PARIS. − Je hais le lundi matin. J'ai toujours détesté le lundi. Vague souvenir de mes années de scolarité. Alors, chaque dimanche soir, je fais tout sauf penser à mettre mon réveil pour 8 heures.
Ce dimanche soir est un peu particulier pour moi. Mes proches m'emmènent écouter une soirée hommage à Billie Holiday dans un club parisien. On ne peut pas dire que les classiques de cette reine du jazz soient propices à vous plonger dans une euphorie guillerette, mais davantage dans un état mélancolique.
J'avais découvert adolescente son morceau légendaire sur les lynchages et pendaisons du Ku Klux Klan dans « Strange Fruit ». Je l'ai retrouvée dans la biographie de Maya Angelou reprendre ce morceau au fils de l'écrivaine grandiose.
Ce dimanche soir est un peu particulier pour moi. Mes proches m'emmènent écouter une soirée hommage à Billie Holiday dans un club parisien. On ne peut pas dire que les classiques de cette reine du jazz soient propices à vous plonger dans une euphorie guillerette, mais davantage dans un état mélancolique.
J'avais découvert adolescente son morceau légendaire sur les lynchages et pendaisons du Ku Klux Klan dans « Strange Fruit ». Je l'ai retrouvée dans la biographie de Maya Angelou reprendre ce morceau au fils de l'écrivaine grandiose.
Alors me voilà perdue dans ces Etats du Sud américains avec la voix de Billie Holiday. Les rues sont calmes dans ce quartier de Paris. La présence de deux voitures sur le trottoir fait dévier mon parcours et me ralentit. Je comprends assez vite de quoi il s'agit.
Banale scène de contrôle de police. Banale parce que, comme souvent (toujours ?), les trois hommes fouillés ont la gueule de métèques, basanés, blasés, habitués inlassablement à se voir palpés, contrôlés.
A deux pas, une bande de jeunes Blancs légèrement éméchée passe tranquillement.
Par habitude, je ralentis ma marche. Un réflexe que j'ai pris il y a de cela quelques années. Un réflexe que j'ai appris quand je voyais des élèves se faire contrôler dans ma gare de banlieue nord de Paris. Moment d'humiliation quotidienne auquel je n'ai pas à faire parce que femme, exception faite des lendemains d'attentats dans les gares ou les aéroports.
Il y a quelques mois, lors d'une rencontre informelle, un éducateur de deux fois mon âge évoquait, lui aussi, ses scènes d'humiliation quotidienne auxquelles il a eu affaire plus jeune. Je n'avais pas supporté que, des décennies après, il finisse par accepter que ce sort soit réservé à ses enfants. Je m'étais emportée et m'en étais voulue après coup.
Banale scène de contrôle de police. Banale parce que, comme souvent (toujours ?), les trois hommes fouillés ont la gueule de métèques, basanés, blasés, habitués inlassablement à se voir palpés, contrôlés.
A deux pas, une bande de jeunes Blancs légèrement éméchée passe tranquillement.
Par habitude, je ralentis ma marche. Un réflexe que j'ai pris il y a de cela quelques années. Un réflexe que j'ai appris quand je voyais des élèves se faire contrôler dans ma gare de banlieue nord de Paris. Moment d'humiliation quotidienne auquel je n'ai pas à faire parce que femme, exception faite des lendemains d'attentats dans les gares ou les aéroports.
Il y a quelques mois, lors d'une rencontre informelle, un éducateur de deux fois mon âge évoquait, lui aussi, ses scènes d'humiliation quotidienne auxquelles il a eu affaire plus jeune. Je n'avais pas supporté que, des décennies après, il finisse par accepter que ce sort soit réservé à ses enfants. Je m'étais emportée et m'en étais voulue après coup.
A chaque contrôle musclé, à chaque anecdote d'un proche noir et arabe que j'évoque hors de moi, il y a toujours un ami bien intentionné blanc, vivant du bon côté des lignes géographiques et sociologiques qui se sent obligé de partager, lui aussi, son contrôle de police en voiture. Et, inlassablement, je bous. Intérieurement, je bous de l'autisme blanc qu'évoquait déjà James Baldwin en 1964.
Je bous de cette incapacité à comprendre qu'avec un nom et une gueule de métèque il faille mentir, tricher pour avoir une chance d'obtenir un logement.
Je bous de cette incapacité à sentir qu'avec un nom et une gueule de métèque croiser un flic peut être synonyme de mort, de viol et d'humiliation.
Je bous de cette incapacité à assumer le racisme structuré, structurel d'une société dans laquelle être Blanc, homme de plus de 50 ans et riche vous prémunit de toute condamnation.
Alors, oui, en ce moment, je bous. Et je sens que je ne suis pas la seule.
Combien d'Adama et de Théo faudra-t-il pour ce pays, mon pays, pour voir en face ce racisme structurel gangrener ses fondements ?
Combien de sursauts de colère nous faudra-t-il pour qu'enfin certains se rendent compte de ce « white privilege » ?
Tant que la racaille à col blanc qui squatte les plus hautes instances de ce pays continuera à se pavaner avec des dizaines de condamnations sur le dos sur les plateaux de télévision alors que des gamins se font violer par des forces de l'ordre gangrenées par les idées frontistes, alors je ne vois pas trop comment penser, espérer ou rêver d'un avenir radieux pour chacun-e d'entre nous.
*****
Samia Hathroubi est déléguée Europe de la Foundation for Ethnic Understanding.
Je bous de cette incapacité à comprendre qu'avec un nom et une gueule de métèque il faille mentir, tricher pour avoir une chance d'obtenir un logement.
Je bous de cette incapacité à sentir qu'avec un nom et une gueule de métèque croiser un flic peut être synonyme de mort, de viol et d'humiliation.
Je bous de cette incapacité à assumer le racisme structuré, structurel d'une société dans laquelle être Blanc, homme de plus de 50 ans et riche vous prémunit de toute condamnation.
Alors, oui, en ce moment, je bous. Et je sens que je ne suis pas la seule.
Combien d'Adama et de Théo faudra-t-il pour ce pays, mon pays, pour voir en face ce racisme structurel gangrener ses fondements ?
Combien de sursauts de colère nous faudra-t-il pour qu'enfin certains se rendent compte de ce « white privilege » ?
Tant que la racaille à col blanc qui squatte les plus hautes instances de ce pays continuera à se pavaner avec des dizaines de condamnations sur le dos sur les plateaux de télévision alors que des gamins se font violer par des forces de l'ordre gangrenées par les idées frontistes, alors je ne vois pas trop comment penser, espérer ou rêver d'un avenir radieux pour chacun-e d'entre nous.
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Samia Hathroubi est déléguée Europe de la Foundation for Ethnic Understanding.