Le tableau est dressé. Nous sommes à Place de Clichy, dans le dix-septième arrondissement parisien. Il est dix-huit heures trente. Juste en dessous d’une affiche du dernier comics américain programmé dans le cinéma de quartier, Superman returns, symbole souvent brandi de l’impérialisme outre-atlantique, un orateur prends la parole. « Résistance, la voix de l’existence », « Israël, criminel, Etats-Unis, Etat de barbarie. Attaque au Liban, Chirac complice ». Le ton est donné.
L’émotion est palpable
Les régimes arabes ont été conspués par les manifestants pour leur silence
En fait, les choses ont commencé deux rues plus bas. Répondant à l’appel de quelques associations pro palestiniennes, dont la Campagne civile internationale pour la protection du peuple palestinien, le parti des travailleurs tunisiens ou encore le Collectif des musulmans de France, pas loin de cinq mille personnes se sont retrouvées face aux vitrines des magasins Tati, dans le quartier de Barbès.
Faisant écho à une mobilisation organisée dans l’ensemble des capitales européennes, arabes et jusqu’en Australie, cette nouvelle manifestation contre les bombardements et l’invasion israélienne du Liban et des territoires palestiniens avait incontestablement quelque chose de particulier.
Au milieu des drapeaux libanais et palestiniens flottant dans l’air caniculaire, des bannières endeuillées et des affiches sonnant la révolte ou réclamant la justice, l’émotion était bien là, palpable. Depuis le camion-sono, roulant en tête de cortège, une chanson cristallise à merveille cette tristesse. Le célèbre morceau de la chanteuse libanaise Fairuz sur la Palestine.
Entre deux passages de ce classique, les prêches enflammés et inspirés de Youssuf Boussouma, talentueux harangueur de foules, contempteur des régimes arabes, anime ce splendide défilé ou se côtoient pèle mêle, Libanais de France, Français partis du Liban, Arabes et Juifs pacifistes.
Viviane Cohen fait partie de ces quelques femmes de confession juive qui ont fait le déplacement. « Je suis extrêmement triste. Je ressens de la rage. Ce qui se passe est absolument scandaleux. J’attends et j’espère une force d’interposition suffisamment puissante pour arrêter Israël dans son attaque totalement injustifiée. »
Samba est lui descendu pour s’insurger « contre les attaques israéliennes et l’injustice qui règne dans la communauté internationale, le silence complet des grandes puissances, des pays musulmans, en particulier des pays arabes, Arabie Saoudite en tête. Il faudrait qu’ils arrêtent de se moquer de nous. »
Quant on l’interroge sur le silence international après les bombardements israéliens, il répond ne rien y comprendre. « C’est inexplicable. J’ai du mal à le comprendre même si l’on sait que la communauté internationale est aux bottes des Américains et que ceux-ci sont les grands protecteurs d’Israël ».
La colère et l’impuissance
Les femmes en noir est un mouvement de femmes juives opposées à l'occupation israélienne
Militante à l’association Solidarité de Vitry-sur-Seine, Nadia se dit, elle, en colère et se sent impuissante. « On a beau essayé de faire bouger le gouvernement, plus Israël en fait, moins on parle. Il est difficile aujourd’hui de mobiliser les gens pour exprimer notre refus de cette situation. Voyez par vous-même, non seulement en Palestine rien ne s’arrange mais en plus on va maintenant bombarder le Liban. Après l’Afghanistan et l’Irak, avant la Syrie et l’Iran. Jusqu’où vont-ils aller ? »
Même chose pour Aurélie, jeune étudiante française tout juste rapatriée du Liban, qui témoigne : « Je vivais à Beyrouth depuis quatre mois et je suis partie après les évènements. Mercredi après-midi, Israël a bombardé l’aéroport et dans la nuit de jeudi à vendredi on a eu les bombardements sur Beyrouth, à trois heures du matin, toutes les quinze minutes jusqu’au lever du matin. Je suis quant même restée mais lorsque l’ambassadeur de France m’a appelée j’ai dû revenir samedi. »
Elle se dit choquée de la médiatisation des évènements par la presse française. « Elle est très centrée sur le rapatriement des Occidentaux et très peu sur la souffrance des Libanais. C’est pour cela que je suis là, pour témoigner de ces souffrances pour les avoir vécues moi-même, seulement une nuit. »
La France est épinglée au même titre. « La France a un parti pris au Liban. Elle veut le réinvestir et prendre de vitesse les Américains », nous confie Abdelkader Benzérara du Collectif des musulmans de France, qui est satisfait de la mobilisation. « C’est pas mal, ça peut toujours être mieux mais c’est pas mal ».
Deux autres manifestations auront lieu mercredi 26 juillet à 18h, place de l’Opéra et samedi 29 à 15h, place de la République. Au bonheur de faire encore de Paris, deux jours durant, la nouvelle capitale du Cèdre.