Le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin s’est rendu à la Grande Mosquée de Paris (GMP) ce vendredi 17 octobre. Depuis la construction de la mosquée en 1922, cette visite est la première d’un Premier ministre français en ces lieux bâtis à la mémoire des milliers de combattants musulmans morts pendant la première guerre mondiale - notamment à VERDUN (1916) - dans le rang des troupes françaises. M Raffarin était accompagné du ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, dont relèvent les questions du culte musulman. Cette visite, annoncée le 9 octobre dernier, intervient à la veille du voyage du chef du gouvernement au Vatican pour participer à une célébration religieuse catholique.
Le hijab au centre de la visite
Le Premier ministre a renouvelé sa position sur la question du hijab à l’école qui anime la classe politique française depuis 1989 : ' Je le dis avec amitié et confiance, je souhaite qu'un terrain d'entente puisse être trouvé et ce n'est qu'en dernière extrémité que la loi serait alors un ultime recours ' a déclaré M Raffarin. Un avis qui ouvre la voie aux législateurs dont certains prônent une ' loi interdisant les insignes religieux à l’école et dans la fonction publique '. Les leaders d’opinions musulmans se disent prêts à respecter une telle loi. Mais ils ajoutent qu’elle serait une ' une loi sur mesure contre le hijab'.
La question du hijab, le voile des femmes musulmanes, a été relancée au mois de juillet dernier lorsque Najet Ben Abdallah, une fonctionnaire française de 33 ans, s’est vue mise à pied, un an sans salaire, pour avoir gardé son hijab sur son lieu de travail.
(Voir notre interview: http://www.saphirnet.info/article_724.html)
Cette inspectrice du travail, en poste depuis février 1999, est une syndicaliste exempt de tout reproche dans le cadre de son travail. Interrogée par saphirnet.info, Mme Ben Abdallah s’est étonnée : ' Je ne comprends pas que l’administration puisse me reprocher de ne pas être neutre parce que je porte un foulard qui me couvre les cheveux alors qu’un collègue de Lyon porte une kipa depuis 30 ans et qu’une autre collègue continue de travailler avec sa croix de plus de 6 centimètres autour du cou '. Mais le supérieur hiérarchique a déclaré n’avoir jamais remarqué cette croix. Se considérant victime de discrimination religieuse, Mme Ben Abdallah a porté son cas à l’attention du CRCM (Conseil Régional du Culte Musulman) de Lyon, représentant local du CFCM. Car, dit-elle, ' le jugement du tribunal administratif de Lyon, rendu le 8 juillet 2003 affirme que mon appartenance à l’Islam est de nature à faire douter de ma loyauté vis-à-vis des institutions de la République et que mon voile est une atteinte à l’honneur. '. Le Cheick Kabten, président du CRCM de Lyon a transmis le dossier Najet au CFCM resté jusqu’alors silencieux sur le sujet.
Une nouvelle victoire de l’UOIF
A la première session du CFCM, le hijab avait été longuement évoqué dans les coulisses sans qu’aucune position commune ne soit officiellement annoncée. Interrogé sur ce ' silence ', son président Dalil Boubacker qui est aussi Recteur de la GMP, avait souligné l’atmosphère de ' sérieux et sérénité ' mais aussi le ' climat de confiance et de responsabilité, notamment sur la question du voile '.
Dans les faits, trois positions différentes s’affrontent au sein du CFCM. L’une de ces tendances, est opposée au port du hijab qu’elle considère comme rétrograde sinon comme une ' atteinte à la liberté de la femme musulmane '. Cette opinion est menée par le très médiatisé M. Soheïb Bencheik, fils du Cheïck Abbas (ancien recteur de la GMP, décédé en 1988). Connu dans la presse pour être ' le Grand Mufti de Marseille ', ce théologien musulman n’a pas d’assise sociale au sein de la communauté musulmane française qui le qualifie ironiquement de ' mufti sans mosquée '. Mais M Bencheik est adulé par la presse nationale. Une autre tendance, plus hétéroclite et plus représentative de la communauté musulmane, fédère la Grande Mosquée de Paris et les partisans du Cheikh Bentounès. Ce parti ne condamne pas le port du hijab en tant que tel. Mais il le renvoie soit à son usage politique (la Grande Mosquée) soit à son signifiant traditionnel et culturel. La troisième position au sein du Conseil, menée par l’Union des Organisations Islamiques en France (UOIF), estime que le hijab est une des nombreuses prescriptions coraniques.
