Points de vue

Avicenne, le savoir sans relâche

Rédigé par Seyfeddine Ben Mansour | Mardi 5 Novembre 2013 à 06:00



Jusqu’au 5 janvier prochain se tient à l’Institut du monde arabe une exposition intitulée « Lumières de la sagesse : écoles médiévales d’Orient et d’Occident ». Le visiteur y est invité à plonger dans l'univers de l'enseignement médiéval et à explorer son rôle dans la circulation des savoirs entre Orient et Occident.

L'occasion en est la réouverture de la bibliothèque de la Sorbonne, une des premières institutions non musulmanes à avoir diffusé, dès le XIe siècle, le savoir médical et philosophique d’Abû ‘Alî al-Husayn Ibn ‘Abd Allâh Ibn Sînâ, ‒ Avicenne, de son nom latin. Son ouvrage le plus fameux, Le Canon de la médecine (al-Qanûn fî at-tibb) constituera jusqu’au XVIIe siècle la base de la formation des étudiants en médecine à Paris, à Montpellier ou à Bologne.

Un prodige d'intelligence

Avicenne naît en 980 à Afshana, près de Boukhara, une région turcomane de culture iranienne. Son père, haut fonctionnaire de l’administration samanide, confie son éducation aux meilleurs maîtres. L’enfant est un prodige d’intelligence et de mémoire. A l'âge de 10 ans, il connaissait le Coran par cœur et avait été initié à la littérature arabo-persane, comme à la théosophie ismaélite. Il a appris les mathématiques et la jurisprudence islamique avec Ismaïl l'Ermite et an-Natili lui a enseigné la philosophie, la géométrie d’Euclide et l’Almageste de Ptolémée.

Dès l’âge de 14 ans, il devient intellectuellement autonome : il explique la logique d’Euclide à son maître an-Natili, et entame seul l’étude de la médecine. A 16 ans, des médecins de renom travailleront sous sa direction. A 17 ans, il parvient à guérir d’une maladie grave le prince du Khorassan. Reconnaissant, Nouh al-Mansour mettra à sa disposition le riche fonds de la bibliothèque des princes samanides.

Un homme de savoir et un homme d'Etat

A 18 ans, le jeune homme possédait un savoir encyclopédique. Il n’aura de cesse de le développer. En médecine et en philosophie, certes, ses deux domaines de prédilection, mais aussi dans des disciplines aussi diverses que la physique, la chimie, l’astronomie, les mathématiques, les sciences religieuses (exégèse coranique et morale) ou encore les sciences humaines comme l’économie et la politique, où il a su tirer parti de son expérience d’homme d'État. Il a en effet assumé la charge de ministre sous l'émir bouyide Shams ad-Dawla. Avicenne n’était donc pas seulement un spéculatif, un savant enfermé dans sa tour d’ivoire, mais un homme aux prises avec les réalités de ce monde, qu’il essayait de comprendre, d’ordonner, de rendre intelligibles, et sur lesquelles, singulièrement, il voulait que l’homme puisse agir.

Une pensée systématique

Des années durant, il s’imposera un rythme de travail harassant, vaquant à ses charges administratives le jour, et rédigeant ses traités scientifiques la nuit. Il en mourra. Il disparaît en effet précocement à l’âge de 57 ans. Il laissera néanmoins une œuvre qui fait de lui aujourd’hui un des plus grands savants de tous les temps. Grâce à ses qualités de précision et d'ordre, il a réduit en systèmes synthétiques et clairs les connaissances de ses prédécesseurs grecs et arabes et les a augmentés.

Il est ainsi le premier philosophe de langue arabe dont la pensée soit véritablement systématique. Le lecteur moderne y découvre notamment une préfiguration du cogito cartésien, l’idée selon laquelle notre perception est la première certitude de notre existence ; une sorte de senso ergo sum. Refusant l'astrologie et l’alchimie, Avicenne n'attachait d'importance qu'à l'expérimentation et à l'analyse, ‒ et ne reconnaissait que ce qui était scientifiquement explicable.

Première parution de l'article dans Zaman, le 25 octobre 2013.