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Economie

Champagne halal : « La marque islam se vend bien »

Entretien avec la sociologue Florence Bergeaud-Blackler

Rédigé par Anissa Ammoura | Jeudi 19 Juin 2008 à 18:53

           

En septembre prochain, le Cham'Alal, un champagne sans alcool certifié halal sera commercialisé en France et dans le monde à l'occasion du début du Ramadan. Florence Bergeaud-Blackler, sociologue spécialisée dans la consommation religieuse, analyse pour Saphirnews l'entrée d'un tel produit sur le marché français et son impact sur les français musulmans.



Florence Bergeaud-Blackler, sociologue à l'unité d'anthropologie de l'université d'Aix-Marseille.
Florence Bergeaud-Blackler, sociologue à l'unité d'anthropologie de l'université d'Aix-Marseille.

Saphirnews : Après la bière halal, une société anglaise va lancer à la rentrée le champagne « halal » sur le marché français, pensez-vous que le succès sera au rendez-vous ?

Florence Bergeaud-Blackler : Il est possible qu’un certain consumérisme, motivé avant tout par de la curiosité, explique l’achat de champagne « halal » sans alcool, mais je ne pense pas que ce sera un succès massif pour des raisons qui tiennent à la nature du champagne et à son usage.

La garantie ‘halal’ n’est pas stable, les consommateurs ont depuis des années des doutes sur la véracité des allégations halal. Commerce et religion ne font pas bon ménage dans les esprits. Le champagne halal serait certainement plus acceptable dans un contexte de confiance entre consommateurs et producteurs halal, ce qui n’est pas le cas en France jusqu’à aujourd’hui.

Ensuite il y a l’usage. Dans la France traditionnelle, le champagne est utilisé pour célébrer des événements de façon ponctuelle. On peut penser que le champagne halal aurait son utilité pour permettre à des individus musulmans de partager sur le même lieu de convivialité avec des non- musulmans lors d’une fête ou d’une célébration.

Mais on voit mal aujourd’hui l’usage de ce succédané de champagne dans les familles lors de fêtes religieuses musulmanes. Car le caractère festif de la rupture du jeûne est très relatif en France et dans les pays à minorités musulmanes. Le champagne halal correspond peut-être à une demande des pays musulmans où le ramadan est obligatoire et où l’aspect festif de la rupture du jeûne allège un peu la pression sociale et les frustrations accumulées dans la journée, où les valeurs occidentales parce que tenues à distance ne sont pas perçues comme menaçantes, au moins pour les plus riches.

En France, le mois de ramadan est un temps communautaire, où les liens se resserrent autour de la religion, où il faut faire preuve d’endurance pour ne pas céder à la tentation de boire ou de manger dans la journée, dans un cadre sécularisé qui légitimement ne fait pas de concession à la religion. Je doute fort que le champagne halal, tout comme le foie gras halal soient invités à la table du ftour. Nous verrons bien cependant.

Les boissons sans alcool type jus de fruits ou sodas sont théoriquement Halal et offrent une grande variété de choix, pourquoi ce marché des imitations halal de boissons alcoolisées se développe t-il selon vous ?

Florence Bergeaud-Blackler : Depuis que le Halal business s’est globalisé, c'est-à-dire une dizaine d’années, l’industrie agro-alimentaire offre des versions halal de recettes de pays non musulmans vers les pays musulmans à pouvoir d’achat élevé, les pays du Golfe en particulier. Elle se tourne à présent vers les minorités religieuses de l’Europe occidentale, les troisièmes générations qui ont un pouvoir d’achat relativement plus élevé que dans les pays d’origine. Il est évident que la réislamisation des enfants issus de l’immigration opérée dans les années 1990 - sans doute accélérée, voire exacerbée, par la médiatisation des attentats de New York, de Madrid et de Londres - favorisent la composante protestataire, identitaire, politique de l’Islam. Cela constitue une aubaine pour l’agro-alimentaire en constante recherche de niches. La marque « islam » se vend particulièrement bien auprès de ces populations, et cela sans coûts de communication. Ceux-ci sont pris en charge par l’actualité et surtout sa médiatisation. Cela est d’autant plus facile que cet islam identitaire, reflétant ou non une conviction religieuse, s’appuie sur un discours de rupture avec les cultures d’origine.

On peut ensuite s’interroger sur la stratégie marketing adoptée. Proposer du ZamZam Cola, du Mecca-Cola est une chose, proposer un ersatz de boisson alcoolisée est autre chose qui va un peu plus loin. Je dirai que l’industrie agro-alimentaire est encore en phase d’exploration de ces nouveaux marchés, ce n’est pas sûr qu’elle se lance dans une production massive, en Europe en tout cas.

Avoir sa coupe de champagne « halal » … n’est-ce pas une façon pour les musulmans de s’intégrer à la société et de ne pas se sentir « exclus » d’une fête ?

Florence Bergeaud-Blackler : Ne pas se sentir exclu, dans le sens où quelqu’un à penser à votre particularité religieuse ? Vous restez quand même quelqu’un de particulier, pas forcément intégré. En réalité cela pose plus de problèmes que cela n’en résout, car pour ceux que l’alcool ne gênait pas, la pression va s’accroitre. Ils n’auront plus d’excuse puisqu’un produit halal sera prévu pour eux. Ce marché des produits islamiques cible la communauté musulmane dans tous les domaines : la nourriture, l’habillement, le maquillage, la médecine. Il devient dès lors de plus en plus difficile d’échapper aux normes qu’elles diffusent, et de plus en plus difficile de conserver une attitude personnelle vis-à-vis de sa religion, de vivre son islamité de façon intime, ce qui est pourtant l’attitude la plus adaptée dans notre société sécularisé.

Je pense que ces logiques consuméristes vont à l’encontre de l’effort nécessaire d’approfondissement du rapport au religieux qu’ont entrepris les musulmans dans un espace laïc culturellement différent, et qui donnent parfois de beaux résultats. Dans le livre Self-islam d’Abdennour Bidar, l'auteur montre que la communauté musulmane de France a de précieuses ressources du fait justement de la pluralité qui la compose. Il faut s’en féliciter et éviter que cette diversité, cette richesse ne soient appauvries par le ritualisme imposé par le marketing.

La question de l’exclusion est toute autre, et ne se résout pas par l’imitation. Il est absurde de penser que l’on va s’intégrer parce qu’on singe le dominant. Le marché ne travaille pas à l’intégration, alterne homogénéisation et différenciation pour accroitre sa rentabilité, il fonctionne au contraire sur les principes de simplification, d’imitation, d’identification et d’exclusion.

Dans le cas d’un mariage entre musulmans par exemple, l’absence – officielle - de boissons alcoolisées ne semblait jusqu’alors ne pas poser problème aux fidèles, l’introduction de « champagne halal » ne va-t-il pas être vécue par certain

Florence Bergeaud-Blackler : Je crois que l’absence d’alcool n’est toujours pas un problème. Je doute que ce champagne halal y change quoi que ce soit. Dans ce contexte, le champagne « halal » sera perçu comme un détournement et dans ce sens perçu comme illicite pour certains. Mais il ne faut sans doute pas généraliser.

Selon vous, comment les français musulmans vont-ils accueillir ce nouveau produit ?

Florence Bergeaud-Blackler : Les plus pratiquants n’y verront certainement aucun intérêt. Les autres, je dirai avec méfiance, avec curiosité, mais pas avec enthousiasme, et permettez moi d’ajouter avec une certaine déception pour ceux qui connaissent le champagne dans sa version traditionnelle…

Le champagne halal ne risque t-il pas d’avoir plus de succès que la bière halal du fait de sa valeur ajoutée : il est synonyme de richesse, de luxe et donc d’une certaine classe sociale ?

Florence Bergeaud-Blackler : Dans un contexte musulman, oui très certainement ! Car le champagne sera comme ailleurs un symbole de distinction, mais ici, je crois que cela sera vu plutôt comme de l’arrogance. Mais nous verrons bien !

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