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Religions

Assises de l’islam : les musulmans du terrain à l’appel des préfets

Rédigé par | Vendredi 21 Septembre 2018 à 08:10

           

Durant la première quinzaine de septembre, recteurs de mosquée, imams, responsables associatifs du culte musulman et acteurs engagés dans l’interreligieux et le culturel ont été conviés à participer aux assises territoriales de l’islam de France. Objectif : faire part aux représentants de l'État du diagnostic qu’ils portent sur l’organisation de la deuxième religion de France. Et surtout faire montre de leur force de propositions s’agissant de la gouvernance et du financement du culte musulman.



Le 13 septembre, quelque 100 personnes se sont réunies aux assises départementales de l'islam à la Préfecture de Paris. Trois tables rondes étaient organisées, animées en binôme par un universitaire et un responsable musulman. Les assises ont été inaugurées par un discours du préfet de Paris Michel Cadot et par celui du préfet de police de Paris Michel Delpuech.
Le 13 septembre, quelque 100 personnes se sont réunies aux assises départementales de l'islam à la Préfecture de Paris. Trois tables rondes étaient organisées, animées en binôme par un universitaire et un responsable musulman. Les assises ont été inaugurées par un discours du préfet de Paris Michel Cadot et par celui du préfet de police de Paris Michel Delpuech.
L’heure a sonné. Avant le 15 septembre, tous les préfets devaient avoir organisé les Assises territoriales de l’islam de France, sur injonction du ministère de l’Intérieur. La feuille de route était claire : il s’agit d’« aborder les thèmes de la représentation institutionnelle de l’islam de France, de la gouvernance des lieux de culte, du financement du culte et de la formation des ministres du culte ».

Le 25 juin, Gérard Collomb leur avait ordonné, par voie de circulaire, de réunir les représentants locaux de l’islam au sein d’instances de dialogue, sur le même mode que celles qui avaient été initiées sous l’ère Cazeneuve mais, cette fois-ci, sur le plan départemental.

Cet appel, lancé au tout début de l’été, avait surtout l’air d’un gros coup de bourre dans le dossier « Organisation de l’islam », pour lequel le président de la République avait souligné, en début d’année, « l’engagement de l’État aux côtés du culte musulman ».

Emmanuel Macron avait promis des annonces pour la fin du premier semestre 2018. Celles-ci seront finalement reportées pour cet automne

Un casting essentiellement masculin et religieux

Qu’importe, les préfectures ont joué le jeu. Dès le 18 juillet, la préfecture d’Eure-et-Loir lance une consultation en ligne dans le but de « nourrir une synthèse départementale des propositions les plus innovantes ». Une simple page blanche à remplir de ses désidératas. Drôle de méthode pour faire émerger les interactions et le débat et pour s’adresser à une partie de la population peu encline à écrire. Le 8 septembre cependant, l’Eure-et-Loir réunit ses administrés musulmans. À l’instar des autres préfectures (Ardèche, Bas-Rhin, Hérault, Meurthe-et-Moselle…) qui ont organisé des assises territoriales de l’islam durant les deux premières semaines de septembre.

Le casting est assez semblable d’une région à l’autre. Sont conviés des recteurs de mosquées, des imams, des membres du conseil régional du culte musulman, des aumôniers de prison ou hospitaliers, des élus locaux, des responsables associatifs, quelques intellectuels et universitaires. Et sur le panel pouvant aller de 20 à 50 personnes, on relève, à chaque fois, une toute petite poignée de jeunes et de femmes.

Après le discours liminaire du préfet, place à la parole des intéressés, chacun énonçant tour à tour ses griefs et, plus rarement, ses propositions. Le préfet de Seine-Saint-Denis Pierre-André Durand ne manque pas de rappeler qu’il n’a pas attendu les assises du 13 septembre pour rencontrer les responsables musulmans : « Je vous ai déjà réunis trois fois et continuerai à vous rencontrer », promet-il.

Risque de putsch

Les participants habitués à être sollicités par les élus ou l’administration sont venus par politesse sans rien attendre de particulier. Un peu désabusés, ils savent qu’il ne s’agit là que de recueillir la parole. Le diagnostic sur le manque de transparence du financement des mosquées, de leurs difficultés de bonne gestion, l’indigence de la formation des responsables du culte, l’absence de statut des imams, le manque de moyens des CRCM, le manque de légitimité du CFCM, la taxe sur le halal comme fausse bonne idée est en effet déjà posé depuis des années.

Le 13 septembre, le préfet de Seine-Saint-Denis réunissait une trentaine de personnes aux assises départementales de l’islam. Parmi l'assemblée, de nombreux représentants de mosquées (Noisy-le-Grand, Montfermeil, Pierrefitte, Drancy, Bagnolet...).
Le 13 septembre, le préfet de Seine-Saint-Denis réunissait une trentaine de personnes aux assises départementales de l’islam. Parmi l'assemblée, de nombreux représentants de mosquées (Noisy-le-Grand, Montfermeil, Pierrefitte, Drancy, Bagnolet...).
Les participants conviés pour la première fois ont, en revanche, eu le sentiment d’être honorés. Beaucoup ont préparé leur listing d’idées à soumettre. Pas forcément nouvelles, mais ces idées ont eu la fraicheur d’être émises par des personnes plutôt issues du secteur associatif laïque (association de cours de langue ou cours de soutien, association culturelle ou artistique…).

Leurs conseils ? S’inspirer des bonnes pratiques (gestion, communication, gouvernance partagée, label) du monde associatif non religieux. « Il faut davantage de synergie entre associations laïques et associations religieuses », préconise une présidente d’une association organisatrice de conférences.

