Saphirnews : Pouvez-vous vous présenter?
Cheikh Mamadou Nsangou
Cheikh Mamadou Nsangou : Je suis imam de la ville de Taverny et de Saint Leu la Forêt, dans le Val d'Oise, et je suis imam à la prison d'Osny dans le Val d'Oise et à la maison centrale de Poissy, une prison pour les détenus ayant à purger une longue peine.
Et le métier d’aumônier consiste en quoi?
C. M. N. : D'abord vous voyez, vous me parlez d'aumônier et je vous ramène à l'imam, parce que je leur fais la prière du vendredi, en plus du fait que je réponds à toutes leurs demandes par rapport au culte, et ils sont très demandeurs. Ils posent de nombreuses questions et obtiennent des réponses.
Quel type de question revient régulièrement ?
C.M.N. : Dans le cadre du pardon que Dieu peut leur accorder pour ce qu'ils ont fait. C'est vrai que Dieu est Pardonneur, Dieu n'est pas un méchant loup qui nous attend au tournant pour nous châtier. Dès lors qu'une personne demande pardon avec sincérité, Dieu lui pardonne.
Vous avez déjà rencontré des gens en prison qui sont venus vers vous pour avoir des réponses à leurs questions, qui sont sortis et que vous avez retrouvé plus tard, des récidivistes en somme?
C.M.N. : Je peux vous dire une chose : la religion à elle seule ne peut pas régler tous les problèmes de la communauté. Les musulmans sont confrontés à de nombreux problèmes d'ordre sociaux.
90% des musulmans sont issus d'une classe pauvre. Il faut tenir compte de cela. Les parents des enfants musulmans pour la plupart ne savent ni lire ni écrire. Et jusqu'à aujourd'hui. Leurs enfants sont inscrits à l'école et ne sont pas suivis comme ils devraient. Ces enfants sont élevés un peu n'importe comment, et il est clair que l'Etat ne fait pas tout ce qu'il peut, l'Etat ne fait pas tout ce qu'il faut.
90% des musulmans sont issus d'une classe pauvre. Il faut tenir compte de cela. Les parents des enfants musulmans pour la plupart ne savent ni lire ni écrire. Et jusqu'à aujourd'hui. Leurs enfants sont inscrits à l'école et ne sont pas suivis comme ils devraient. Ces enfants sont élevés un peu n'importe comment, et il est clair que l'Etat ne fait pas tout ce qu'il peut, l'Etat ne fait pas tout ce qu'il faut.
Qu’est-ce qu’il faudrait faire justement ?
C.M.N. : Ce qu'il faudrait faire c'est une prise en charge de ces jeunes, faire des efforts considérables pour cette classe qui n'est pas du tout privilégiée, pour permettre à ces enfants d'accéder à une parfaite éducation. Il y a des zones populaires, qu'on appelle les quartiers populaires, ou cités de façon péjorative, qui sont des endroits abandonnés par les pouvoirs publics. Ils ne s'en occupent pas. Alors vous savez, quand vous avez un monsieur qui a à peu près 50-55 ans, qui lui-même ne sait pas lire et ne sait pas écrire, et qui a ses enfants ici, la France ne peut pas ignorer le parcours de son histoire, qui est élogieux, mais qui est citoyen. Vous savez, je ne parle plus d'immigrés par rapport aux musulmans : ils sont des citoyens français. Et les nombreux problèmes qu'ils ont, par rapport à leurs enfants, à l'environnement dans lequel ils vivent sont liés à l'éducation et au manque de moyens.
Et vous, face à cette situation comment réagissez-vous? Est-ce que vous proposez un accompagnement ? Est-ce que votre rôle finalement dépasse celui d’un simple aumônier qui répond à des questions d’ordre cultuel, mais qui s’attaque aussi au s
C.M.N. : Tout à fait. Sur le plan social, mes relations ne pourraient pas être fructueuses vis-à-vis de ces gens là, parce que je leur dis très bien que nous sommes dans un milieu où il y a une nécessité de déployer des efforts justes, des efforts au-dessus de la moyenne. Il ne suffit pas d'être moyen pour être accepté, il faut être meilleur. Il faut qu'ils fournissent plus d'efforts qu'ils ne devraient en fournir ailleurs pour pouvoir obtenir de la place. Et c'est vrai que ceux qui ont travaillé dans ce sens ont obtenu de la place.
On sait qu’il y a une image assez négative de l’islam en France en général, et encore plus dans les prisons. Comment êtes vous accueilli par le personnel encadrant des prisons ? Est-ce que vous avez déjà rencontré des difficultés ?
C.M.N. : Je peux vous dire que sur ce plan j'ai reçu un accueil favorable inimaginable. Je vous donne l'exemple de Mme Nadine Piquet, qui est directrice de la maison centrale de Poissy, une dame d'une gentillesse et d'une compréhension , qui a le souci permanent de voir les détenus qui sont sous sa direction . Elle a déployé tous les moyens possibles pour pouvoir offrir à ses détenus la possibilité de pouvoir exercer leur culte comme il se doit. Je peux vous citer aussi le directeur de la maison d'arrêt d'Osny, Didier Voituron, qui a entrepris tout ce qu'il faut pour que l'aumônier et l'imam que je suis puisse exercer avec beaucoup plus de facilité. Je peux vous dire que là bas je me sens chez moi, et c'est vrai que j'éprouve beaucoup de difficultés à quitter les prisons où j'interviens tellement l'accueil est favorable de la part de l'administration.
Pour la prière du vendredi, vous faites une fois sur deux ou les deux chaque vendredi ?
C.M.N. : En principe je devrais les deux tous les vendredis. Maintenant vous savez que la prière du midi commence à 14h. Alors je place la première prière du vendredi à l'heure fixe de la prière du midi, et la deuxième à Osny, je la fixe autour de 15h à 15h20.
Beaucoup de détenus assistent à cette prière hebdomadaire ?
C.M.N. : Oui bien sûr. A la maison d'arrêt d'Osny, j'ai en permanent une inscription de 45 à 50 détenus qui assistent à l'office. A Poissy, c'est une quinzaine. Ce sont des gens vraiment éprouvés par leur condamnation, et cela veut dire que je partage les difficultés liées à la solitude, parce que les soucis éprouvés par ces condamnés et les efforts déployés par la direction pour leur permettre de pratiquer correctement leur culte, je me dis que moi aumônier je devrais faire mieux. Je suis encouragé vous comprenez ?
Depuis combien de temps intervenez-vous dans les prisons ?
C.M.N. : Cela fait quatre ans à la maison d'arrêt d'Osny et trois ans à la prison centrale de Poissy. Et je suis intervenu pendant deux ans à la maison d'arrêt de Bois d'Arcy.
Quel genre de difficultés peut rencontrer un aumônier vis-à-vis des détenus ?
C.M.N. : Des altercations avec les détenus, non pas du tout. D'abord parce qu'ils ne sont pas forcés de venir me voir, c'est un acte volontaire. Ils effectuent une demande, ils font une lettre de demande pour l'inscription au culte. Alors quand ils viennent , ce n'est pas pour chercher des ennuis à l'aumônier. Je fais un travail religieux auprès de ces coreligionnaires mais en même temps je sais que ce sont des condamnés, et eux savent qu'il y a des limites qu'il ne faut pas franchir.
Vous êtes combien d’aumôniers en Ile-de-France ?
C.M.N. : Je sais que dans le Val d'Oise, je suis seul. Dans les Yvelines, j'étais aussi seul jusqu'à il n'y a pas longtemps, et je crois que maintenant à la maison d'arrêt de Bois d'Arcy il y en a un maintenant. A Fleury-Mérogis, c'est le recteur de la mosquée d'Evry, Khalil Merroun, qui officie en tant qu'aumônier. Mais il y a un déficit considérable des aumôniers musulmans.
Est-ce une activité bénévole ?
C.M.N. : Les aumôniers reconnus par le ministère de la Justice sont payés environ 740 euros par mois, pour les frais de transport. Un aumônier national touche quant à lui à peu près 1200 euros.