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Bienvenue au Gondwana avec Mamane : « La vedette du film, c’est l’Afrique »

Rédigé par | Jeudi 13 Avril 2017 à 10:00

L’humoriste nigérien Mamane nous présente son premier film « Bienvenue au Gondwana ». Après s’être révélé dans les émissions de Laurent Ruquier sur Europe 1 et France 2, il sévit sur les ondes de RFI depuis 2009. C'est là où il crée sa chronique quotidienne de la République très très démocratique du Gondwana, une satire de l’actualité africaine. A travers ce pays imaginaire, il dénonce les tares des pays africains sans en stigmatiser un en particulier. Rencontre.




Saphirnews : Comment a débuté votre parcours artistique ?

Mamane : Je suis venu en France suivre des études scientifiques. Je suis arrivé par accident à la comédie. La vie n’est pas un train qui avance sur des rails. Je ne m’étais jamais prédestiné à ce métier. Je suis monté par hasard sur scène au théâtre de Trévise, en 2001. Chaque dimanche, je participais à une scène ouverte qui s’appelle le Field. Elle existe encore aujourd’hui. Je revenais toutes les semaines avec un sketch que je jouais devant 300 personnes et c’est ainsi qu’une société de production m’a repéré. Elle s’occupait de faire tourner Manu Dibango, Idir, Ray Lema, Daby Touré et d’autres. Je les accompagnais sur leurs tournées et faisait un show de 15 minutes avant les concerts. Cela marchait tellement bien que le propriétaire de la salle a acheté mon spectacle.

Vous parliez déjà de l’Afrique ?

Mamane : J’ai toujours parlé de l’immigration, de la mondialisation, de la politique africaine de la France, des dictateurs... Mon premier spectacle était davantage ciblé sur le vécu d’un Africain en France. Les sans-papiers, les contrôles de police, car c’était l’époque de Nicolas Sarkozy, de Brice Hortefeux, d’Eric Besson, tout ça.

Comment vos parents au Tchad ont réagi en apprenant que vous avez arrêté les études pour faire des blagues ?

Mamane : J’ai été surpris par leur réaction. Ma maman, comme toutes les mamans, m’a soutenu. Et mon père, je pensais qu’il me dirait : « Ça va pas, non ? » Il m’a juste dit : « Fais ce que tu veux mais fais-le avec intégrité et n’oublie pas le nom que tu portes : si tu fais des conneries, cela va rejaillir sur moi, tes frères et toute ta famille. » L’Afrique a perdu un scientifique, mais j’essaie tout de même de lui rendre ce que je lui dois. C’est pour cela que je n’oublie jamais d’où je viens et que l’Afrique est toujours présente dans ce que je fais.

L’écriture conditionne les financements, surtout dans ce type de film, non ?

Mamane : Je ne me suis pas occupé du financement, c’est le rôle du producteur. Il a aimé le pitch que je lui ai présenté. Il m’a demandé de le développer, cela a pris du temps. Au moins un an et demi. J’ai eu la chance de tomber sur des producteurs qui m’ont dit : « Ne pense pas à l’argent, écris seulement. » Si tu écris en pensant à l’argent, tu te bloques.

Quand j’ai terminé, ils m’ont dit : « OK, on peut se lancer dans le film. » Comme ce sont des producteurs bien en place à Paris, ils avaient déjà en tête le budget. Ils l'ont trouvé facilement en deux temps, trois mouvements. Même TF1 voulait participer mais à la condition qu’on prenne une tête d’affiche française. J’ai refusé car elle aurait phagocyté le film. On en a approché quelques-unes mais ça ne l’a pas fait et je n’en suis pas trop malheureux. Antoine Duléry était là, il a été simple et très humain, c’est bien. Finalement, la vedette du film, c’est l’Afrique, mais aussi le Gondwana, l’avenir et Michel Gohou et Digbeu Cravate (deux autres acteurs du films, ndlr) qui crèvent l’écran.

En observant le film, on se dit qu’il aurait fait une excellente pièce de théâtre, pourquoi en avoir fait un long métrage ?

Mamane : Nous avons commencé sur scène. Le spectacle s’appelait « Elections au Gondwana », nous l’avons présenté dans un festival à Kinshasa, en 2012. Il y avait Gohou, Digbeu et d’autres. A l’époque, nous parlions déjà de l’idée d’en faire un film.


Pourquoi avoir choisi ce thème des élections ?

Mamane : Il n’y a pas un thème plus fédérateur et plus urgent que les élections. Sur les deux dernières années, il y a eu plus d’une vingtaine de pays qui en ont organisé. Elles servent toujours à mettre à la tête de nos pays des dirigeants qui exploitent le pays, qui accaparent les richesses mais se prévalent d’avoir été élus démocratiquement. Ils vont aux Nations unies faire de beaux discours là-dessus. Le mal de nos sociétés vient de ces élections qui sont truquées, avec la complicité de la communauté internationale.

On se souvient du discours de François Mitterrand à La Baule, en 1990, quand il a dit que la coopération française sera conditionnée par le respect de la démocratie. C’était juste après la chute du Mur de Berlin. C’est ce qui a provoqué toutes les conférences nationales, au Mali par exemple, avec la chute de Moussa Traoré. Au Niger, au Bénin aussi, il y a eu toute une vague. Le Printemps africain, c’était ça.

