Cinéma, DVD

Brahim Asloum : « Incarner Victor Young Perez revêt une belle symbolique »

Rédigé par | Mardi 12 Novembre 2013 à 06:00

Victor Young Perez, boxeur juif tunisien, a été sacré champion du monde en 1931 et mort en déportation en 1945. Extirpant sa biographie des oubliettes de l’Histoire, le film de Jacques Ouaniche sortira en salles le 20 novembre prochain. Et pour interpréter le rôle-titre, c’est le dernier champion du monde de la catégorie poids mouche en France qui a été choisi. Brahim Asloum a donc renfilé ses gants et c’est avec un plaisir évident qu’il nous parle de sa première expérience d’acteur.




Trois ans après avoir posé vos gants en 2009, quel sentiment avez-vous eu en retournant sur le ring pour jouer Victor Young Perez ?

Brahim Asloum : Mon sentiment était partagé, parce que j’avais arrêté la boxe depuis trois ans, j’avais pris un peu de poids, il fallait que je me remette en forme, que je retrouve les sensations. C’était aussi excitant : il y avait un résultat à la clé, le tournage du film, cela m’a permis de remettre les gants, comme on dit.

Jouer un jeune boxeur vous a-t-il demandé une préparation physique particulière ?

Brahim Asloum : J’ai perdu 12 kilos au total, j’ai procédé en deux étapes. La première, j’étais à 62 kg quand on a fait appel à moi pour le film, je suis descendu très vite à 56 kg volontairement car il fallait que je perde un maximum de poids très vite et puis je me suis remusclé à 60 kg : j’ai fait toute la première partie à ce poids-là. Pour la seconde partie du film, je suis descendu de 60 kg à 52 kg. Cette partie physique, je la connaissais déjà du fait de ma quinzaine d’années de ma carrière de boxeur. En parallèle, j’apprenais aussi à jouer la comédie.

Quant au jeu d’acteur, comment avez-vous abordé cette nouvelle expérience ?

Brahim Asloum : J’ai travaillé avec un coach, avec trois heures de coaching quotidiennes durant la semaine. Assimiler le texte, l’avoir en bouche, imaginer comment allait se passer le tournage, « extérieur 1 », « extérieur jour », « extérieur nuit »… c’est un vocabulaire que je ne connaissais pas, j’apprenais à découvrir, on m’a aidé à tout décortiquer. En dehors des cours, Jacques Ouaniche, le réalisateur, me prenait régulièrement en aparté, soit avec un comédien, soit en tête-à-tête, pour retravailler certaines scènes. En fait, on avait demandé au coach de ne pas m’apprendre le jeu, mais de se concentrer sur le texte. Et Jacques a apporté sa touche personnelle. Cela m’a permis de beaucoup discuter ensemble et de savoir ce qu’il attendait du personnage.

Aviez-vous des personnalités de cinéma en tête quand vous avez travaillé ?

Brahim Asloum : Ma référence, pendant le tournage, c’était Jean-Paul Belmondo : faire des cascades, ne pas se faire doubler, pour moi, c’est une référence… Si je prends des références actuelles, ce serait Tahar Rahim, que je trouve très bon, ou Jason Statham dans ses films d’action ; ce sont des acteurs qui me parlent, qui me plaisent en tout cas.

Quelles scènes du film vous ont le plus marqué ?

Brahim Asloum : C’était, bien évidemment, les scènes dans les camps : il y a une telle dureté, même si je n’étais pas dans la réalité. Tout était reconstitué, mais quand on voit les dortoirs, comment sont les toilettes et que dehors il faisait moins 15 °C…, tu te dis : « Si j’avais vécu à cette époque : Qu’aurais-tu fait ? Qu’aurais-tu dis ? À qui tu te serais plaint ?... » Ça, tu te le prends en pleine figure. Je ne pouvais pas imaginer ce que les prisonniers avaient vécu, ce n’était pas palpable, mais j’ai essayé d’être le plus vrai possible. Et par respect pour la mémoire de Victor, j’ai essayé de faire transpirer une certaine dimension, à travers un regard, une situation...

Avant le film, connaissiez-vous le personnage de Victor Young Perez ?

Brahim Asloum : Je l’ai connu car, quand j’ai commencé la boxe en 1994-1995, un an après je devenais champion de France et suis pris en équipe de France. Quand je suis arrivé à Paris, à l’INSEP, une plaque commémorative de Victor Young Perez venait d’être posée la même année. Et, tous les jours, je passais devant parce que c’était un champion de France à la fois de ma discipline et de ma catégorie : j’étais donc attiré ! Et j’ai appris à connaître son histoire. Et quatre ans après, je suis champion olympique, j’entends pour la première fois d’un biopic sur la vie de Victor Young Perez. Mais il s’avère que je suis en pleine carrière, donc ma priorité c’était ma carrière de boxeur. Et 12 ans après, on m’appelle pour jouer le rôle de Victor. Comme quoi ce film était sans doute écrit pour moi [rires] !

Quels sont vos points communs avec Victor Young Perez ?

Brahim Asloum : Ils sont d’abord sur l’aspect pugilistique. Ensuite, le fait qu’il ait eu une carrière fulgurante aussi : il a été champion du monde à 20 ans, j’ai été champion olympique à 20 ans. Dans les années 1930, la dureté de la boxe était plus importante que la technique que l’on peut avoir aujourd’hui et, à l’époque, les boxeurs, étaient des mégastars. C’est un peu l’image des footballeurs d’aujourd’hui, des Cristiano Ronaldo, des Lionel Messi : les boxeurs avaient cette réputation au niveau mondial.
On était tous les deux très jeunes. Victor a une fin de vie différente de la mienne… Mais quand je regarde l’actualité et la montée des extrêmes droites en Europe, je me dis : « Hier, c’était les juifs qui étaient stigmatisés, j’espère que ce ne seront pas demain les musulmans qui le seront. » Je suis Français de confession musulmane. Victor était Tunisien de confession juive. Je trouve la symbolique belle : elle parle d’elle-même ; je n’ai rien à rajouter, en réalité. On est tous pareils, chacun doit faire sa vie.

Au firmament de sa carrière Young Perez brûle la vie : cabaret, fêtes… Est-ce le lot de toutes les stars du sport ?

Brahim Asloum : Quand tu es exposé à la lumière et que tout se présente à toi, ce n’est pas toi qui change, c’est ce qu’il y a autour de toi qui change, c’est le regard que l’on pose sur toi qui change. On te propose des choses qu’on ne te proposait jamais : tu passes dans une autre dimension. Moi, j’ai eu la chance d’avoir eu une éducation qui est fondée sur la tolérance, le respect, plein de valeurs que ma mère m’a inculquées. Mon vrai repère, il est là. Et puis je suis quelqu’un qui bosse. Je savais que si je voulais être un champion, il fallait que je travaille et que je ne me néglige pas.

Oui, j’ai dû être sur un nuage à un moment donné : c’est normal, j’avais 20 ans. Déjà, à 20 ans, sans être champion du monde olympique, tu as l’impression que le monde t’appartient, là il s’avère que c’était un peu vrai ou en tout cas on me l’a fait comprendre, c’était palpable. Après, je pars du principe qu’il faut savoir ce que l’on veut dans la vie. Moi, j’ai continué à travailler. Des erreurs, j’ai dû en faire mais tant qu’elles ne sont pas graves, cela se rattrape.

Vous-même avez décidé de terminer tôt votre carrière de sportif : est-ce pour ne pas vous brûler les ailes ?

Brahim Asloum : Ce sont plutôt les circonstances qui ont fait que j’ai arrêté ma carrière. J’ai eu un couac avec mon diffuseur, ce qui m’a fait poser des questions de savoir si je continuais ou si j’arrêtais. Au final, j’ai vu que je n’étais pas un forcené stupide, je ne fais pas la charité, je ne mendie rien à personne. S’il y en a un qui me donne, c’est Lui [Brahim lève le doigt au ciel], je prends. Si ce n’est pas le cas, je passe à autre chose.

Au final, j’ai respecté un deal que j’avais promis à ma mère. Ma mère ne voulait pas que je fasse de la boxe, elle ne voulait pas que je sois abîmé. Je lui ai fait une promesse : « Maman, je ferai tout pour ne pas être abîmé. Si tu vois que je ne suis pas dans la bonne voie, avant que je sois abîmé, tu as le droit de m’interdire. » Et voilà. Cela m’a permis d’axer ma boxe sur la défense, sur la tactique et ne pas prendre de coups bêtement pour revenir sonné, car j’avais aussi une vie après la boxe.

Dans le film, Young Perez a un frère, Benjamin. C’est un personnage de fiction mais qui a permis de tenir ce rôle familial de tuteur, de coach, de confident. Or, j’ai l’impression que votre famille vous entoure beaucoup. En quoi est-ce important pour vous ?

Brahim Asloum : Oui, on est 10 enfants, je suis le 4e de ma famille, je suis le petit des grands. Que je sois champion olympique ou pas, si un de mes frères veut me remettre en place, il le fera. C’est une éducation, une culture, une manière dont mes parents nous ont élevés, mes frères et sœurs et moi.

Votre famille a vu le film ?

Brahim Asloum : Oui, hier ! Avant de faire le film, ma mère m’a posé juste une question : « J’espère qu’il n’y a pas de scènes avec des relations sexuelles ! », je lui ai tout expliqué, cela l’a rassurée. Ma mère est fière parce qu’elle voit son fils évoluer. Elle est ravie et fière, car en plus le film véhicule de belles choses. À 8 ans, je lui ai posé la question : « Maman, qu’est-ce qui me dit que ma religion est la meilleure ? » J’avais des questions existentielles : « Pourquoi il y a des juifs, des chrétiens, des musulmans ? » « Je suis né musulman, explique-moi ! » J’ai 8 ans, je lui pose une colle, quand même ! Elle m’a donné une image, qui me suit jusqu’à aujourd’hui. Elle m’a répondu : « Imagine-toi un arbre, que le tronc, c’est le bon Dieu, et que les branches, ce sont les diverses religions. On vient tous de la même base. Fais ta vie. »

Une scène du film montre Victor Young Perez complètement consacré à sa carrière et qui n’est pas encore très au fait de la montée du nazisme alors qu’il est programmé pour un match à Berlin. Le jeune boxeur que vous étiez avait-il un regard, une opinion sur la société qui l’environnait ?

Brahim Asloum : Je l’ai toujours eue. Est-ce que je l’exprimais ? Pas médiatiquement. Moi, je m’exprime par mes actions personnelles. J’essaie de prôner de belles valeurs : le respect, le travail, le bon comportement.

Justement, quelles sont les valeurs qui vous animent au quotidien ? Sont-ce des valeurs de la boxe qui sont devenues des valeurs de la vie ?

Brahim Asloum : Mes valeurs sont puisées dans mon éducation et ma culture. J’ai un respect énorme pour mes parents, sachant ce qu’ils ont vécu. Mon père est arrivé en France à l’âge de 14 ans juste avant l’indépendance de l’Algérie ; ma mère est arrivée à l’âge de 19 ans. Je peux imaginer tout ce qu’ils ont pu entendre sur eux, mais pas un mot ; je n’ai jamais entendu un nom d’oiseau. C’est là que j’ai trouvé l’intelligence de mes parents : ils ont tout fait pour qu’on ne grandisse pas avec un handicap, qu’on ne se mette pas des choses tordues dans la tête.

On a tous des difficultés dans la vie, que tu sois en France, en Algérie ou dans n’importe quelle ville du monde, il y aura toujours des discriminations. La vie est faite d’épreuves, en permanence. Mais c’est ton éducation qui fait que tu acceptes de relever ces difficultés, de grandir et d’avancer. Sans doute la boxe m’a apporté aussi ce tempérament d’aller toujours de l’avant, de ne jamais baisser les bras, de croire en soi, de se battre. C’est une culture sportive pure boxe.

Quels conseils donneriez-vous à des jeunes qui veulent se lancer dans la boxe ou dans un sport de compétition ?

Brahim Asloum : Le vrai conseil, c’est d’abord de prendre du plaisir, sans cela on ne peut imaginer devenir un champion. Et allier trois ingrédients : le premier, c’est se fixer un objectif, donc se fixer un rêve ; le deuxième, c’est travailler pour aller chercher ce rêve ; le troisième, c’est croire en soi.

Vous êtes devenu chroniqueur sportif RMC et consultant pour la boxe pour BeinSport, quels sont vos projets ? Envie de continuer dans le cinéma ?

Brahim Asloum : J’adore ce que je fais, donc continuer au sein de la radio et de BeinSport. Sur le plan cinématographique, je viens de faire un premier film, on va laisser lui faire prendre son envol et je verrai par la suite !

En tout cas, vous avez pris plaisir à jouer !

Brahim Asloum : C’était génial ! Un grand plaisir, même !

Victor Young Perez, film de Jacques Ouaniche, avec Brahim Asloum, Steve Suissa, Isabella Orsini..., sort en salles le 20 novembre 2013.

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Journaliste à Saphirnews.com ; rédactrice en chef de Salamnews En savoir plus sur cet auteur