Quinze jours après avoir frôlé sa réélection au premier tour, tout en gagnant les élections législatives, Recep Tayyip Erdoğan l’a donc emporté, lors d’un second tour inédit, depuis que l’élection présidentielle se déroule au suffrage universel en Turquie, en 2014. Son score de 52,1 %, proche de celui qui l’avait vu triompher au premier tour en 2018 (52,3 %), conforte ainsi la position d’un leader que l’on disait usé par le pouvoir, et qui paraissait en situation difficile, tant du fait d’une situation économique dégradée qui sévit depuis plusieurs années que des conséquences de la catastrophe sismique qui a ravagé une partie du sud-est du pays, en février 2023.
Une base électorale résiliente
Les sondages qui voyaient Erdoğan en mauvaise posture dans cette élection présidentielle et prédisaient parfois sa défaite ont sans doute reflété un mécontentement réel dans le pays, y compris chez une partie des électeurs de l’AKP, mais ils ne pouvaient prévoir que, dans l’isoloir, beaucoup d’entre eux refuseraient de franchir le pas de l’alternance. Sur la carte électorale, Kemal Kılıçdaroğlu l’emporte parfois largement dans les zones d’influence traditionnelles de son parti et des formations qui le soutenaient (la Turquie d’Europe, les côtes égéennes et méditerranéennes, le sud-est kurde, la frontière orientale, les provinces d’Ankara, d’Eskişehir et de Tunceli), mais son rival le surclasse sur l’essentiel de la péninsule anatolienne et sur les côtes de la mer Noire ; des régions traditionnellement conservatrices, religieuses et nationalistes.
Des chiffres publiés récemment par l’Institut turc de la statistique (TÜIK) montrent que 82 % des Turcs habitent aujourd’hui en secteur urbain. Au cours des dernières années, l’opposition a entamé l’influence de l’AKP dans les grandes métropoles de l’ouest (Istanbul, Ankara, Antalya…), sans parvenir pour autant à pénétrer significativement ce maillage dense de grandes et de petites villes anatoliennes, fidèles aux valeurs patriarcales et religieuses sunnites, qui constituent le socle électoral de Recep Tayyip Erdoğan.
Des chiffres publiés récemment par l’Institut turc de la statistique (TÜIK) montrent que 82 % des Turcs habitent aujourd’hui en secteur urbain. Au cours des dernières années, l’opposition a entamé l’influence de l’AKP dans les grandes métropoles de l’ouest (Istanbul, Ankara, Antalya…), sans parvenir pour autant à pénétrer significativement ce maillage dense de grandes et de petites villes anatoliennes, fidèles aux valeurs patriarcales et religieuses sunnites, qui constituent le socle électoral de Recep Tayyip Erdoğan.
Figure tutélaire contre alternance incertaine
Auprès de ces populations néo-urbaines, la figure tutélaire d’Erdoğan, associée à l’État et à la religion majoritaire, est restée intacte, face à un challenger alévi d’origine kurde qui, pour elles, représentait l’inconnu. Il n’est que de voir les scores élevés qu’obtient le leader de l’AKP dans la plus grande partie des provinces victimes du désastre sismique. Il est vrai qu’il s’agit pour la plupart de zones d’influence traditionnelles de l’AKP, mais de toute évidence, en ces lieux, on n’a pas tenu rigueur au président sortant des turpitudes constatées, qui ont souvent accru le bilan humain de la catastrophe.
Dans une période d’instabilité économique aggravée par ce séisme, les électeurs d’Erdoğan ont ainsi joué la carte de la continuité. Il faut dire que si Kemal Kılıçdaroğlu était parvenu à rassembler patiemment la plupart des forces d’opposition (kémalistes, nationalistes modérés, dissidents de l’AKP, islamistes historiques), et à obtenir que le parti kurde de gauche (HDP-YSP) lui apporte son appui, en ne présentant pas de candidat, il a eu beaucoup plus de mal à incarner une alternance crédible, surtout après un premier tour qui a vu parallèlement l’alliance de son rival obtenir une majorité absolue au sein du parlement. Dès lors, Recep Tayyip Erdoğan a eu beau jeu de s’interroger sur la capacité de son adversaire à gouverner, voire de rétablir un régime parlementaire, comme il s’y était engagé.
Dans une période d’instabilité économique aggravée par ce séisme, les électeurs d’Erdoğan ont ainsi joué la carte de la continuité. Il faut dire que si Kemal Kılıçdaroğlu était parvenu à rassembler patiemment la plupart des forces d’opposition (kémalistes, nationalistes modérés, dissidents de l’AKP, islamistes historiques), et à obtenir que le parti kurde de gauche (HDP-YSP) lui apporte son appui, en ne présentant pas de candidat, il a eu beaucoup plus de mal à incarner une alternance crédible, surtout après un premier tour qui a vu parallèlement l’alliance de son rival obtenir une majorité absolue au sein du parlement. Dès lors, Recep Tayyip Erdoğan a eu beau jeu de s’interroger sur la capacité de son adversaire à gouverner, voire de rétablir un régime parlementaire, comme il s’y était engagé.
Quand le nationalisme transcende les traditions religieuses
Dans l’équation finale incertaine de cette élection, et de surcroît en contrôlant la plupart des médias mainstream ou en multipliant les mesures clientélistes (hausse du salaire des fonctionnaires, réduction des factures de gaz, distributions de jouets et de billets de banque), Erdoğan a été moins handicapé par son bilan économique immédiat, et a pu de ce fait continuer à jouir d’un apriori positif, étroitement lié à ses réalisations passées, et à l’idée de grandeur qu’il s’est employé aussi à incarner, tout au long de sa campagne. Inaugurant la première centrale nucléaire turque, il est resté l’homme des grands travaux. Scellant le lancement du premier porte-avions (devenu porte-drones) turc, il est demeuré celui qui a fait de la Turquie un acteur qui compte sur la scène internationale.
Desservi cependant par la présence sur le sol turc de 3,5 millions de réfugiés syriens, attribuée à sa politique migratoire, il a su obtenir le soutien de Sinan Oğan, surprenant troisième homme du premier tour avec 5,1 % des voix, dont c’était la thématique de campagne. Ainsi, après un entre-deux tours dominé par cet enjeu, et empreint d’une rhétorique très nationaliste de part et d’autre, a-t-il pu bénéficier de cette précieuse réserve de voix, lors d’un scrutin fortement disputé, qui reflète une Turquie plus polarisée que jamais.
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Jean Marcou est professeur à Sciences Po Grenoble. Directeur des relations internationales de cet établissement, il dirige le Master Méditerranée-Moyen-Orient (MMO). Imad Khillo, maître de conférences à Sciences Po Grenoble, est chercheur associé à l'Institut de recherche et d'études Méditerranée Moyen-Orient (IREMMO). Ils sont tous deux membres du séminaire de recherche « Géopolitique et religions autour de la Méditerranée : entre permanence et recomposition » du Collège des Bernardins.
Lire aussi :
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Séismes en Turquie et en Syrie : la solidarité internationale à l'épreuve des enjeux géopolitiques
Desservi cependant par la présence sur le sol turc de 3,5 millions de réfugiés syriens, attribuée à sa politique migratoire, il a su obtenir le soutien de Sinan Oğan, surprenant troisième homme du premier tour avec 5,1 % des voix, dont c’était la thématique de campagne. Ainsi, après un entre-deux tours dominé par cet enjeu, et empreint d’une rhétorique très nationaliste de part et d’autre, a-t-il pu bénéficier de cette précieuse réserve de voix, lors d’un scrutin fortement disputé, qui reflète une Turquie plus polarisée que jamais.
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Jean Marcou est professeur à Sciences Po Grenoble. Directeur des relations internationales de cet établissement, il dirige le Master Méditerranée-Moyen-Orient (MMO). Imad Khillo, maître de conférences à Sciences Po Grenoble, est chercheur associé à l'Institut de recherche et d'études Méditerranée Moyen-Orient (IREMMO). Ils sont tous deux membres du séminaire de recherche « Géopolitique et religions autour de la Méditerranée : entre permanence et recomposition » du Collège des Bernardins.
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