Aujourd’hui, parce que les Arabes ont fait leur printemps en 2011, on nous dit : « Hey, les Africains, vous faites votre printemps quand ? » D’abord, il n’y a pas de printemps en Afrique, il y a saison sèche et saison des pluies ! Les gens ont oublié. Les Maliens sont allés à l’assaut de Koulouba (colline où se trouve le palais présidentiel à Bamako, ndlr) et ont chassé le président. Maintenant, c’est la deuxième vague et c’est la jeunesse même qui prend le pouvoir.

Ces dernières années, on a vu la communauté internationale réfuter des résultats comme récemment au Gabon.

Mamane : Oui, ils ont compris, donc maintenant ils font semblant. On laisse les petits dire qu’untel a fraudé. Mais est-ce qu’il y a un pays européen qui a dit à Ali Bongo : « On ne te reçoit pas parce que tu as truqué les élections » ? Est-ce que Total a arrêté d’exploiter le pétrole gabonais ? Il y a eu la Coupe d’Afrique des nations au Gabon. L’ambassade de France n’a pas fermé. Les militaires français sont toujours là-bas. C’est de la comédie, on se fout de nous.

Quand la jeunesse africaine s’est levée pour chasser Blaise Compaoré, François Hollande n’était pas d’accord. Les Burkinabés ont dit : « Nous, on veut pas de lui, il va dégager. » Il y a eu des élections démocratiques mais, derrière, on essaye de mettre des bâtons dans les roues. C’est ce qu’on a fait à Sekou Touré quand il a dit non à De Gaulle, il y a eu un sabotage. La Guinée a été inondée de fausse monnaie. Les frontières ont été fermées.

On a tous en tête le cliché du dictateur omniprésent dont on voit l’image partout. Pourquoi, dans le Gondwana, il est invisible ?

Mamane : Pour que chaque Africain voit son président à lui. Si on avait mis l’image d’un président donné, cela allait le figer dans une situation géographique, dans le temps ou dans la fiction. Le fait de ne pas le voir fait qu’il est omniprésent. Chaque Africain peut se sentir concerné, car chacun met dans sa tête son président à lui.

Vous dénoncez également l’opposition qui ne s’oppose pas vraiment.

Mamane : Ce sont eux, les opposants qui ne s’opposent pas, qui permettent aux dictateurs de rester au pouvoir. L’opposition est majoritaire dans nos pays. Si les hommes politiques s’entendaient pour dire : « Toi, Gohou, tu vas être notre candidat », Gohou va gagner. Mais chacun veut être président. Il y a dix partis et souvent le président a lui-même ses partis qu’il a achetés.

Gohou (qui intervient) : Quand ils font leur collectif, celui qu’ils vont mettre à la tête va être reçu par le pouvoir. Il en ressort avec une mallette ni vue ni connue.

Mamane : C’est la mallette qu’on voit dans le film.

Gohou : Il rentre chez lui et après son langage change, et c’est lui qui devient le modérateur avec ses amis.

Mamane : Pourquoi Etienne Tshisekedi n’a pas été président en RDC (République démocratique du Congo ? Il est mort opposant historique parce que, à chaque fois, les autres opposants se présentaient.

Vous qualifiez ce film de politique mais ce qui me gène, c’est que la violence reste masquée. Nous avons des personnages souriants tout le long du film.

Mamane : La violence n’est pas toujours physique, elle peut être morale. On peut venir dans un pays, ne pas pouvoir bouger, faire ce qu’on veut sans que la police nous tape. On te confisque ton passeport, on t’empêche d’avoir du boulot, on empêche tes enfants d’aller à l’école ou de se soigner. C’est une chape de plomb.

La violence la plus terrible dans ce film, c’est de voir que Président-Fondateur a gagné les élections, l’Opposant-Historique retourne en prison. Comme c’est une comédie, je ne voulais pas montrer de la violence tout le temps mais elle est là. Les élections sont confisquées. L’état d’urgence est là. Et durant tout le film, les militaires sont présents. Chaque deux-trois minutes, on voit un militaire, un fusil sans qu’un seul coup de feu ait été tiré. Le seul moment où on entend un coup de feu, c’est quand la chanson d’Awadi commence. J’ai vécu un coup d’État au Niger, je n’ai pas entendu un coup de feu mais nous étions terrorisés. On ne sortait pas.

Un sujet est vite évacué dans le film, celui de la manipulation grâce à la religion. Pourquoi ce choix ?

Mamane : Nous l’avons évacué au montage. Ce sont des scènes qui ont été tournées. Lors du débat télévisé, il y a un pasteur et un imam. Le film allait durer trop longtemps sinon et cela allait polluer le message sur les élections. C’est un autre débat qu’on reprendra peut-être dans un autre film. On ne peut pas se permettre d’aborder ce sujet à la légère. Il faut aller au fond parce que c’est un sujet très sensible.

Le tribalisme également…

Mamane : Aujourd’hui, dans la plupart des pays africains, ce n’est même plus la question. Il y a un clan du pouvoir nonobstant les différences ethniques ou religieuses. Joseph Kabila (président de la RDC, ndlr) dépasse les gens de son ethnie, ceux qui sont autour de lui sont des personnes qui sont là par intérêt. Kabila est originaire du Katanga mais, là-bas, le plus populaire est Moïse Katumbi qu’il a chassé du pays. C’est un cliché de penser qu’en Afrique le tribalisme est encore là, c’est fini ça. Ce sont les intérêts d’un clan qui importe.