Vivre ensemble

Appel du 18 juin : La résistance au nazisme et les musulmans d’Europe

Par Mustapha Cherif*

Rédigé par Mustapha Cherif | Mercredi 9 Juin 2010 à 09:07



Mustapha Cherif, philosophe, est l'auteur d’ouvrages sur le vivre-ensemble et le dialogue des cultures.
L’appel du 18 juin est un symbole de la France des valeurs d’honneur face à la barbarie. Son auteur, non sans paradoxe, allait comprendre plus tard l’inéluctabilité de la libération des peuples colonisés qui se battaient pour leurs droits. La résistance à l’oppression, les citoyens français de confession musulmane, qui n’ont rien à prouver, savent que c’est cette France qu’ils préfèrent et que le pays des Lumières et des droits de l’homme est une chance réciproque. Notamment au vu de pans de son Histoire, dont la Révolution de 1789, un acquis pour le monde entier. Voltaire, Diderot, Rousseau et tant d’autres figures universelles de la raison qui défendent le droit à la liberté et à la différence sont des maîtres à penser pour tous, tout comme Averroès, Avicenne et Al Farabi.

Terre d’accueil, le pays de Lamartine et de Victor Hugo qui ont écrit de beaux poèmes au sujet du Prophète, est plurielle. Une partie de ses citoyens qui se crispent aujourd’hui face aux musulmans devrait se souvenir que l’esprit du 18 juin, comme celui des Lumières et de la Déclaration des droits de l’homme, ont renforcé le sens des citoyens de confession musulmane à la liberté de conscience et au droit à la critique, afin que le conservatisme et la xénophobie ne l’emportent pas sur l’humanisme et la reconnaissance d’autrui. Ceux-là acceptent les critiques au sujet de comportements fermés et rigoristes des croyants. Ils comprennent que ce n’est pas islamophobe que de s’interroger sur des comportements problématiques.

Les sacrifices des aînés dans les champs de bataille

Ce sont les valeurs d’écoute, de respect mutuel et de dialogue qu’il faut privilégier. Les citoyens de confession musulmane ne désespèrent pas et savent que l’immense majorité des Français reste attachée aux valeurs de la République, celles de liberté, d’égalité et de fraternité. Ce que les citoyens musulmans refusent, ce sont les discriminations, les amalgames et la stigmatisation qui se multiplient. Ils gardent en mémoire les sacrifices de leurs aînés dans les champs de bataille. Vivre ensemble est non pas une nouvelle idéologie, mais un concept des Lumières et des valeurs abrahamiques. Personne ne doit perdre patience et chacun doit avoir le courage de garder confiance en l’autre. Tous les jours la preuve est faite que le partage, les similitudes et les convergences sont plus importants que les différences.

Durant la Seconde Guerre mondiale, des centaines de milliers de musulmans ont combattu le nazisme et beaucoup sont morts, les cimetières et carrés musulmans en France en témoignent. La Grande Mosquée de Paris était un lieu de résistance à l’occupation nazie et d’hébergement pour les juifs. En rive sud, les sociétés musulmanes ont protégé des familles juives. Les leaders des pays du Maghreb ont ouvert la voie de la justice à la population maghrébine pour sauver les juifs. Le roi Mohammed V avait protégé les juifs marocains ; les oulémas, comme Ibn Badis en Algérie, demandèrent aux musulmans de protéger les juifs algériens et leurs biens. En Europe, les citoyens de confession musulmane savent que l’amitié judéo-arabe et islamo-chrétienne est un horizon sage, qui a fait ses preuves durant des siècles. Ils ne confondent pas sionistes extrémistes et judaïsme, intégristes chrétiens et christianisme, intégristes laïcistes dogmatiques et humanisme.

Ils ne veulent pas d’une importation du conflit israélo-palestinien. Ce sont ceux qui pratiquent la politique des deux poids et deux mesures et tolèrent ou pire favorisent l’islamophobie qui l’importent. Les citoyens musulmans soutiennent objectivement la cause palestinienne et savent que, dans l’intérêt général, il faut œuvrer pour la fin de la colonisation en Palestine. Sans faire d’amalgame, sachant qu’il n’y a pas d’alternative au vivre-ensemble, sachant que de nombreux juifs dénoncent également les injustices subies par les Palestiniens et sachant enfin que les Juifs d’Europe ne sont pas des Israéliens occupants, pas plus que les musulmans d’Europe ne sont des Palestiniens poussés au désespoir. Les citoyens de confession musulmane s’opposent aux démagogues qui donnent à cette cause une lecture ethnico-religieuse, alors qu’il s’agit là d’un problème politique.

La France moderne a deux visages que l’on pourrait schématiser ainsi : Jaurès et Maurras, la France ouverte sur le monde et la France frileuse qui fige son identité et choisit la répression. Le maréchal Philippe Pétain s’est enfermé dans l’alliance avec l’Allemagne nazie au nom des « valeurs françaises » et la répression en rive sud a redoublé de férocité, juste après la Libération. Pourtant l’appel du 18 juin n’était pas seulement contre l’Allemagne, l’ennemi « héréditaire » hier de la France, mais était pour la liberté.

Où est la vraie France ? Les citoyens de confession musulmane croient à celle de la liberté, en sachant que celle de la xénophobie est minoritaire, mais portée par l’extrême droite qui déborde de ses champs et intoxique la société. La figure du musulman bouc émissaire a remplacé celle du juif. Les citoyens de confession musulmane sont choqués de tant d’accusations et de préjugés, ce qui, légitimement, doit les amener à dénoncer le moindre incident islamophobe. De plus, ils ont le droit d’exprimer aussi leur fidélité à d’autres appartenances. L’un n’empêche pas l’autre.

La lutte contre l’Allemagne nazie n’était pas une tradition nationale, mais était contre le nazisme, le racisme et l’antisémitisme. L’islamophobie d’aujourd’hui s’inscrit dans une double dérive, celle de l’opposition fabriquée entre le monde chrétien et le monde musulman qui remonte au Moyen Âge, et que l’on peut lire à travers des écrits antisémites et islamophobes, et celle de la xénophobie française qui s’est développée au XXe siècle. Cette dernière dérive s’est renforcée lorsque l’immigration est venue des colonies, comme le montre l’usage inadéquat de l’expression « seconde et troisième génération » encore usitée pour parler des citoyens de confession musulmane devenus français depuis déjà si longtemps.

Depuis la chute du Mur de Berlin et que la crise mondiale morale et économique s’est enclenchée, certains s’inventent un nouvel ennemi pour faire diversion. On peut considérer que cette nouvelle dérive réunit, d’une part, le courant « maurassien », soucieux de fermer ce qu’ils suppose être l’ethnie française, et, d’autre part, un courant laïciste et dogmatique, qui voit dans tout musulman un barbare.

Commémorer le 18 juin 1940 mérite de rappeler la communauté de destin et le fait que les citoyens ont pour tâche de s’unir contre le retour sous de nouvelles formes de la « bête immonde », des atteintes à la dignité humaine et de la xénophobie. Se souvenir que, durant la nuit coloniale, au cours du XXe siècle, en 1914-1918 et en 1940-1945, des musulmans sont morts pour la France et pour la liberté aux côtés d’autres résistants. Ce sont des repères et des liens historiques exceptionnellement forts à méditer.


* Mustapha Cherif est philosophe, professeur des universités et auteur d’ouvrages sur le vivre-ensemble et le dialogue des cultures.