Points de vue

Attentats au Sri Lanka : l’avenir de notre monde dépend de l’acceptation du tous par tous

Rédigé par Adel Taamalli | Jeudi 25 Avril 2019 à 16:36



La roulette russe du carnage a encore frappé au hasard de ses terribles tournoiements. Après la Nouvelle-Zélande en mars, le Sri Lanka est aujourd'hui sous le choc depuis la série d'explosions qui a visé des hôtels de luxe et des églises, souillant à jamais ce dimanche de Pâques. Des innocents qui, pour unique tort, se trouvaient sur les lieux à l’heure du drame, et ont suivi dans la tombe les fidèles musulmans de Christchurch, tout aussi innocents. Comble de l'horreur, sur les 350 décès enregistrés, 45 enfants et adolescents font partie de la liste des victimes touchées par la mort violente et soudaine qui caractérise au premier chef les attaques terroristes.

Depuis le 11 septembre 2001 et même au-delà, un tourbillon sinistre, telle une sauterelle avide de sang, saute de pays en pays pour attiser les braises des affrontements qui pourraient colorer la teinte de notre futur. Alors que nous n'avons jamais autant produit de biens et de services censés nous mettre collectivement à l'abri de la détresse, une véritable roue du malheur puisant son énergie dans son propre mouvement tourne et tourne continuellement. Elle menace rien de moins que la paix civile dans nos pays connaissant par la force de l’Histoire une « multiculturalisation » de fait.

Quelles solutions avons-nous pour tenter de la briser et voir notre monde entrer de plain-pied dans la Fin de l'Histoire, cette prédiction de Francis Fukuyama d'après laquelle la démocratie libérale est, d’un point de vue tout autant politique que philosophique, le bien ultime et définitif de l'humanité ?

L'extrême utilité des appels à l'unité

Les dirigeants de ce monde ont un devoir d'anticipation. Protéger les populations dont ils ont la responsabilité des soubresauts qui entraîneraient le déclenchement de graves conflits interculturels fait partie de leur mission. Sauver l'intégrité de leur nation constitue pour eux, si l’on veut parler comme Kant, un impératif catégorique. Il n'y a pas à lésiner sur ce constat. Aucun doute n'est admis. Ceux qui s’en écartent ouvertement lorsque la cruauté blesse fortement leur pays manquent à leurs obligations morales.

C'est pourquoi, face aux attaques terroristes, la plus sage des réactions est d'appeler immédiatement à l'unité du pays touché. Le spectacle du déchiquetage, au hasard des bombes, de corps de civils innocents et de leurs familles éplorées ne rend certes pas la chose évidente. Céder, en conséquence de ces assassinats indiscriminés et lâches, à la facilité de la haine visant un groupe particulier pourrait même être l’option privilégiée. Il faut donc rendre hommage aux dirigeants qui, dans leurs déclarations et actions publiques, savent garder en ligne de mire la préservation de l'harmonie sociétale.

C'est ce qu'avait magistralement montré Jacinda Ardern après la tuerie de Christchurch. C'est la voie actuellement empruntée par les dirigeants sri-lankais. Exerçant ses fonctions dans le cadre d'une cohabitation avec un président de gauche, le Premier ministre de droite du Sri Lanka a fait honneur à ce principe. Rappelons son nom pour la postérité : il s'agit de Ranil Wickremesinghe dont il est à espérer qu’il persistera dans cette perspective unificatrice, sans que l’on oublie pour autant l’existence de rivalités qu’il a nouées tout au long de l’année écoulée avec le président en exercice et qui font craindre, dans le pays, une instrumentalisation des attentats de Pâques.

Défendre les idées démocratiques de liberté et d’égalité

Tant qu'existeront des personnes qui ne développeront aucune forme d'attachement à la démocratie libérale, entendue comme l'arène au sein de laquelle l'expression libre des convictions politiques, philosophiques ou religieuses est légitime en tant que telle, l'idée d'inégalité entre les Hommes subsistera à l’intérieur de l’intersubjectivité humaine. Or l’adhésion à cette croyance de l’inégalité entre les Hommes est le germe à partir duquel les terroristes élaborent à l'avance leur propre absolution des crimes qu'ils s'apprêtent à commettre.

Tuer l'Autre parce qu'il ne mérite pas d'être considéré comme un alter ego inaliénable est la motivation fondamentale de tout terrorisme. Le cercle vicieux de la vengeance et de la contre-vengeance se met alors en branle, empêchant d’envisager que l'Autre soit le Même, c'est-à-dire un être possédant une valeur intrinsèque équivalente. Pour inverser cette dangereuse tendance au Mal qui risque de nous emporter dans les pires tourments, la pratique du Bien représente notre meilleure alliée.

Christchurch a été l'œuvre d'un adepte du suprématisme blanc ? Les organisations islamiques des pays où des musulmans côtoient des Blancs, notamment celles des pays occidentaux, doivent multiplier les occasions de dialogue et d’actions défendant la démocratisation du monde, y compris dans les Etats du monde musulman. La récente rencontre des musulmans du Bourget était un lieu idéal pour ce faire.

Le Sri Lanka a été frappé par des jihadistes, en représailles aux attentats de Christchurch d’après les autorités sri-lankaises ? Les chrétiens du pays, qui ont été en priorité visés, et les bouddhistes, qui regroupent la majorité de la population, sont dorénavant en charge d’une lourde responsabilité. Celle-ci vise à la protection de leur vivre-ensemble dans un pays multiconfessionnel qui a connu une longue guerre civile, dont le dernier feu a été tiré il y a dix ans à peine.

La sortie compréhensible de l’archevêque de Colombo, dans laquelle il demande que les auteurs des attentats soient « punis sans pitié », doit s’accompagner d’un dialogue initié par les autorités chrétiennes du pays à l’adresse de leurs homologues musulmans. Elles démontreraient ainsi qu’elles ne confondent pas les terroristes se réclamant d’une religion qu’ils dévoient et les musulmans qui vivent leur foi de manière pacifique. De même, les bouddhistes, dans un pays qui a connu des attaques antimusulmanes il y a quelques mois, sont en mesure d’appuyer, en répétant à l’envi les gestes de tolérance, l’idée que les Sri-Lankais de confession musulmane sont leurs égaux en termes de citoyenneté et leurs frères en humanité.

Vers la Fin de l’Histoire

Nous semblons impuissants face à la barbarie. Nous en sommes même apeurés car nous savons où veulent nous entrainer ces fous de sang. S’accrochant à une identité univoque fantasmée et ce, avec une démesure telle qu’elle légitime les crimes de masse, les terroristes et ceux qui les appuient en oublient pourtant que « l’acceptation du tous par tous » est sans doute l’avenir de notre monde en voie de « multiculturalisation ».

Esther Benbassa le dit mieux que nous, quand elle évoque ce qui, en priorité, définit notre temps : « Parlons (…) de pluralisation culturelle comme d’un processus en marche que rien ne pourra arrêter, y compris si l’on fermait hermétiquement les frontières, à supposer que cela soit possible. » (De l’impossibilité de devenir Français. Nos nouvelles mythologies nationales, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2012)

L’harmonie au sein des peuples ne peut souffrir l’exclusion d’une ou de quelques-unes de leurs composantes culturelles. Par conséquent, l’unité inhérente aux nations, la liberté intégrale de chacun des citoyens les constituant, enfin leur égalité réelle, représentent le triptyque nécessaire à l’enclenchement des forces collectives qui auront la faculté d’annihiler progressivement le succès actuel des groupes terroristes (et des idéologies qui les sous-tendent). La défense de ces trois valeurs est la condition sine qua non pour préparer l’avènement du monde de demain, lorsque nos descendants vivront réellement, à l’échelle de notre planète, la Fin de l’Histoire.

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