Religions

Climat : les religions de France unies pour préserver la Création en danger

Rédigé par Mérième Alaoui | Jeudi 28 Mai 2015 à 15:00

La Conférence internationale des Nations Unies sur le changement climatique (COP21) se prépare en collaboration avec les religions. Jeudi 21 mai, les représentants des six principaux cultes de France ont été invités à une journée de réflexion et d’échange sur le développement durable en présence de Nicolas Hulot, envoyé spécial du président de la République pour la préservation de la planète. « Climat : quels enjeux pour les religions ? » Retour sur les paroles fortes des représentants des cultes.



Les représentants de la Conférence des responsables de culte en France (CRCF) se sont réunis le 21 mai au Sénat sur le thème écologie et religions en préparation de la COP 21 en décembre 2015. © Saphirnews/HBR
Croix, toge bouddhiste, kippa ou même voile… Le Palais du Luxembourg a accueilli en son sein les représentants des principales religions de France et leurs fidèles engagés pour le climat. Une première en France. Autour de la question de l’écologie et du développement durable, catholiques, protestants, orthodoxes, bouddhistes, juifs et musulmans ont été invités a détailler la position de leur culte en vue de la 21e Conférence internationale des Nations Unies sur le changement climatique (COP21), organisée cette année à Paris du 30 novembre au 11 décembre.

Faire participer les religions au combat pour l’écologie, c’était l’idée de Nicolas Hulot. « Quand j’ai pris cette mission, il m’a semblé évident, nécessaire de créer des passerelles avec des autorités religieuses. Que n’ai-je pas entendu au début de cette démarche ! Je voyais bien ces sourires narquois… On disait : "Hulot va au Vatican, il est tellement déprimé qu’il cherche un miracle…" Au passage, je suis preneur ! », lance l’envoyé spécial du président de la République pour la préservation de la planète, déclenchant des rires complices dans l’assistance. Car faire appel officiellement aux religions dans le débat public pour des questions qui ne concerne ni la laïcité, ni des polémiques de bout de tissu, est devenu assez rare pour être souligné.

Une bataille commune de l'esprit

Et Nicolas Hulot de reprendre dans un ton plus grave : « Nous sommes dans une grave crise de civilisation, il y a quelque chose de profondément intime qui ne fonctionne plus dans nos sociétés. (…) Pour moi, il y a une nécessité absolue de mener la bataille de l’esprit, l’âme du monde est profondément malade. » Il dénonce le brouhaha de la société de communication actuelle qui place souvent des sujets graves comme le dérèglement climatique au même plan que d’autres, beaucoup plus futiles. « Vous pouvez nous aider, vous et d’autres, à placer cette crise à un niveau supérieur et à faire en sorte que l’humanité n’esquive pas ce rendez-vous critique à laquelle elle est confrontée », interpelle l’envoyé spécial.

Un appel qu'acceptent volontiers les religieux, fiers de se retrouver au Sénat pour un sujet si important. « Ce colloque est un moment à la fois particulier, originale et un moment sans doute heureux bienvenu. L’objectif de manifester notre intérêt et notre engagement », explique le pasteur François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France (FPF) et président de la Conférence des responsables de culte en France (CRCF).

Préserver l'indispensable rôle du gardien

Chaque représentant a pris le soin de rappeler que sa religion, en lien avec la Création, est en phase avec l’écologie. Du moins dans les Textes sacrés. Dans le Coran, source première des musulmans, il est clairement fait mention, et à plusieurs reprises de la préservation de la nature. « L’humain est considéré comme le vicaire de Dieu sur Terre, al-Khalifa, le gardien de cette Terre qui est de sa responsabilité. Il sera jugé sur son utilisation de cette ressource qui ne lui appartient pas », explique Tarik Bengarai, théologien, chercheur en droit musulman également expert en finance.

Dans le récit prophétique également, l’importance de la nature est telle que « si la fin du monde venait à survenir, alors que l’un d’entre vous tenait dans sa main une plante alors s’il peut la planter avant la fin du monde, qu’il le fasse », cite Tarik Bengarai. Lors de ces regards croisés avec les autres religions, ce hadith selon Mouslim fait écho à une référence du Talmud : « Si tu es en train de planter un arbre, et qu’on t’annonce la venue du Messie, et bien le Messie attendra », cite Michaël Azoulay, le rabbin de Neuilly-sur-Seine. « Une phrase très importante quand on connait l’importance de l’espérance de la venue du Messie dans la tradition juive » précise-t-il.

Un plaidoyer commun à remettre à François Hollande

Tous les textes religieux sont nourris de références à la terre et bannissent le gaspillage et la démesure. Le respect de ce patrimoine commun est donc une obligation religieuse pour le fidèle. De tous les cultes, cette prise de conscience de la responsabilité humaine est fortement ancrée du côté bouddhiste où l'on considère que « l’homme, son environnement et la nature ne font qu’un », rappelle Olivier Reigen Wang Genh, président de l’Union bouddhiste de France. Sensibiliser, faire de la pédagogie et être un relais, c’est la principale mission des représentants religieux. S’ils se sentent impliqués, ils déplorent que les moyens à mettre en œuvre restent encore flous. « Il faut faire un grand travail de formation sur le terrain, dans nos mosquées notamment » esquisse Tarik Bengarai.

Cette journée de réflexions et de débats, suivi d'un temps d'échanges sur les actions concrètes qui peuvent être menées, était appelée à nourrir un plaidoyer commun pour le climat, un texte qui sera présenté à François Hollande le 1er juillet à l’Elysée. Ce même jour, des religieux ont décrété qu’ils jeûneraient pour participer au mouvement du jeûne pour le climat. Les musulmans seront alors en plein Ramadan. « Nous réfléchissons même à l’idée d’inviter François Hollande à jeûner avec nous ce jour-là », lance le président de la CRCF. Plus important encore : que de nouveaux engagements puissent être pris pour que l'action politique française contribue, avec la société civile, à accompagner un changement des comportements devenu nécessaire.

Paroles fortes des représentants religieux

Pasteur François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France (FPF) : « Les religions ne se positionnent nullement en surplomb de la société » mais sont des « collaborateurs des forces vives du pays et ont voulu prendre toute leur part » dans le défi climatique qui s'impose à tous. « Nous sommes à un temps décisif, un kairos (...). Cela peut marquer un point dans la prise de responsabilité à l’égard des changements climatiques. C’est en tant que chrétiens que nous prenons notre responsabilité collective, solidaire qui est fondée sur ce qu’on a appelé la théologie de la création et de la justice. »

« L'avenir ne doit pas être perçu comme une menace seulement parce que, si c'est dans cet perspective que nous avançons, il n'y aura pas de place à l'espérance. C'est bien des promesses encore inaccomplies qui sont devant nous et nous pouvons entrer dans cet avenir seulement si nous exerçons cette responsabilité citoyenne et si nous portons cette dimension spirituelle dont le monde a besoin. »

Métropolite Emmanuel de France, président de l'Assemblée des évêques orthodoxes de France (AEOF) : « Les chrétiens ont forgé à travers les siècles une relation avec la nature qui s’enracine dans une vision théologique spirituelle de la création qui rend compte parfaitement du paradoxe qu’il y a entre la faiblesse d’une humanité déchue et l’espérance de notre salut. Pour nous, la création s’articule autour de trois "C" comme confession, contemplation et conversion »

Mgr Jean-Luc Brunin, président du Conseil Famille et société de la Conférence des évêques de France (CEF) : « Nous sommes en attente de l’encyclique du pape François, qui s’annonce pour le mois de juin et dont le thème sera l’écologie. La question climatique ne peut pas être dissociée de la question du développement et de celle de l’attention aux plus pauvres qu'il faut permettre de rendre acteurs dans un développement solidaire. Nous sommes dans une période favorable pour nous ressaisir, on n’a pas à sombrer dans le scénario catastrophe, mais dire qu'un avenir autre est possible »

Anouar Kbibech, vice-président du Conseil français du culte musulman (CFCM) : « Je tiens à exprimer mon bonheur et ma joie à participer à la réflexion d’un sujet d’importance qui engage l’avenir de la Terre et de l’humanité. Je suis très heureux de répondre au nom du CFCM non pas sur des sujets polémiques, des questions de repas de substitution à la cantine dans le primaire, de longueur de jupes dans les lycées ou du port du voile à l'université… Nos motivations et nos préoccupations, toutes religions confondues, sont communes. Nous parlons de la théologie de la création du fait que la Terre est une création de Dieu et qu'il faut la préserver. »

« COP21 est une étape, pas une fin en soi. C'est un moyen pour entreprendre le travail de pédagogie et pouvoir contribuer d'une manière ou d'une autre à la sauvegarde de la planète. »

Haïm Korsia, grand rabbin de France : « Quand Nicolas Hulot a interpellé les religions, on s’est senti responsables. Cette initiative d’inclure les religions dans la réflexion collective, est la plus belle des marques de la véritable laïcité, celle qui n’exclut pas les religions du champs de la cité. »

« Je voudrais dire le grand bonheur du judaïsme, qui a quelques millénaires d’avance et qui constate, de manière amusé, que beaucoup d’intervenants dans le milieu environnemental, ont beaucoup de mal à faire accepter un jour par an sans voiture… Nous, nous avons 52 jours par an sans voiture avec shabbat, plus les jours de fête. Cela fait en gros 60 jours par an sans voiture ! »

Olivier Reigen Wang Genh, président de l’Union bouddhiste de France : « Nous nous plaçons en tant que bouddhistes sous trois mots essentiels. Bouddha veut dire "Celui qui s’est éveillé". L’éveil est central, nous devons nous éveillé ou plutôt nous réveiller. Puis, il y a la responsabilité sur le fait que nous sommes sur une interdépendance totale avec la nature. Enfin, il y a l’action : nous devons agir, ce n’est plus une option. Nous devons prendre conscience que nous n’avons plus le choix. »