Points de vue

Ahmed al-Tayyib, cheikh d'Al-Azhar : combattre l'extrémisme en costume cravate

Par Alfred Hackensberger*

Rédigé par Alfred Hackensberger | Lundi 12 Avril 2010 à 00:41



Ahmed al-Tayyib a été nommé quarante-huitième grand imam d’al-Azhar par Hosni Moubarak, en mars dernier, succédant ainsi à Muhammad Sayyed Tantawi.
Moins de deux semaines après la mort de Mohammed Sayed Tantawi, grand cheikh de l'Université d'Al-Azhar, le président égyptien Hosni Moubarak a désigné celui qui le remplacera au poste le plus élevé de l'université millénaire, la plus ancienne et la plus prestigieuse des établissements d'enseignement supérieur du monde sunnite.

Avant cette nomination, Ahmed al-Tayyib assumait la fonction de grand mufti d'Egypte, ce qui représente la plus haute fonction religieuse du pays, dont l'influence est par ailleurs très grande sur l'ensemble des sunnites, qui représentent environ 90 % des 1,5 milliard de musulmans dans le monde.

Ahmed al-Tayyib, âgé de 64 ans et titulaire d' un doctorat de la Sorbonne, est désormais chargé de gérer une organisation qui chapeaute une université de 300 000 étudiants ainsi qu'un ensemble d'écoles primaires et secondaires avec un total de 1,5 millions d'élèves. Al-Azhar a également la compétence de décider, au nom du gouvernement égyptien, la censure ou l'interdiction de films ou de livres non conformes aux valeurs islamiques.

Le nouveau grand cheikh d'Al-Azhar est considéré comme un homme ouvert d'esprit et modéré. Il dénonce l'extrémisme et a milité contre des fondamentalistes de tout genre dans le passé − ce qui a certainement été un facteur décisif pour sa nomination.

Le fait qu'il est membre du Parti national démocratique − le parti au pouvoir, dont est issu le président Moubarak − a probablement aussi fait pencher la balance en sa faveur.

D'ailleurs, on lui a déjà demandé de mettre un terme à ses autres activités − comme son engagement dans ce parti. Mais il s'y refuse, partant du principe qu'il n'a pas été nommé pour sa seule appartenance au parti au pouvoir et affirmant qu'il sera « objectif » et qu'il prendra « toutes ses décisions pour le bien d'Al-Azhar, de l'Egypte et de l'islam ».

Ainsi, Ahmed al-Tayyib a refusé de démissionner de son poste au sein du parti, ce qui apporte de l'eau au moulin des opposants au régime, qui souhaiteraient un régime plus démocratique dans le pays.

Parmi ces opposants, on compte notamment les Frères musulmans, le groupe d'opposition le plus important et le mieux organisé du pays. En 2006, Ahmed al-Tayyib, alors recteur d'Al-Azhar, avait fait disperser une de leurs manifestations sur le campus.

En tant que nouveau grand cheikh, il a adressé une lettre ouverte aux Frères musulmans, que l'on peut retrouver sur leur site internet, Ikhwanweb, dans laquelle il dit avoir beaucoup d'estime pour cette formation, dont il encourage le rôle sur l'échiquier politique en Egypte : « Les Frères musulmans peuvent, à l'instar de tous les autres partis ou formations islamiques participer à la vie politique du pays à condition de respecter les limites de la loi », écrit-il. Cette affirmation ne changera pas pour autant la position contestataire des Frères musulmans.

Il ne sera pas facile pour Ahmad al-Tayyib de faire taire des voix parfois très radicales. Aussitôt après sa nomination, il a déclaré que « Al-Azhar sera un bastion de tolérance et de modération contre l'extrémisme et le fanatisme ».

Il a annoncé un train de mesures spéciales contre des prédicateurs extrémistes qui s'expriment sur les chaînes de télévision et dont les sermons radicaux séduisent les audiences musulmanes et remportent un certain succès depuis des années. « Nous devons combattre ces prédicateurs, dont les idées sont extrêmes », a affirmé le grand cheikh lors d'une émission télévisée sur une chaîne nationale. « Ces imams devraient être bannis des médias car tout ce qu'ils cherchent à faire c'est du sensationnel, et rien d'autre. »

Cependant, il est peu probable qu'Ahmed al-Tayyib puisse faire interdire ces prédicateurs incommodes à la télévision car la plupart des émissions dont ils sont les vedettes sont émises sur des chaînes satellites, auxquelles pratiquement tous les foyers égyptiens ont accès. Le seul choix qui se présente au grand cheikh serait de faire interdire ces chaînes, mais ce serait là une mesure qui pourrait difficilement passer pour un exemple de tolérance, dont l'université millénaire aimerait maintenir la tradition.

Par ailleurs, Ahmed al-Tayyib a l'intention de faire usage de la technologie la plus moderne pour promouvoir un islam modéré à travers le monde ; il souhaite notamment que les religieux d'al-Azhar adoptent de nouvelles méthodes de prédication qui viendront remplacer les sermons traditionnels et ennuyeux. Ainsi ils pourront davantage intéresser les jeunes, qui attendent, en général, des réponses plus rapides à leurs problèmes et à leurs questions.


* Alfred Hackensberger est journaliste et écrivain. Texte disponible dans son intégralité en anglais sur www.qantara.de - 29 mars 2010.