes, majoritairement marocaines, venues célébrer un « homme de piété, de science et de renouveau », « un homme de Dieu (Rabbani), un maître éducateur à qui des générations successives sont redevables d’être orientées et guidées par ses soins sur la voie méthodique du cheminement vers Dieu », décrit PSM dans son discours d’ouverture.

Entre lectures du Coran et anasheed (chants religieux), les témoignages se sont succédé sur la scène d’une salle magnifiquement apprêtée pour l’occasion. « Il est un penseur hors normes. (…) Il l'est d'autant plus qu'il n'est pas de ces intellectuels qui s'enferment dans leur tour d'ivoire loin de la réalité. A la réflexion théorique, il a toujours joint l’action de terrain, éduquant, formant des générations de femmes et d’hommes aspirant à Dieu, organisant leurs rangs pour asseoir les bases d’une communauté juste, fraternelle, invulnérable et hors d’atteinte des gros bras du despotisme marocain », s’est ainsi exprimé PSM.

Un résistant resté fidèle à Dieu

Abdessalam Yassine
Sincère et pleinement engagé dans la voie de Dieu, tels sont les mots qui reviennent souvent. « Jusqu’au bout, il est resté fidèle à ses principes, on n’a pas pu acheter son silence », a souligné l’islamologue belge Yacoub Mahi dans une vidéo diffusée auprès d’une assistance émue, et « malgré les moyens colossaux déployés par les éradicateurs de sa pensée et de son œuvre cherchant, par tous les moyens, à le réduire au silence », insiste PSM.

Opposant farouche à la monarchie, il a toujours refusé de reconnaître le statut de « commandeur des croyants » (Amir al-mu’minin) que les rois marocains se sont octroyé. Sa première lettre au roi Hassan II « L’islam ou le déluge » lui a valu d’être interné plus de trois ans en asile psychiatrique dans les années 1970, avant d’être emprisonné plus tard pour ses activités politiques puis assigné à résidence à Salé jusqu’en 2000, année où il renouvelle sa lettre à Mohammed VI (« Mémorandum à qui de droit »).

« La vie de cet auguste homme était un parcours sans faute de résistant de la première heure, de combattant juste, alliant sincérité profonde, constance qui ne fléchit point et intransigeance qui ne décolère jamais face à l'injustice », dit-on. Ce qui lui a valu le respect de milliers de Marocains, toutes origines sociales confondues. Les autorités ne pouvaient plus se résoudre, sous le règne de Mohammed VI, à l’emprisonner pour le faire taire.

Un citoyen engagé pour la paix

Guidé par le sens de la justice, Abdessalam Yassine a invité, tout au long de sa vie, à la douceur et à la paix, y compris dans les combats politiques qu’il menait face à la monarchie contre vents et marées. En cela, le cheikh porte bien nom : « le soumis à la paix ».

« Le cheikh a atteint un degré très élevé d’épanouissement sous le regard de Dieu », a poursuivi Larbi Kechat, recteur de la mosquée Adda'wa, à Paris. Sa mort « ne doit nullement détourner de notre présence efficiente sur le terrain où le quotidien se forme », insiste-t-il, appelant les musulmans à s’engager activement dans la vie citoyenne pour espérer être maîtres de leur destin, comme le fut Abdessalam Yassine. Khaled Bouchama, qui s’exprimait au nom de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) prévient, quant à lui, contre l’adoption, par des disciples du savant, de tout culte de sa personnalité.

Et au milieu de tous ces témoignages masculins, la voix des femmes de PSM a aussi résonné pour saluer le cheikh, un rénovateur doté d'un sens profond de respect à la gent féminine. « Tu as sorti la femme musulmane, la femme tout simplement, de ses harems sociaux, psychologiques pour lui apprendre de nouveau son identité et sa place d’exception que lui a données notre Créateur et que notre bien-aimé Muhammad, paix et salut sur lui, a su faire vivre », a-t-on ainsi entendu.

Sa mort pour redécouvrir ses pensées

Sa mort, si elle est un triste événement, est surtout « un rappel perpétuel pour nous tous, (…) nous invitant à prendre exemple sur la vie de cet homme modèle, nous incitant à méditer sur son cheminement, à découvrir et à redécouvrir sa pensée, à écouter avec nos cœurs ses conseils de maître et d'expert », délivrés notamment dans son testament, rédigé voilà une dizaine d’années.

« Je serai le plus heureux si mon témoignage gagne l'ouïe d'auditeurs conscients, si mon cri calme les réveille de leur insouciance, et éveille leur cœur, s'ils tournent le dos aux (tentations) de la vie ici-bas et s'alertent vers qui les guide à Dieu, au point de connaître Dieu », a ainsi écrit le savant, revivifiant le message prophétique qui s’adresse à l’humanité entière.

Abdessalam Yassine était bien mal connu des musulmans d’Europe, mais l’émotion qu’a suscitée son décès a largement franchi les frontières du Maroc. Son mouvement, de tradition résolument soufie, ne saurait disparaître de si tôt.




Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur