« Nous tenons à respecter la procédure scrupuleusement; exactement comme le dit le règlement » explique M. Amode Houssen, président de l'Association musulmane de La Réunion (AMR). Deuxième sur la liste candidate, très impliqué dans l'action sociale au-delà du cadre musulman, M. Houssen tient à ce que les choses soient faites selon les règles. « Ici, nous sommes tous des frères, nous nous connaissons tous, mais chaque délégué est tenu de présenter sa pièce d'identité... Il y a des différences d'approches de l'islam. Il y a des différences culturelles, il y a même des différences géographiques. Mais nous avons réussi à les dépasser pour travailler ensemble »
Dépasser nos différences
Amode Houssen: si nous étions unis, nous pourrions mieux faire remonter nos besoins
Avec une liste unique, le CRCM-île de la Réunion est un cas à part. Et M. Amode en est conscient. « Le problème en métropole, c'est la trop grande place accordée aux origines géographiques des musulmans. Ici, nous ne nions pas les origines de nos parents. Il y a des Indiens, il y a des Comoriens y compris les Mahorais... Nous avons des musulmans d'Afrique noire, les Mourides par exemple... Mais nous avons dépassé ces distinctions. »
A la tête de la Direction générale des services de la Région, M. Houssen reconnait et déplore les clivages qui séparent les musulmans français. Car, estime-t-il, « il ne faut pas voir notre engagement de musulman uniquement sous l'angle du religieux. Aujourd'hui, le dirigeant d'une association musulmane, en France, a un rôle à jouer sur les champs du social et du politique. Dans ses contacts avec les milieux de décision, il doit faire remonter les réalités d'une partie de la population qui n'est pas toujours prise en compte par nos dirigeants. » Ce que regrette ce militant de longue date: « Si nous étions unis, nous pourrions mieux faire remonter les besoins de nos populations à nos hommes politiques. C'est ainsi que fonctionne le système. Ici à La Réunion, c'est bien ce qu'ont fait nos parents. C'est ainsi qu'ils ont pu peser sur le pouvoir politique et sur l'administration de l'époque, sans aller à la confrontation, sans haine ni volonté de revanche post-coloniale.»
Les musulmans de La Réunion ne se sentent pas stigmatisés. Ceux que l'on nomme les Zarabe et qui ne parlent pourtant pas l'Arabe, sont une minorité (environ 10%) agissante de l'île. Ils tiennent le haut du pavé dans le secteur économique. C'est bien le grief qui leur est reproché. La concurrence dénonce, à mi-voix, « la solidarité des Zarabe du centre ville qui ne vendent pas de bière et qui baissent le rideau pour aller à la mosquée à l'heure de la prière. » La Réunion est le seul département de France où l'on peut entendre l'Azan, l'appel à la prière rituelle: une fois par jour, en fin d'après midi, à l'heure de la Salat Magreb.
L'islam du village mondialisé
Anwar Patel: dans l'imaginaire collectif réunionnais, le religieux fait partie de l'identité.
Pour M. Anwar Patel, secrétaire général du CRCM, la coexistence intelligente des différents cultes dans l'île s'explique: « Quand j'étais à l'école, j'étais moi le musulman, avec des amis tamouls, des chrétiens, des chinois... Chacun avait sa religion et on connaissait la religion de chacun et c'était normal pour les élèves et pour les enseignants. »
A la tête d'une mosquée dans la ville du Tampon, dans le Sud de l'île, il déplore l'amalgame trop fréquent sur la question religieuse: « Demandez-moi ma nationalité, je vous dirai: française. Interrogez-moi sur ma religion, je vous répondrai : islam. Et je ne vois pas pourquoi il faut confronter les deux » s'insurge-t-il quand on lui parle de la laïcité à l'école. Et d'ajouter : « Pour moi, il n'y a pas de conflit entre être citoyen en France, un pays laïc, et être de religion musulmane. Le problème est que nous vivons dans un village mondialisé. Aujourd'hui, avec les moyens de communication, les problèmes qui se passent ailleurs sont parfois importés ici. Et ceux qui, ailleurs, militent pour une laïcité fermée veulent nous imposer une logique binaire. Je suis pour une laïcité ouverte et tolérante qui s'organise pour que chacun puisse exprimer ses sensibilités religieuses. »
Conscient de la spécificité du cas de son département, M. Patel l'explique par le fait que « dans l'imaginaire collectif réunionnais, le religieux fait partie de l'identité. Cette identité étant marquée par la pratique religieuse, le respect d'une personne implique aussi le respect de sa religion. Si vous vous promenez dans l'île, vous verrez de petites châpelles, sur le bord des routes pour célébrer des saints. Ces édifices sont sur la voie publique un peu partout et cela n'offense personne. C'est aussi ça la réalité à La Réunion. »
CFCM, une démocratie approximative
Au lendemain des évènements du 11 septembre 2001, M. Anwar Patel explique que « nous avons éprouvé le besoin de nous réunir, entre associations musulmanes, pour créer une plateforme consultative. Au fil de nos rencontres, la concertation a pris la forme d'une fédération; c'est la Fédération réunionnaise des associations musulmanes (FRAM). Elle rassemble vingt-cinq associations qui ont décidé de mutualiser leurs moyens et leurs compétences. »
Riche de son expérience, M. Patel ne doute pas de l'utilité des CRCMs. Il pense que « le succès des CRCMs est dû au fait que les membres sont élus. Mais le CFCM a encore une bonne marge de progression. Il faut qu'il sorte de la démocratie approximative actuelle où ses membres sont des gens cooptés, sans la légitimité de la base. Il faut que le CFCM cesse d'être un organe qui prétend représenter les musulmans pour devenir un organe qui s'occupe du culte musulman. »
Pour nombre de ces Zarabe, il est naturel de participer aux élections du CRCM, à l'image d'Illyas, 27 ans, qui estime que sa « participation à ces élections est naturelle. Car j'ai grandi dans la mosquée. C'est un lieu de vie où on se retrouvait après l'école et maintenant après le travail. C'est aussi un patrimoine que nous lèguent nos parents. Nous sommes nés en France, nous sommes des occidentaux, nous avons une autre culture et nous ne pouvons pas faire les choses comme eux qui sont arrivés avec leur vision. Mais nous sommes des musulmans et cela est important pour nous. »
95,21 % pour Abdoullah Mollan
Abdoullah Mollan, nouveau président du CRCM-île de La Réunion.
Délégué de la grande mosquée de Saint Denis, Illyas est titulaire d'un master 2, de l'université de la Réunion où il a étudié les statistiques. Dans l'équipe de sa mosquée, il travaille dans la commission des finances. Sa mission en cours : trouver les fonds pour agrandir La Medersa. « Il y a un bâtiment qui jouxte La Medersa et nous souhaitons l'acquérir. Alors nous procédons à la collecte de fonds auprès des musulmans. Ca marche plutôt bien parce que La Medersa est importante pour les gens. C'est là que j'ai fait mes classes de primaire. Il y a beaucoup d'enfants et ils ont besoin de plus de place. »
Illyas a voté ce dimanche pour la liste unique dirigée par M. Abdoullah Mollan, élu à 95,21 % (avec un taux de participation de 70,87%). Âgé de 50 ans, M. Mollan est à la tête de la Mosquée Al Noor, une institution qui date de 1905, ce qui en fait la plus vieille mosquée en exercice en France . Il est aussi président de l'Association islam Sounnate Djamate (AISD) qui gère deux mosquées, cinq lieux de culte et quatre medersas avec une trentaine d'emplois de ministres du culte musulman. « La Medersa » qui est aussi gérée par l'AISD est, depuis 1990, la seule école privée musulmane de France ayant un contrat d'association avec l'Etat.
Vice-président sortant du CRCM, M. Mollan est un partisan du dialogue. Il estime « normal que toutes les sensibilités soient représentées dans des organes comme le CRCM et le CFCM. Cela demande un travail en amont où il faut discuter avec les dirigeants des mosquées et des associations, y compris celles qui ne sont pas affiliées à une mosquée. Nous sommes, à ma connaissance, le seul CRCM où siègent des ismaéliens, des Dawoodi Bohra (ndr, deux écoles shiites les plus représentatives de l'île). J'aimerais intéresser des femmes aussi au CRCM. Mais nous sommes tous des bénévoles et nos réunions se tiennent le soir souvent tard; ce n'est pas facile de trouver des femmes qui acceptent de suivre notre rythme de travail.» M. Abdoullah Mollan est expert comptable.