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Belgique : le programme Evras autour de l’éducation sexuelle à l’école à l’origine d’une campagne de fake news

Rédigé par | Mercredi 20 Septembre 2023 à 12:43

L'épidémie de désinformation autour du programme d'éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (Evras) va bon train en Belgique et contamine les communautés musulmanes. Les violentes réactions, qui se multiplient tant sur les réseaux sociaux que sur le terrain depuis la généralisation du dispositif dans les écoles depuis cette rentrée, obligent à faire le point.



En Belgique francophone, l’instauration dans les collèges et lycées de deux heures obligatoires par an d’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (Evras) suscite une violente controverse et une vaste campagne de désinformation sur les réseaux sociaux. Au point où des écoles sont la cible d’incendies criminels. Huit ont été brûlées à Charleroi et à Liège depuis le début de la rentrée scolaire. Pour plusieurs d’entre elles, un lien évident avec la contestation est fait, des graffitis anti-Evras ayant été découverts sur les murs des établissements visés.

Le programme existait pourtant déjà depuis 2012. Cependant, sa mise en œuvre dépendait des établissements scolaires car les animations sont organisées à la demande de ces derniers. Un décret adopté à la quasi-unanimité par le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles le 7 septembre est venu entériner la généralisation du dispositif aujourd’hui accusé par ses plus virulents détracteurs… de favoriser « la pédophilie » à l'école et de « pervertir les enfants » à travers les cours d’éducation sexuelle. De quoi faire peur à des parents inquiets car insuffisamment et mal informés sur le programme.

Voir la vidéo de La Casa del Hikma : L'éducation à la sexualité, une porte ouverte à la perversion des jeunes ?

Des fake news qui surfent sur une méconnaissance du dispositif

Les mouvements catholiques sont particulièrement engagés dans la contestation. Plusieurs organisations musulmanes ont aussi exprimé leurs vives préoccupations sur le sujet. Le Conseil de coordination des institutions islamiques de Belgique (CCIIB) a exprimé, dans un communiqué en date du 6 septembre, son désaccord sur la généralisation du dispositif en dénonçant une « hypersexualisation des enfants du programme EVRAS qui porte atteinte aux droits des enfants ».

Le programme « soulève des inquiétudes majeures quant à la manière dont il sera mis en œuvre et aux messages qu'il transmettra aux jeunes, voire très jeunes enfants » et son adoption « semble ignorer les préoccupations légitimes des parents et des enseignants qui sont en première ligne de l'éducation de nos enfants », fait savoir l’organe, qui craint que les animations puissent « éroder la liberté religieuse et les droits des parents à guider l'éducation de leurs enfants conformément à leurs croyances ».

Face à ces critiques qui sont aussi répandues parmi d’autres communautés, la ministre de l’Éducation de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Carole Désir, s’est voulue très claire. « Nos intentions sont nobles. On ne va évidemment pas encourager une hypersexualisation chez les jeunes, on ne va pas susciter une orientation sexuelle ou une identité de genre, on ne va pas donner de cours de pratiques sexuelles. C’est inadmissible de faire peur aux parents sur ce sujet », a-t-elle affirmé au Parlement lors de l’adoption du décret.

« On peut toujours faire mieux en termes de communication. Mais ici, ce n’est pas notre texte qui a été mis en cause, mais une campagne de fake news. » Et d’ajouter que « les enfants et les adolescents ont bien souvent un smartphone entre les mains et sont confrontés à des contenus qui les dépassent, l’EVRAS vient précisément proposer un cadre adapté aux jeunes et au milieu scolaire afin de les rassurer et les protéger de situations potentiellement dangereuses. »

Comment le programme Evras se présente

« Certains parents sont très à l’aise pour parler de relations, d’intimité et de sexualité avec leurs enfants. Pour d’autres, ces thématiques sont difficiles à aborder et demeurent taboues dans la sphère familiale. Les animations EVRAS à l’école peuvent alors servir de relais et parfois de point de départ pour en parler avec leurs enfants », explique-t-on sur la plateforme officielle dédié au programme. La démarche vise à « apporter une information fiable, équitable et complète afin d’aider les jeunes à développer une vision positive de la sexualité mais aussi un esprit critique sur l’hypersexualisation de leur environnement (réseaux sociaux, publicités sexistes, vidéos, etc…) et ainsi assurer leur bien-être, les aider à construire leur identité et à prendre des décisions éclairées ».

Assurées par des professionnels de planning familial, du secteur associatif, ou des infirmiers et infirmières scolaires, les animations sont adaptées en fonction de l’âge et des préoccupations des jeunes rencontrés. « On ne devance donc jamais les questions des enfants et des jeunes », martèle-t-on. La généralisation de ces cours permet ainsi à tous les élèves d’avoir accès aux informations « de manière équitable ».

La contestation est portée haut et fort par des personnes qui ont une vision conservatrice de la société, animées par « une vision du monde dans laquelle la sexualité relève purement de la vie privée, et que son éducation est le rôle des parents et non pas de l’école », déclare à la RTBF le professeur de psychologie sociale à l’Université libre de Bruxelles (ULB), Olivier Klein.

Une forte désinformation qui mine le débat

La sensibilité de la thématique favorise de fait son instrumentalisation par des groupes de militants d'extrême droite, complotistes et intégristes, à l'origine d'une intense campagne de désinformation pour tenter de convaincre des publics fragiles ou issus des minorités. Une forte présence musulmane a d'ailleurs été constatée à la manifestation anti-Evras organisée dimanche 17 septembre à Bruxelles. Celle-ci a réuni environ 1 500 personnes, avec des pancartes du type « Touchez pas à nos enfants » et « Evras pédophilie déguisée ».

« Je recadre de manière très claire. J'entends les parents qui s'inquiètent pour des choses qui ne sont pas dans les animations », a assuré le même jour la ministre francophone de l'Enfance et de la Santé, Bénédicte Linard, qui a appelé les parents à se déconnecter des réseaux sociaux pour se mettre à l'abri de la désinformation propagée par des groupes anti-Evras.

Les internautes sont encore et toujours incités à faire très attention aux informations circulant sur la Toile et à faire preuve de prudence. La situation rappelle aussi l'urgence d'un dialogue ouvert et respectueux entre l'institution scolaire et les parents pour apaiser des inquiétudes légitimes.

Voir la vidéo de La Casa del Hikma : Parler de sexualité, pourquoi la honte pour les musulmans ?

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Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur