Société

Bobigny : hommage à Saïd Bourarach, mort pour rien

Une marche contre l’omerta médiatique et politique

Rédigé par | Samedi 10 Avril 2010 à 00:23

Saïd Bourarach. Un homme sans histoire, mais dont le nom ne peut se taire. Selon les premiers éléments de l’enquête, le vigile de 35 ans, d’origine marocaine, a été malmené et frappé par un groupe de jeunes – juifs –, mardi 30 mars, à la fermeture du magasin de bricolage dont il assurait la sécurité avant de disparaître des yeux de ses collègues. Retrouvé mort le lendemain par la police dans le canal de l’Ourcq, à quelques mètres du magasin, la famille et ses collègues, présents à la marche du samedi 10 avril, exigent désormais vérité et justice. Retour aux faits et témoignages.



Saïd Bourarach accompagné de son fils, aujourd'hui âgé de 3 ans.

19 heures, l’heure de fermeture de Baktor, le magasin de bricolage de Bobigny, en région parisienne. C’est là que Saïd Bourarach, agent de sécurité et maître-chien, travaillait depuis deux ans pour faire vivre sa femme, son fils de trois ans et sa belle-fille, qui vivent à Dijon, ainsi que sa famille restée à Berkane, au Maroc. Un couple se présente vers 19 h 10, à l’entrée du magasin, mardi 30 mars, pour acheter quelques bricoles. Le vigile leur refuse naturellement l’accès. Ce refus, que ne supporte pas le client, « un blond tatoué à queue de cheval », signera le début des ennuis pour Saïd.

Sans attendre, le client, qui promet de le tuer, appelle du renfort : son frère, son cousin et un ami. Très vite, les choses dégénèrent. Des insultes et des coups sont portés à Saïd et à ses collègues, venus lui porter secours. L’un d’eux est, par ailleurs, actuellement en arrêt de travail. Pour se protéger, ces derniers partent se réfugier dans le magasin mais les jeunes restent fous de rage et décident de s’en prendre à Diana, la chienne de Saïd dont il est inséparable. Malgré l’insistance de ses collègues mais rongé par la culpabilité (sa chienne ne pouvant se défendre en raison de sa muselière), il part à sa rescousse, pensant faire le poids contre les jeunes.

Malheur pour lui, la chasse à l’homme se poursuit à nouveau selon les témoins de la scène, qui voit Saïd courir en direction du canal. Trou noir ensuite pour les collègues, qui sont immédiatement partis le chercher. Sans succès. Seule Diana est retrouvée. Aux agresseurs qu’ils croisent, ils se voient signifier que Saïd aurait plongé dans l’eau et qu’ils l’ont vu remonter à la surface avant de partir. C’est le lendemain après-midi que le corps de Saïd sera repêché par la police, sous les yeux bouleversés de la famille et des collègues.

Crime raciste ou mort accidentelle ?

Qu’a-t-il bien pu se passer ? Manque de pot, les caméras de surveillance sont tombés en panne trois jours avant. Pour la famille et leurs soutiens, Saïd a bel et bien été jeté dans le canal, ce que les agresseurs nient pour l’instant. D’ailleurs, le caractère raciste de la mort de Saïd a un temps été relevé par la police, avant d’être vite écarté.

Selon l’autopsie réalisée sur le corps, Saïd portait des « traces d’ecchymoses non significatives » et est mort noyé. Cependant, « il faut prendre cette information avec prudence », a déclaré Mohamed Henniche, secrétaire général de l’Union des associations musulmanes de Seine-Saint-Denis (UAM 93), contacté par la famille de la victime pour les aider dans leur quête de la vérité.

« Il est mort par noyade, c’est-à-dire qu’ils ont trouvé de l’eau dans les poumons de Saïd. Cela signifie qu’il était encore vivant quand il était dans l’eau. Il a pu être assommé, inconscient avant d’avoir été jeté dans le canal. Il faut savoir que Saïd est un homme costaud qui savait très bien nager », déclare M. Henniche.

En somme, même s’il se serait délibérément jeté dans le canal, comme l’affirment ses agresseurs, il n’aurait eu aucun problème pour rejoindre l’autre rive. « S’ils ne l’ont pas tué directement, le fait de l’avoir laissé pour mort dans le canal est un crime car il y a eu non-assistance à personne en danger », indique-t-il.

Pour le moment, « l’intention d’homicide n’est pas établie à ce jour », a indiqué Sylvie Moisson, procureure de la République de Bobigny. Une information judiciaire a tout de même été ouverte vendredi 2 avril par le parquet de Bobigny contre quatre des six agresseurs – deux ayant été relâchés en raison de leur passivité – pour « homicide involontaire ayant entrainé la mort sans intention de la donner, avec usage ou menace d’une arme ». Les quatre hommes, âgés de 19 à 25 ans, connus pour des faits de violence, ont été placés en détention.

