Points de vue

Ceux qui disent

Rédigé par Colin Mohammed | Lundi 14 Avril 2003 à 00:00

Le Conseil Français du culte musulman comme futur instance représentative des musulmans de France, vitrine d’un Islam organisé, prôné par Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur chargé des cultes, ne fait pas l’unanimité dans la communauté musulmane. Attaques et critiques acerbes sont rétorqués au futur CFCM. L’union des associations musulmanes du 93 (UAM 93), membre de la coordination des musulmans de France, Fouad Imaraine, directeur du centre culturel Tawhid à Saint-Denis et Yamin Macri président de l’union des jeunes musulmans (UJM) à Lyon manifestent leur opposition et exposent leurs points de vues.



Le Conseil Français du culte musulman comme futur instance représentative des musulmans de France, vitrine d’un Islam organisé, prôné par Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur chargé des cultes, ne fait pas l’unanimité dans la communauté musulmane. Attaques et critiques acerbes sont rétorqués au futur CFCM. L’union des associations musulmanes du 93 (UAM 93), membre de la coordination des musulmans de France, Fouad Imaraine, directeur du centre culturel Tawhid à Saint-Denis et Yamin Macri président de l’union des jeunes musulmans (UJM) à Lyon manifestent leur opposition et exposent leurs points de vues.

 

Manque de démocratie

Les détracteurs du conseil français du culte musulman sont unanimes pour dénoncer le processus de la consultation et le processus électoral qu’ils qualifient d’ « anti-démocratique ». « On est vraiment en désaccord entre autre au niveau de la démocratie car…le président est élu avant les élections, le bureau directeur qu’on pourrait appeler le gouvernement est élu avant les élections, 35 % de cette futur assemblée est déjà choisie avant les élections, donc il n’y a aucun processus démocratique dans ce CFCM, on a l’impression qu’ils ont voulu reproduire les comportements totalitaires de certains pays du Tiers-monde…qu’ils ont greffé sur la communauté musulmane… » s’indigne Zinedine Berrima, porte-parole de l’union des associations musulmanes de la Seine-Saint-Denis. Indignation confirmée par Fouad Imaraine qui n’envisage nullement l’espoir d’un sursaut démocratique, pas même dans deux ans au moment du renouvellement du conseil élu en 2003. Aucune aspiration à une représentativité démocratique n’est à prévoir selon lui, en invoquant l’échec du modèle belge. Fouad Imaraine explique qu’en Belgique, « toute une  campagne électorale a été mise en place à travers les médias…mise en place de bureaux de vote, de  quotas ethniques, les musulmans ont désigné leurs représentants…mais parmi l’exécutif, des gens ont été refusé par l’état Belge car considéré comme trop intégristes et depuis quatre ans il n’y a que des problèmes autour de cet organe du culte musulman belge…et on va vers la même chose en France ». Un  pessimisme affiché sans détour. Il dénonce avec force le processus de cooptation et la désignation de Dalil Boubakeur comme président du bureau du CFCM, considérant qu’il est éloigné du culte musulman : « On peut se demander quel rapport il a avec le culte musulman puisque les gens à la mosquée ne le voit jamais prier. »

 Il regrette d’autant plus cette absence de démocratie, qu’elle va à l’encontre de la tradition politique française. Yamin Macri, président de l’union des jeunes musulmans de Lyon, s’étonne de l’ « interférence flagrante » de l’Etat dans ce CFCM, qui ne respecte pas le principe de laïcité édicté par la loi de 1905.

 

Attitude de néo-colonialisme

Les « chancelleries étrangères » sont aussi dans la ligne de mire des opposants au CFCM. Tout comme ils déplorent l’ingérence de l’Etat dans l’organisation de la communauté musulmane en France, ils désapprouvent l’intrusion des « pays d’origines » dans cette future instance. « Ils ont négocié avec les états étrangers et là on est pas d’accord, nous sommes en France, il faut respecter les démocrates musulmans  de ce pays et discuter d’abord avec les démocrates et non pas avec les ambassades de l’étranger, certes il y a un lien affectif mais en aucun cas il n’ y a de lien d’allégeance »  déclare Abderahmane Dahmane, président de la coordination des musulmans de France.

Les problèmes de la communauté musulmane de France ne doivent pas être, selon Zinedine Berrima, réglés par « ambassades interposées ». Fouad Imaraine va plus loin et dénonce le double discours du gouvernement actuel qui promeut un « Islam de France » d’une part mais qui donne une importance non négligeable à « des islams de l’étranger » d’autre part.

Les musulmans veulent définitivement être considérés en tant que Français et non pas comme issus d’une deuxième ou troisième génération d’immigration.

 

 

Pour une alternative Une fois ces critiques exprimées, les alternatives sont moins claires et plus nuancées. La coordination des musulmans de France se contente de proposer un conseil français des démocrates musulmans, qui reste à « concrétiser ». A ce stade, leur seul mot d’ordre est le boycott des élections. Après avoir présenté une liste, l’UAM 93 s’est retirée de la consultation le 31 mars, tandis que le ministère de l’intérieur déclare l’avoir invalidé. Mais les discordes n’en finissent pas au travers de ces deux structures imbriquées que sont l’UAM 93 et la coordination nationale des musulmans de France, puisque une éminente personnalité de ces deux organisations : le cheikh Dhaou, directeur de l’école réussite et directeur du conseil des imams, s’est propulsé soudainement en tête de la liste indépendante « solidarité » qui regroupe des associations et mosquées de la Seine-Saint-Denis. Miskine Dhaou, qui naguère prêcher le boycott du CFCM a préféré ne pas pousuivre en justice le CORELEC (Comités régionaux pour les élections) qui a invalidé et a déclaré samedi à la presse : Zinedine Berrima justifie cette initiative personnelle d’ « erreur d’analyse sur le bien fondé de la consultation ».

Fouad Imaraine, quant à lui préfère mettre en valeur le travail des musulmans sur le terrain, et propose de construire les bases d’une représentativité musulmane au niveau local qui s’acheminera avec le temps à un niveau régional voire national. Il faut distinguer, selon lui, l’Islam en tant que « fait de société », qui doit amener des débats, des rencontres dans la société française, et l’Islam dans le sens de l’organisation des musulmans qui doit se faire à partir des « expériences » de la communauté musulmane. « On doit laisser le temps aux musulmans d’évoluer librement…puisqu’il y a des expériences qui sont en cours, il faut leur laisser le temps de mûrir, par exemple la coordination des imams, l’union des associations musulmanes du 93, qui est une première et en appellera sûrement d’autres… »

Malgré tout, Fouad Imaraine redoute avec la venue de ce conseil français du culte musulman, un dénie de ce processus associatif, tout du moins des associations qui n’auraient pas participé à cette consultation. « Je me souviens, il y a plus de dix ans, à chaque fois que les musulmans avaient un projet, on leur demandait quels liens ils avaient avec la mosquée de Paris et en fonction de cela on vous aidait ou pas…aujourd’hui on va leur demander quel est votre lien avec le CFCM. »

Mauvais présage pour les associations musulmanes qui ont voulu se mettre à l’écart de ce conseil français du culte musulman.