Québec : Naïma Atef Amed, 29 ans, d'origine égyptienne, suivait des cours de français ; elle en a été exclue en mars dernier pour port du niqab.
D'un bout à l'autre de l'Europe et dans chaque pays, le débat fait rage sur l'habillement des musulmanes, plus précisément sur le niqab, c'est-à-dire le voile qui recouvre le visage, et sur la burqa, c'est-à-dire le vêtement qui recouvre intégralement le corps, la tête et le visage et sur le hijab ou simple foulard.
Tout récemment, la controverse a atteint la province canadienne du Québec. Et, comme en Europe, le débat tend à ignorer la diversité qui existe au sein même des sociétés musulmanes, ainsi que les avancées remarquables faites par les musulmans pour s'intégrer et participer activement à la vie de leurs communautés.
Selon la législation qui est envisagée au Québec, les musulmanes seraient forcées de choisir entre le niqab et l'accès aux administrations publiques. Ce projet, connu sous le nom de Projet n° 94 témoigne d'une conception étriquée, fondée sur des stéréotypes, de l'intégration des minorités religieuses.
Après l'assouplissement des lois régissant l'immigration à la fin de la décennie soixante, le Québec est devenu une destination de choix pour les émigrés musulmans venant au Canada. Le bilinguisme était un atout précieux pour les cadres francophones et pour les ouvriers qualifiés d'Asie et d'Afrique en quête de débouchés à l'étranger. Grâce à la politique de bilinguisme du Canada, qui fait de l'anglais et du français les deux langues officielles du pays, l'Europe cessait d'être la seule nouvelle patrie envisageable. Les portes de l'Amérique du Nord aussi s'étaient ouvertes.
Ces musulmans arrivaient d'Afrique du Nord et du Proche-Orient pour étudier, ou pour occuper des postes disponibles dans les universités, les hôpitaux, les usines. Eux qui venaient des anciennes colonies françaises n'avaient aucune peine à se glisser dans la culture québécoise. D'autres immigrants musulmans, qui ne connaissaient pas la langue, l'ont apprise dans le cadre de leur intégration. Le recensement de 2001 révélait que plus de la moitié des musulmans de la province parle français à la maison, la proportion la plus élevée de toutes les communautés confessionnelles de la province.
Le même recensement a aussi établi que la proportion de Canadiens qui utilisent les deux langues officielles dans leur cadre professionnel est deux fois plus élevée chez les musulmans que dans la moyenne de la population, prouvant ainsi que tant les immigrants de fraîche date que les citoyens déjà bien établis sont désireux de s'insérer dans la culture locale. Et pourtant, malgré tout cela, le niqab, qui n'est porté que par une infime minorité de musulmanes, est devenu le symbole de la réticence de cette population à changer et à respecter les valeurs du Québec.
En les contraignant à choisir entre le niqab et l'accès aux administrations gouvernementales, le gouvernement se propose de réaliser l'intégration et l'égalité de sexes. Y parviendra-t-il ?
Si le niqab était effectivement le symbole de la subordination aux hommes, comme le laisse entendre le Premier ministre, Jean Charest, qui invoque l'égalité pour justifier le projet n° 94, la décision de ne pas le porter, accès aux services de l'administration ou pas, serait prise, non pas par les intéressées, mais par leurs pères ou leurs maris
Déjà moquées dans la rue, dénigrées dans les médias, ces femmes au niqab verraient leurs libertés reculer encore si le projet devenait loi.
Dans les sociétés dynamiques, le changement est un processus naturel. Comme dans le reste du Canada, la culture québécoise s'est construite sur le métissage de peuples d'origines et de mentalités différentes. Cette même interaction entre les musulmans et les autres Canadiens, et entre musulmans de cultures différentes, est un facteur de changement qui débouche sur une nouvelle identité islamo-canadienne qui ne sacrifie ni la religion ni l'ethnicité.
Elles ne sont d'ailleurs pas en reste, ces femmes musulmanes qui sont le fer de lance de ce nouveau phénomène. Une nouvelle traduction anglaise du Coran par Laleh Bakhtiar, une érudite musulmane, remet en question certaines interprétations traditionnelles des versions traduites jusqu'ici par des hommes. Des musulmanes ont aussi forcé à un débat public sur le droit musulman de la famille lorsqu'un mouvement entièrement masculin a tenté d'obtenir qualité juridique pour faire appliquer les arbitrages rendus par les tribunaux de la famille musulmane en Ontario.
En 2004, sensible à la nouvelle tendance, un imam de Toronto a pris la décision inouïe d'inviter une paroissienne à prononcer le prêche de l'Aïd El Fitr, chose qui n'a en fait même pas vraiment attiré la critique des imams de quartier.
La culture est une norme qui évolue, surtout dans une société pluraliste. C'est le mécanisme social qui permet aux membres d'une société - anciens et nouveaux venus - de s'adapter à des situations nouvelles. Il appartient aux états démocratiques ouverts de faciliter cette évolution et non de la dicter au prix d'une restriction des libertés.