L’instrumentalisation de l’antisémitisme pour « justifier » l’agression

Faire de la victime le coupable de sa mort, telle a été la méthode vite utilisée par les jeunes aux enquêteurs. Comment ? En accusant Saïd de leur avoir lancé des propos antisémites. Version démentie par plusieurs témoins de la scène ainsi que par ses collègues qui décrivent Saïd comme un homme calme et respectueux. Quant bien même il les aurait injuriés, rien ne justifie l’agression et la chasse à l’homme décrétée par les agresseurs.

« Saïd était super gentil, super calme, un bosseur. On n’a jamais eu de problèmes ni avec les vendeurs ni avec la clientèle. Il n’a jamais insulté personne. C’était quelqu’un de bien tout simplement », a déclaré, ému, Kamel, un des employés du magasin et proche de Saïd à Saphirnews.

Les réactions politiques absentes

On apprend ainsi que les agresseurs sont juifs, un détail important qui soulève bien des réactions. Jusque-là, la classe politique est restée silencieuse. Pas une réaction officielle n’a été entendue. Même Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur, qui s’est rendu la semaine dernière en Seine-Saint-Denis à la suite des incidents contre des chauffeurs de bus à Tremblay-en-France n’a daigné passer par Bobigny.

Pire : la maire de Bobigny, Catherine Peyge, a refusé, sans aucune explication, d’accorder une minute de silence en hommage à Saïd à la demande de la famille, des amis, des collègues et d’une partie des habitants de la ville. Peur que la communauté juive le prenne mal ? Sans doute, ce qui justifierait aussi le silence du gouvernement, pour M. Henniche.

On se souvient pourtant bien de la forte médiatisation de l’affaire du RER D, en juillet 2004, puis l’affaire Ilan Halemi en 2006. Les autorités françaises n’ont pas hésité à déployer de gros moyens en allant chercher le criminel en Côte d’Ivoire et en mobilisant comme jamais les médias pendant plus de deux ans. Sans vouloir surenchérir, la famille ne demande qu'à être logé à la même enseigne.

Un double traitement insupportable pour la famille

D’autres vont même plus loin en accusant directement la Ligue de défense Juive (LDJ) et le Bétar, des groupuscules sionistes, d’être derrière la mort de Saïd. Connus pour leur violence à l’encontre des militants pro-palestiniens, mais aussi des Arabes et des musulmans, ils n’ont jusque-là jamais été inquiétés par les autorités. Cependant, ces informations sont à prendre avec des pincettes, car rien n’est prouvé, bien que l’un des agresseurs détienne la nationalité israélienne.

« Quand un Maghrébin fait une bêtise, tous les ministres et les médias sont là pour invectiver la communauté arabe et musulmane. Lorsqu’une personne fait une bêtise, qu’il soit arabe, noir ou juif, il ne faut pas faire porter le chapeau à tous leurs semblables. Si on continue à faire cela pour les Arabes et les Noirs, pourquoi ne pas le faire aux juifs ? Ce n’est pas cela que nous voulons ! Nous ne voulons pas faire ce que nous subissons depuis des mois et des années maintenant », déclare le responsable de l’UAM 93, qui appelle à une marche solennelle samedi 10 avril, à Paris, en hommage à Saïd.

Pour le moment, seul le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), le MRAP et SOS Racisme ont présenté leurs condoléances à leurs familles ainsi que le Grand Rabbin de France.

« Lorsque j'ai su que c'était des juifs, ils m'ont fait honte. (…) Ce sont des salauds qui ont fait ça, ce sont des bandits. Ce sont des gens qui méritent d'être punis très sévèrement, on fera tout pour qu’ils le soient parce qu’ils déshonorent notre communauté », a déclaré Sammy Ghozlan, président du Conseil des communautés juives de Seine-Saint-Denis (CCJ93), à l'issue de la marche organisée par l'UAM 93 vendredi 2 avril.

Plus de sécurité en attendant

L’affaire de Saïd a relancé la question de la sécurité autour du magasin, victime en janvier dernier d’un braquage. Seuls deux agents de sécurité et un maître-chien veillent physiquement sur un espace de près de 2 000 m². La direction avait, à cette époque, décidé de renforcer le dispositif de sécurité. « Saïd est mort dans l’exercice de ses fonctions. Sa mort va accélérer les choses. Davantage de caméras de surveillance seront placées et des grillages seront installés autour du magasin. S’il y en avait, Saïd n’aurait jamais pu aller loin », déclare, dépité, Kamel.

Kamel nous confie que des employés de Batkor sont aujourd’hui sur le point de demander leur mutation. « Contrairement à ce que l’on dit ailleurs, les collègues ont aidé Saïd mais tout s’est passé trop vite... en cinq minutes et non en deux heures. Pour nous, Saïd était un membre de la famille. On restait avec lui toute la journée de 7 heures à 19 heures. Psychiquement, c’est dur », ajoute-t-il.

Une nouvelle marche est prévue d’ores et déjà pour samedi 10 avril, à partir de 15 heures, de la place de la République à Bastille. Pour éviter que Saïd, qui sera prochainement rapatrié au Maroc, ne tombe dans l’oubli collectif…



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur