Points de vue

Championne de Jujitsu en titre privée de compétition

Rédigé par Sammia Entretien avec | Jeudi 19 Février 2004 à 00:00

Sammia, 20 ans, a un bandana sur la tête. Drapée dans un grand manteau noir à bordures blanches, elle se meut avec une vitalité, une agilité et une souplesse assez rares pour une jeune fille. Et pour cause… elle est championne de France amateur d'un art martial japonais. Cette année, Sammia est privée de compétition, à moins qu’elle consente à retirer son bandana. Nous avons voulu en savoir plus. Entretien avec une victime ordinaire de l’islamophobie classique.



Sammia, 20 ans, a un bandana sur la tête. Drapée dans un grand manteau noir à bordures blanches, elle se meut avec une vitalité, une agilité et une souplesse assez rares pour une jeune fille. Et pour cause… elle est championne de France amateur d'un art martial japonais. Cette année, Sammia est privée de compétition, à moins qu’elle consente à retirer son bandana. Nous avons voulu en savoir plus. Entretien avec une victime ordinaire de l’islamophobie classique.

 

Saphirnet.info : Comment devient-on champion de JuJitsu ?

 

Sammia : Pour le championnat amateur que j’ai déjà remporté, il s’agit d’une compétition classique par équipes de deux personnes. Les combats se déroulent par catégories de ceintures avec une distinction hommes/femmes. J’avais donc une partenaire, une amie avec qui je m’étais entraînée toute l’année. Les combats sont des démonstrations à deux. Nous avions seize techniques à démontrer devant trois juges. Puis un libre de deux minutes constitué d’un enchaînement de coups. Ma partenaire et moi avions travaillé nos techniques tout au long de l’année. Les juges font une présélection pendant un premier passage. Ils retiennent trois ou quatre équipes pour les phases finales. Puis ces équipes repassent et les jugent choisissent le couple gagnant. Deux années de suite, ma partenaire et moi avons gagné.

 

Avec ou sans votre Hijab ?

 

A mon premier championnat, alors que je n’avais pas mon bandana, je l’ai remporté. Au second championnat j’avais mon bandana. Cela n’a posé aucun problème. Et j’ai remporté le championnat aussi. Je m’entraîne aussi avec mon bandana. Il n’y a jamais eu le moindre problème avec personne.

 

Pourtant cette année, vous êtes privée de championnat. Que s’est-il passé ?

 

Cette année, après le mois de Ramadan, je me suis rendue à mon club pour reprendre contact. Cela faisait quatre mois que je ne les avais pas vus. Ce sont des gens que j’aime bien et qui m’apprécient tous aussi parce que je suis de nature assez joviale et …

 

Vous êtes aussi leur championne…

 

Oui, en plus… Mais avec le climat médiatico-politique actuel sur le voile, je craignais qu’ils ne me regardent avec d’autres yeux. Je me suis donc rendue à mon club et, sous la forme d’une boutade, j’ai lancé à mon entraîneur « j’espère que je n’aurai pas de problème cette année avec mon voile ». C’est alors qu’on m’a fait comprendre que cette année, en raison de « mesures de sécurité », je ne pourrais pas garder mon bandana en compétition.

 

Comment avez vous pris cette nouvelle ?

 

Au prime abord, je n’y ai pas cru et j’étais très gênée. Parce que j’ai toujours eu d’excellentes relations avec mon entraîneur. Même aujourd’hui encore, nous avons de bons rapports… J’ai donc insisté auprès de lui. Mais il ne m’a pas répondu sur ce sujet. Il s’est montré assez réservé. Je me suis donc adressée au Secrétaire général du club qui était de passage tout à fait par hasard et je lui ai posé la même question. Lui m’a clairement répondu que cette année, il était préférable que je retire mon bandana si je voulais participer au championnat. Puis il a ajouté que la décision n’était pas de son ressort mais qu’elle venait de la Mairie. J’étais très gênée sans savoir ce que je pouvais faire. J’aime ce sport et je suis retournée quelques fois à l’entraînement avec mon bandana. Mais comme je savais que je n’avais pas le droit de participer au championnat, j’ai finalement arrêté les entraînements.

 

Quel était votre rythme d’entraînements ?

 

Il était en fonction des objectifs à atteindre. En période de compétitions, j’y allais deux heures tous les soirs. Autrement, en période creuse, je m’entraînais deux heures, deux fois par semaine. Mais maintenant j’ai tout arrêté.

 

Et vous n’avez pas de regret ?

 

C’est un sport que j’aime. Ca me faisait beaucoup de bien. On dit qu’il faut « un esprit sain dans un corps sain ». Evidemment que ça me manque…

 

Il n’y aucune chance que vous repreniez ?

 

Je me suis un peu fait une raison et je me suis investie dans d’autres choses. Je ne crois pas avoir les ressources pour engager un combat sur ce plan. Avec mon voile je dois déjà me battre à la fac, c’est déjà assez dur. Je dois me battre dans le RER. Il faut aussi me battre avec mes parents… il faut que … ça fait un peu trop. Pour moi c'était un loisir, une occasion de m’épanouir et je ne voulais pas le transformer en champ de combat judiciaire.

 

A quoi pensez-vous quand vous regardez vos trophées, vos médailles ?

 

… Cette année il n’y a plus aucune chance que je redevienne championne. J’ai pris beaucoup trop de retard sur les entraînements. Le mieux à faire, je pense, est de me battre contre la loi sur le voile afin que mes petites sœurs ne soient pas confrontées aux mêmes difficultés que moi, si elles faisaient le choix de porter un voile… Maintenant j’ai même peur qu’on m’interdise d’entrer dans les salles de cinéma…

 

Vous croyez vraiment cela possible ?

 

Bien sûr ! Ils n’ont qu’à évoquer des raisons de sécurité et le tour est joué. Ils peuvent ainsi interdire les manteaux, les habits amples comme les miens en disant qu’on peut y cacher des objets. Pourquoi pas ? Nous vivons dans une telle ambiance de paranoïa qu’ils peuvent le dire. J’en arrive à être défaitiste.

 

C’est vrai. Vous êtes si jeune et vous avez l’air déjà si lasse !

 

C’est tellement épuisant…Voyez : je suis des études de droit dans une fac parisienne. Dans mon université, j’ai déjà des sœurs, des amies musulmanes, qui se sont fait interdire de travaux pratiques. Le Président de l’Université à dû intervenir après que nous ayons fait une réclamation. Elles ont réintégré leurs cours. Mais c’est quand même dur de se faire humilier ainsi. Et je ne veux pas subir d’humiliation ni au championnat, ni à la fac, ni ailleurs. Je n’ai pas l’habitude d’être humiliée. Je n’ai jamais senti de racisme en France quand je ne portais pas le voile. Je ne l’ai senti nul part. Et je ne crois pas que la France soit devenue raciste. Mais il y a seulement une forte dose de paranoïa dans l’air autour du voile.

 

Finalement, pour le JuJitsu, vous vous résignez ?

Pas vraiment. Mais j’essaye de les comprendre un peu. Je crois qu’il faut laisser passer le débat actuel. J’ai l’intention de retourner les voir l’année prochaine pour essayer de les convaincre. Une fois que le débat public sera passé, peut être seront-ils revenus à des visions plus objectives. Parce que, franchement, ça me manque.

 

Propos recueillis par Amara BAMBA