C'est la première fois, dans la courte histoire des CRCM, qu'une décision de tribunal annule les fonctions statutaires d'un bureau. De quoi donner des idées à d'autres Conseil régionaux qui ne manquent pas contestataires. Jusqu'alors, les demandes en annulation des élections s'étaient soldées par des échecs devant les tribunaux. Une fois le bureau régional installé, les querelles électorales étaient tues et les choses reprenaient leur cours. Pour Azzedine Aïmouche, membre de la liste indépendante aux dernières élections du CRCM-PACA, cette démarche procède d'un esprit de médiocrité auquel il ne faut mettre un terme.
Une sanction pédagogique
Mourad Zerfaoui, tête de la liste indépendante
Au soir du 19 juin 2005, la « liste indépendante » avait remporté les élections du CRCM-PACA avec 4 sièges. A ce titre, Mourad Zerfaoui, tête de liste, méritait de diriger le Conseil. Mais deux semaines plus tard, une coalition des listes des grandes fédérations (la Grande mosquée de Paris GMP: 3 sièges; la Fédération nationale des musulmans de France, FNMF : 3 sièges et l'Union des organisations islamiques en France UOIF: 1 siège) avait élu un président en la personne d'Abderrahmane Ghoul. C'est cette élection que le tribunal de grande instance de Marseille vient d'invalider.
Mais pour Azzedine Aïmouche, la satisfaction n'est que partielle. Car si le tribunal a annulé l'élection de M. Ghoul, il n'a pas prononcé l'annulation des élections du 19 juin. « Ce qui nous intéresse dans cette décision du tribunal c'est son caractère pédagogique. Jusqu'alors, les gens qui avaient des responsabilités à la tête de nos associations se sentaient intouchables. Ils se permettaient de transgresser les statuts sans la moindre considération pour les textes. Cette décision montre qu'on ne peut pas transgresser impunément les statuts qui sont en réalité un contrat qui nous lie et que nous nous devons de respecter comme la loi l'exige et comme notre religion commune nous l'exige aussi. »
M. Aïmouche estime qu'il faut aller plus loin que cette condamnation qui discrédite les grandes fédérations qui s'étaient alliées pour confisquer la victoire à sa liste. « Avec notre avocat, nous étudions la possibilité d'annuler les élections du 19 juin car elles sont entachées d'irrégularités évidentes dont il ne faut pas s'accommoder » explique-t-il.
La racine du mal
Contrairement à une idée répandue, le ministère de l'Intérieur a échoué à réunir toutes les tendances de l'islam en France au sein du Conseil français du culte musulman (CFCM). Cette méprise de départ est la source des blocages et des conflits récurrents au coeur du CFCM et des CRCM.
Au tournant des discussions qui ont mené au premier bureau du CFCM, la puissance mosquée Ad'dawa avait claqué la porte. Or le Cheikh Larbi Kechatt, recteur de cette mosquée du 19e arrondissement de Paris, se dit dans le prolongement de l'Andalousie musulmane. Il se démarque ainsi des grandes fédérations qui sont proches de chancelleries ou d'idéologies étrangères à la France.
Mais calendrier politique oblige, le ministère de l'Intérieur est allé au plus efficace. Il a choisi de s'appuyer sur les grandes fédérations disposées à discuter, pour constituer le CFCM. Ce choix était loin de faire l'unanimité. Peu avant la conclusion des discussions, Madame Bétoule Fekkar-Lambiotte le conteste et quitte la table en dénonçant la trop grande importance ainsi accordée à l'UOIF qu'elle fustige.
Il est clair que les mosquées de France sont, dans l'ensemble, dirigées par les grandes fédérations. Mais leurs accointances supposées ou avérées avec le Maroc, l'Algérie, la Turquie ou les pays du Golf affectent suffisamment leur crédibilité pour leur confier la gestion du culte musulman en France. Au mieux, elles semblent représenter leurs pays de référence auprès du gouvernement français. Sinon elles font l'effet de marionnettes grotesques, ballottées au gré des intérêts de la politique intérieure française. Sur les dossiers importants qui intéressent les musulmans de France, les résultats se font toujours attendre. Pour cette raison, après plus d'une année de participation effective, l'anthropologue Dounia Bouzar quittera le CFCM où elle avait été appelée, comme personnalité qualifiée, en remplacement de Bétoule Fekkar-Lambiotte.
Les listes indépendants
Au terme de son premier mandat, le bilan du CFCM est en dessous des attentes. La jeunesse de l'institution n'explique pas tout. C'est pourquoi l'on assiste à l'émergence de nouvelles listes lors des élections de juin 2005. Elles se présentent sous l'appellation de « listes indépendantes » pour marquer leur distance par rapport aux grandes fédérations fondatrices. Ces dernières sont alors des « listes algériennes » quand elles relèvent de la GMP ou « listes marocaines » quand elles ont le soutien de la FNMF. Même l'UOIF, qui pourtant ne se réfère à aucun pays du Maghreb, a perdu des alliés. Déçus du mandat passé dans l'ombre, ils ont décidé à se faire entendre de vive voix.
Comme on peut s'y attendre, les listes indépendantes se posent en adversaires des fédérations. En région parisienne, l'Union des associations musulmans de Seine-Saint-Denis (UAM-93) échoue à valider sa liste AMI (Alliance des musulmans indépendants). Devant les tribunaux, elle accusera l'UOIF de lui faire barrage en usant de procédés illégaux. Implantée exclusivement dans le 93, où siège l'UOIF, la liste AMI ne pouvait affecter que le score de l'UOIF (au bonheur des autres fédérations). La plainte de l'AMI secouera les équipes, mais elle ne portera pas de fruit.
D'une manière générale, les listes indépendantes sont insignifiantes sur le plan national. Il en va autrement au niveau régional où les enjeux son différents et où les élections peuvent se gagner à peu de voix. Les alliances qui se nouent dans les régions suivent ainsi des logiques parfois contraires aux jeux de pouvoir des chancelleries. Ce qui permet aux CRCM de continuer à travailler pendant que le CFCM s'étouffe de ses petits complots politiques.
En région PACA, l'on a ainsi assisté à une coalition des trois grandes fédérations contre la liste indépendante. C'était du « TSZ: tout sauf Zerfaoui », nous dit-on. La décision du TGI de Provence-Alpes-Cote d'Azur remet donc les pendules à l'heure. Et, en même temps, elle conforte le discrédit général qui entache le processus électoral qui est censé donner sa légitimité à une institution qui n'honore plus personne.