Monde

Algérie : le peuple à l’épreuve des élections législatives

Rédigé par | Jeudi 10 Mai 2012 à 00:10

Près de 21 millions d'électeurs algériens sont appelés à voter aux élections législatives, jeudi 10 mai, pour renouveler les députés de l’Assemblée, dominé par le Front de libération nationale (FLN), le parti historique de l’indépendance présidé par Abdelaziz Bouteflika. Cependant, sa domination dans la vie politique algérienne laisse peu de place à des challengers, exception faite des islamistes qui pourraient se démarquer cette année si les règles démocratiques sont respectées. De même, les soupçons d'une fraude programmée ont renforcé le scepticisme des Algériens, qui ne devraient donc pas se bousculer dans les bureaux de vote. Les médias algériens se font l’écho du désintérêt général.



Les élections législatives en Algérie de mai 2012 n'ont pas passionné les foules. L'abstention devrait sans surprise sortir vainqueur de ce scrutin.
Le coup d’envoi des législatives en Algérie est lancé. Après les Algériens établis à l'étranger les 8 et 9 mai, c’est au tour des nationaux de voter, jeudi 10 mai, pour les 462 députés parmi les 25 800 candidats en lice issus de 44 partis politiques et listes indépendantes, dont « l’Algérie verte », une coalition de partis islamistes qui veulent tirer profit des victoires électorales des partis « frères » au Maroc, en Tunisie et en Egypte pour remporter des sièges.

Jusque-là, l’Algérie s’est préservée des effets collatéraux du Printemps arabe qui a secoué la région en 2011. Les quelques manifestations populaires qui se sont produites alors ont très vite été étouffées par les autorités sans que d’autres s’ensuivent. Prisonniers de leur passé, les Algériens gardent en mémoire la décennie noire des années 1990 provoquée par le coup d’Etat de l’armée après la victoire du Front islamique du salut (FIS) au premier tour des législatives de 1991.

Le FLN et ses alliés, qui usent du thème sécuritaire pour légitimer ses décisions, devraient pouvoir se maintenir à l'issue du scrutin, malgré le multipartisme apparent.

La faiblesse du Parlement face à « l’hyper-présidentialisme »

Le président Abdelaziz Bouteflika au pouvoir depuis 1999.
Depuis l’élection du président Bouteflika en 1999, « l’hyper-présidentialisme a annulé de facto les prérogatives constitutionnelles de l’APN (Assemblée populaire nationale, ndlr). La formation du gouvernement relève du seul désir du chef de l’Etat et n’obéit à aucune contrainte constitutionnelle. Aucun des grands dossiers sensibles, comme le bilan sécuritaire, la réconciliation nationale ou les grosses affaires de corruption (Khalifa, l’autoroute Est-Ouest, Sonatrach…), n’a fait l’objet d’enquête parlementaire. (…) Les députés ont pris l’habitude de se contenter de valider les décisions importantes du pays prises en-dehors des institutions formelles », analyse El Watan.

« Les députés ne sont évidemment pas dupes de la mission que le pouvoir leur assigne, ils sont même conscients des limites à ne pas transgresser. Dans une telle situation, les députés préfèrent tout bonnement vaquer à leurs affaires personnelles au lieu de s’occuper des affaires de la communauté. Le phénomène de l’absentéisme des députés a ainsi pris des proportions alarmantes. (…) En un mot, le Parlement est relégué à un simple rôle de légitimation des décisions prises par le pouvoir occulte », ajoute le grand quotidien algérien.

Scepticisme et désillusion du peuple

Fraude, corruption et clientélisme sont également des problèmes récurrents en Algérie. Des craintes relayées notamment par les islamistes, qui estiment avoir des chances de remporter la mise si les élections sont « propres ». Dans un registre tout aussi offensif qu’El Watan, le journal Le Matin déplore les partis créés ex nihilo « à partir du personnel politique qui grenouille depuis des lustres, par affairisme ou lien familial, dans les arcanes du pouvoir ». « L’élection, pour eux, sera une espèce de bain de jouvence pour durer un autre demi-siècle », affirme-t-il.

Dans ce contexte, il n’est guère étonnant que les Algériens ne se mobilisent pas pour les législatives. Les autorités ont « assuré » la population du caractère libre et transparent de ces nouvelles élections.

Mais faute de garanties et au regard des précédents scrutins marqués par des fraudes massives, ces discours ne se révèlent plus crédibles à leurs yeux. La confiance des Algériens à l’égard de sa classe dirigeante s’est érodée depuis longtemps. « Ce désintérêt pour la chose politique n’est de fait qu’une manifestation de la rupture qui s’est opérée entre le peuple et l’Etat », fait savoir le quotidien Liberté Algérie.

Le « sursaut citoyen », la solution ?

La plus grande crainte des candidats à la députation est encore l’abstention. Les observateurs prédisent une faible participation des citoyens algériens à ces élections (vers les 20 %) et ce, malgré une campagne électorale plus offensive que par le passé appelant à la mobilisation ces dernières semaines. Pour preuve, les meetings des candidats ont été trop peu suivis et parfois annulés en dernière minute. Une fois n’est pas coutume, M. Bouteflika s’est même mouillé pour appeler à une participation massive mardi 8 mai lors du 67e anniversaire des massacres de Sétif.

Pour l'économiste Kamel Benkoussa qui s'exprime sur Liberté Algérie, une solution : « Un véritable sursaut citoyen par lequel chaque Algérien prendrait enfin conscience que la déresponsabilisation dont il fait preuve dans la gestion des affaires publiques (…) est à la source ultime de l’impasse dans laquelle se trouve le pays. Autrement dit, il faut que chacun réalise qu’il n’est pas insignifiant face à la complexité de la crise que traverse l’Algérie et qu’en redonnant un sens au combat citoyen il peut au contraire apporter une contribution significative pour un changement pacifique. »

Les Algériens sont ainsi invités à briser le cercle vicieux dans lequel ils se sont enfermés. Ne manque plus que de la conviction : celui que le changement ne peut passer que par eux.




Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur