Les associations de protection animale montent au créneau, chacunes à leur manière : les sages OABA (Œuvre d'Assistance aux Bête d'Abattoir) et SNPA (Société Nationale de Protection Animale) agissent dans la discrétion directement auprès des Ministère de l'Intérieur et de l'Agriculture pour protester contre des conditions d'abattage inacceptables,
L'Aïd el Kebir et son cortège d'images lugubres de moutons ensanglantés est une occasion pour les associations de protection animale de reprendre la main, d'affirmer la supériorité de leur position sans avoir à la justifier plus avant. Elles le font cependant en entretenant une confusion entre sacrifice rituel annuel et abattage rituel industriel. Les conditions d'abattage lors du sacrifice annuel de l'Aïd el Adha et celles de l'abattage halal sont pourtant bien différentes. Lors du sacrifice de l'Aïd les bêtes (ovins, bovins, caprins) doivent être abattues par ou au nom du chef de famille musulman après la prière du premier des trois jours de la fête. A chaque famille ou groupe de famille son animal. Ceci implique une traçabilité de l'animal vivant à la carcasse et donc une organisation spécifique. La réglementation française oblige les familles à déléguer leur pouvoir d'abattage à des professionnels dans des zones d'abattage réglementaire. La concentration des abattages compte tenu du nombre de musulmans en France requiert ainsi une organisation sans faille à tous les niveaux de la production, de l'élevage à la distribution.
Cette année, profitant de cette confusion entre viande halal et sacrifice rituel, la grande distribution est entrée dans la ronde provoquant elle aussi.. une polémique, mais celle-ci auprès des autorités religieuses. Le groupe Carrefour numéro un de la grande distribution en Europe et numéro deux mondial, vend des carcasses de moutons abattues selon le rite musulman avant la prière matinale du premier jour de l'Aïd. Le distributeur appelle cela le mouton de l'Aïd au grand dam des associations religieuses qui dénoncent, non sans raison, l'imposture commerciale. La réponse de la grande distribution est aussi raisonnable : de nombreux clients sont satisfaits de la formule et achètent leur carcasse ou morceau de carcasse comme les autres achètent leur dinde de Noël. Et finalement, n'est-ce pas un bon moyen d'échapper aux polémiques qui chaque année viennent ternir la fête ? On achète son mouton, on rentre chez soi et on fait la fête entre soi, plutôt que de passer des heures à faire la queue devant les abattoirs. La grande distribution ferait-elle œuvre citoyenne en participant « incontestablement à l'appropriation nationale d'une fête musulmane tant décriée » comme on peut le lire sur le site musulman francophone saphirnews.com ? De la même façon qu'on ne pourra feindre d'ignorer longtemps l'aspect commercial de la fête et du marché halal, ou s'offenser de la commercialisation du « rite », on ne pourra mé-comprendre indéfiniment les motivations religieuses des musulmans de France et leurs façons diverses d'exprimer leur croyance et leurs sentiments y compris à travers l'acte de consommation. Les associations de protection animale ont maintenant contre elles de puissants acteurs économiques qui n'ont guère mis au centre de leur préoccupation les questions de l'étourdissement pré-mortem ou celle du bien-être animal. Dans leur bataille philosophique, les alliés objectifs des associations de protection animales sont les associations religieuses. En les prenant chaque année pour ennemis, elles ont entretenu des polémiques vaines qui aujourd'hui les rendent plus impuissantes que jamais. Réciproquement, les organisations religieuses peuvent bénéficier du positionnement moral des associations de protection animale pour asseoir et renforcer auprès de l'opinion et des pouvoirs publics leur rôle de garant du rite religieux. Même dans les sociétés où la viande est devenue un simple produit commercial, la mort animale, elle, ne l'est jamais.
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[1] Signifie la « grande fête », équivaut à Aïd el Adha (fête du sacrifice) . Il s'agit d'une fête familiale musulmane annuelle dont l'origine religieuse est la commémoration du sacrifice d'Abraham. En pratique, elle consiste pour les familles à abattre ou faire abattre rituellement un animal, généralement un mouton, une chèvre ou un jeune taureau.