Faire appel aux compétences des membres de la société civile, est-il aussi préconisé. « Nous avons aujourd’hui des experts-comptables, des juristes, des communicants et des entrepreneurs parmi les musulmans ! », clame-t-on. « Dans les conseils d’administration des mosquées, il faut des gens d’action, pas seulement des penseurs », souligne une artiste-scénographe. « Et il faut veiller à ce que soient présentes les différentes sensibilités religieuses indispensables à la gouvernance. Où sont les soufis ? », s’interroge-t-elle.

« Une place conséquente doit être donnée aux femmes non seulement dans les conseils d’administration mais aussi dans l’espace physique du lieu de culte. J’ai moi-même été interdite d’entrée dans des mosquées sous prétexte qu’il n’y a pas de place. Ou alors c’est dans un garage, qui sert plus de cuisine que de lieu de prière, qu’on nous assigne », tonne une présidente d’une association de lutte contre les discours de haine sur les réseaux sociaux. « Il faut renforcer les compétences par des formations pour les imams mais aussi pour les administrateurs des lieux de culte », renchérit une présidente d’association qui organise des sorties culturelles. « Et doter les mosquées de moyens numériques francophones », poursuit-elle. Les passerelles entre le cultuel et le culturel doivent être plus fournies, entend-on : « L’islam n’est pas que dans la mosquée. »

À entendre cette salve de propositions, les revendications les plus vives viendraient-elles des femmes, bien qu’elles aient été minoritaires à avoir participé aux assises ? Les jeunes, pour leur part, ont aussi leur mot à dire. Un responsable d’école de langue arabe donne l’alerte : « Le fossé se creuse à l’intérieur de la mosquée. Le fidèle a l’impression qu’il est coupé de ses gouvernants. Il entre et sort juste pour prier. Mais il ne connait pas l’organigramme ni comment sont prises les décisions. » « La gestion à l’ancienne, c’est fini. Il y a un risque de putsch ! », prévient-il. « Nous, les jeunes, on a les diplômes, on sait gérer et on peut former les gens. »

Assemblée plénière ou ateliers

La plupart des assises se sont déroulées dans une vaste salle, en assemblée plénière d’une demi-journée. À Marseille, la préfecture des Bouches-du-Rhône y a consacré toute la journée du 10 septembre.

Le matin, trois groupes ont planché successivement sur les trois thèmes : enjeux de la représentation (CFCM, structures complémentaires, modalités de scrutin) ; gouvernance et financement du culte ; formation et statuts des ministres du cultes, des responsables associatifs et des enseignants en religion. L’après-midi, trois nouveaux groupes, chacun ayant un seul des trois thèmes, ont mélangé les participants du matin et ont eu pour objet de formuler des propositions. Une séance plénière de restitution a eu lieu par la suite.

Dans la foulée, tous les participants des assises des Bouches-du-Rhône ont reçu par mail la synthèse de leurs propositions. Ce que les autres préfectures n’ont pas pris la peine d’effectuer, leur objectif premier étant de rendre leurs copies en temps et en heure au ministre de l’Intérieur. Un goût de pompage d’idées et d’inachevé pour les participants qui, eux, n’ont pas trace de leurs échanges pour continuer à avancer, sans attendre que la bonne parole vienne du sommet de l’État.

L’échelon départemental, une nécessité

À Paris, toutefois, le préfet Michel Cadot s’est engagé à envoyer la synthèse au président du conseil régional du culte musulman d’Île-de-France (à charge de celui-ci de la diffuser auprès des participants). Il se dit « déterminé à donner suite à ce travail ». « Je n’exclus pas de continuer à avancer dans un cadre d’initiatives locales », a-t-il déclaré à la fin de la matinée du 13 septembre.

Réunissant le plus gros contingent avec près d’une centaine de participants, les assises parisiennes n’avaient rien de très local. En sus des imams et responsables des lieux de culte parisiens, on y a surtout vu les représentants des principales fédérations musulmanes et des associations nationales (Fédération nationale de l’enseignement musulman, Scouts musulmans de France, Groupe d’amitié islamo-chrétienne, Institut européen des sciences humaines…). Une instance de dialogue semblable à celle de la place Beauvau mais en miniature.

Cependant, les trois ateliers ont dégagé quelques lignes de force. Concernant la gouvernance, elle se doit d’être plus inclusive : avec un rôle et une présence accrus des jeunes et des femmes, la prise en compte des différents courants de pensée au sein de l’islam tout en se détachant des pays d’origine, une remise en cause du mode de scrutin actuel pour les CRCM et le CFCM.

Concernant le financement, la question de la redevance sur le halal et le pèlerinage n’a pu être tranchée. Ce qui doit être mis en œuvre avant tout, ce sont les conditions de bonne gestion associative, la confiance et la transparence, la professionnalisation et la mutualisation des ressources.

Concernant la formation, la compétence linguistique est un prérequis au suivi d’un DU, lequel pourrait être validé en deux ans compte tenu des responsabilités familiales et professionnelles engagées par ailleurs. Il est suggéré la création d’une maison des sciences de l’islam, dont les enseignements seraient à mi-chemin entre ceux d’un département d’islamologie universitaire et ceux d’un institut privé musulman.

Mais une proposition revient surtout, quelles que soient les régions : c’est l’importance de l’échelon départemental. Qu’il s’agisse d’échanger les bonnes pratiques en matière de gouvernance ou de financement, de constituer un conseil des sages (ou des imams, ou des responsables associatifs), de fluidifier les échanges avec les pouvoirs publics, la structuration au niveau départemental semble devenue une nécessité. Être plus local et faire confiance à celles et à ceux qui s’engagent sur le terrain, c’est peut-être la bonne leçon à tirer des assises territoriales de l’islam de France.

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Journaliste à Saphirnews.com ; rédactrice en chef de Salamnews En savoir plus sur cet auteur


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