* Daood Hamdani est l'auteur du livre sur les musulmanes du Canada In the Footsteps of Canadian Muslim Women 1837-2007.
Tout récemment, la controverse a atteint la province canadienne du Québec. Et, comme en Europe, le débat tend à ignorer la diversité qui existe au sein même des sociétés musulmanes, ainsi que les avancées remarquables faites par les musulmans pour s'intégrer et participer activement à la vie de leurs communautés.
Selon la législation qui est envisagée au Québec, les musulmanes seraient forcées de choisir entre le niqab et l'accès aux administrations publiques. Ce projet, connu sous le nom de Projet n° 94 témoigne d'une conception étriquée, fondée sur des stéréotypes, de l'intégration des minorités religieuses.
Après l'assouplissement des lois régissant l'immigration à la fin de la décennie soixante, le Québec est devenu une destination de choix pour les émigrés musulmans venant au Canada. Le bilinguisme était un atout précieux pour les cadres francophones et pour les ouvriers qualifiés d'Asie et d'Afrique en quête de débouchés à l'étranger. Grâce à la politique de bilinguisme du Canada, qui fait de l'anglais et du français les deux langues officielles du pays, l'Europe cessait d'être la seule nouvelle patrie envisageable. Les portes de l'Amérique du Nord aussi s'étaient ouvertes.
Ces musulmans arrivaient d'Afrique du Nord et du Proche-Orient pour étudier, ou pour occuper des postes disponibles dans les universités, les hôpitaux, les usines. Eux qui venaient des anciennes colonies françaises n'avaient aucune peine à se glisser dans la culture québécoise. D'autres immigrants musulmans, qui ne connaissaient pas la langue, l'ont apprise dans le cadre de leur intégration. Le recensement de 2001 révélait que plus de la moitié des musulmans de la province parle français à la maison, la proportion la plus élevée de toutes les communautés confessionnelles de la province.
Le même recensement a aussi établi que la proportion de Canadiens qui utilisent les deux langues officielles dans leur cadre professionnel est deux fois plus élevée chez les musulmans que dans la moyenne de la population, prouvant ainsi que tant les immigrants de fraîche date que les citoyens déjà bien établis sont désireux de s'insérer dans la culture locale. Et pourtant, malgré tout cela, le niqab, qui n'est porté que par une infime minorité de musulmanes, est devenu le symbole de la réticence de cette population à changer et à respecter les valeurs du Québec.
En les contraignant à choisir entre le niqab et l'accès aux administrations gouvernementales, le gouvernement se propose de réaliser l'intégration et l'égalité de sexes. Y parviendra-t-il ?
Si le niqab était effectivement le symbole de la subordination aux hommes, comme le laisse entendre le Premier ministre, Jean Charest, qui invoque l'égalité pour justifier le projet n° 94, la décision de ne pas le porter, accès aux services de l'administration ou pas, serait prise, non pas par les intéressées, mais par leurs pères ou leurs maris
Déjà moquées dans la rue, dénigrées dans les médias, ces femmes au niqab verraient leurs libertés reculer encore si le projet devenait loi.
Dans les sociétés dynamiques, le changement est un processus naturel. Comme dans le reste du Canada, la culture québécoise s'est construite sur le métissage de peuples d'origines et de mentalités différentes. Cette même interaction entre les musulmans et les autres Canadiens, et entre musulmans de cultures différentes, est un facteur de changement qui débouche sur une nouvelle identité islamo-canadienne qui ne sacrifie ni la religion ni l'ethnicité.
Elles ne sont d'ailleurs pas en reste, ces femmes musulmanes qui sont le fer de lance de ce nouveau phénomène. Une nouvelle traduction anglaise du Coran par Laleh Bakhtiar, une érudite musulmane, remet en question certaines interprétations traditionnelles des versions traduites jusqu'ici par des hommes. Des musulmanes ont aussi forcé à un débat public sur le droit musulman de la famille lorsqu'un mouvement entièrement masculin a tenté d'obtenir qualité juridique pour faire appliquer les arbitrages rendus par les tribunaux de la famille musulmane en Ontario.
En 2004, sensible à la nouvelle tendance, un imam de Toronto a pris la décision inouïe d'inviter une paroissienne à prononcer le prêche de l'Aïd El Fitr, chose qui n'a en fait même pas vraiment attiré la critique des imams de quartier.
La culture est une norme qui évolue, surtout dans une société pluraliste. C'est le mécanisme social qui permet aux membres d'une société - anciens et nouveaux venus - de s'adapter à des situations nouvelles. Il appartient aux états démocratiques ouverts de faciliter cette évolution et non de la dicter au prix d'une restriction des libertés.
* Daood Hamdani est l'auteur du livre sur les musulmanes du Canada In the Footsteps of Canadian Muslim Women 1837-2007.
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