Le samedi 11 octobre dernier, lors de sa seconde session, une première déclaration du CFCM a été publiée sur la question du hijab. L’ensemble de la classe politique française s’était déjà longuement exprimé sur le sujet. Le vendredi 10 octobre, veille du Conseil, Alma et Lila, deux lycéennes d’Aubervilliers (93) avaient été définitivement exclues de leur établissement scolaire pour avoir gardé le hijab dans l’enceinte du lycée. Le communiqué du CFCM, dénote d’une victoire du courant UOIF. De l’avis de M Breiz, président de l’UOIF, ' c’est une grande victoire pour l’UOIF. Car pour la première fois, le CFCM reconnaît que le hijab est une prescription divine. C’est tout ce que nous voulions que l’on reconnaisse'. Interrogé sur son message à l’attention des deux sœurs exclues de leur lycée, Fouad Alaoui, secrétaire générale de l’UOIF a lancé : ' Je leur dis : défendez votre liberté. Gardez votre voile et défendez votre liberté'. Selon M. Alaoui ' on assiste actuellement à un raz-de-marée général au sein des établissements scolaires. Pour les responsables d’établissements scolaires et pour une partie du corps enseignant, l’affaire tranchée : l’avis du Conseil d’Etat est mis à la poubelle, les différentes commissions et les hautes instances de l’Etat qui réfléchissent sur la question sont ignorées '.
Après sa victoire politique lors des élections régionales des représentants du culte musulman en France, cette seconde victoire, idéologique, renforce la position de la plus puissance organisation islamique de France au sein du CFCM. Très présente sur le terrain par un impressionnant réseau (près de 300 associations), l’UOIF a maintenu sa position initiale depuis le lancement de la question du ' foulard de Creil' en 1989.
Le tremplin de l’islamophobie
La visite de Jean-Pierre Raffarin, ce vendredi 17 octobre, est placée par Matignon sous le signe de ' l’apaisement '. ' Je m'inquiète d'une certaine islamophobie qui se développe incidemment dans notre pays et parfois sournoisement', a déclaré M. Raffarin à la Grande Mosquée de Paris. Avant d’ajouter : 'Nous faisons face aussi à l'antisémitisme qui se développe, nous serons intransigeants avec celles et ceux qui voudraient propager et utiliser ces peurs et ces haines'.
En prenant cette initiative vivement critiquée à gauche, le Premier ministre de droite, à l’instar de son ministre de l’intérieur, réussit l’acrobatie politique de poser un pied sur le terrain de la judéophobie (chasse gardée de la gauche) en s’appuyant sur l’islamophobie. Un véritable pied de nez aux socialistes dont la gestion de la question religieuse n’a pas souvent bénéficié du courage et de la clarté politiques souhaités par les musulmans de France. Dans le même temps, M Raffarin ' légitime ' sa prochaine visite à Rome où il doit assister, en compagnie de Mme Chirac, à la messe de béatification de Mère Téresa. Une visite critiquée par M Jean Marc Ayrault, président du groupe parlementaire socialiste : ' On ne peut pas exiger que la deuxième religion en France, la religion musulmane, respecte les lois laïques en donnant soi-même des signes contradictoires. Jean-Pierre Raffarin fait une erreur, une erreur pédagogique, qui est peut-être révélatrice d'une certaine ambiguïté ' a déclaré M. Ayrault. A quoi répond M. Raffarin : ' je ne suis pas de ceux qui ont peur de la question religieuse '.