Monde

Corée du Sud : désir d'émancipation, poids des traditions

Spécial #8Mars

Rédigé par Simon Godart | Vendredi 9 Mars 2018 à 16:00

Quel état des lieux dresser du respect des droits des femmes en Corée du Sud en 2018 ? Panorama sur la situation avec Simon Godart, en partenariat avec l'Observatoire Pharos du pluralisme des cultures et des religions.



Corée du Sud : désir d'émancipation, poids des traditions. © Hanok-Ao Dai Fashion Show, Korea.netKorean Culture and Information Service, Flickr, CC BY-SA 2.0
Ayant pris leur essor dans la Péninsule sous la dynastie Joseon (1392-1910), les valeurs confucianistes constituent toujours la base culturelle de la Corée contemporaine. Patriarcale et organisée autour de la famille, la société de l’époque croit en l’infériorité de la femme, représentée par l’expression « NamJon-Yeo-Bi » : « L’homme est plus haut que la femme. »

Dans les années 1970, la Corée, dirigée par le Général Park Chung-hee, au pouvoir depuis le début des années 1960, aspire à la démocratie. Et même si pendant cette période l’égalité des genres devient une question récurrente, ce n’est qu’à la fin des années 1980, après la démocratisation du pays, que des mesures législatives sont prises en ce sens. Bien plus tard, en 2001, le ministère de l’Egalité des sexes et de la Famille verra le jour. Puis en 2005, le Hoju, système patrilinéaire de registre familial, discriminatoire pour les femmes à bien des égards, sera enfin aboli.

Des progrès certains mais insuffisants

Depuis l’indépendance de la péninsule, et parallèlement à la croissance économique du pays, la condition des femmes a progressé. Selon le Korean Women’s Development Institute, le taux d’activité économique des Coréennes est ainsi passé de moins de 30 % avant la Guerre de Corée (1950-1953) à 42 % en 1985, puis à 52 % en 2016. Mais malgré cette progression, la participation des femmes à l’économie est encore aujourd’hui bien inférieure à la moyenne des pays de l’OCDE.

Le Global Gender Gap Report 2016 du Forum économique mondial a ainsi classé la Corée du Sud 116e sur 145 pays, et 123e sur 145 en termes d’opportunité et de participation économique des femmes, ce qui constitue le classement le plus bas de tous les pays développés.

L'index du plafond de verre (Glass Ceiling Index) publié par The Economist en 2017 place, quant à lui, la République de Corée dernière de son classement. Ces mauvais résultats sont notamment dus à la grande différence de salaire entre les hommes et les femmes. En effet les femmes sont en moyenne payées 36,6 % de moins que les hommes, le plus grand écart recensé parmi les pays de l’OCDE.

Dans ces classements, la Corée du Sud ne brille pas non plus dans la représentation politique des femmes. Celles-ci ne représentent en effet que 15 % en moyenne des sièges aux assemblées locales et nationales. Et cela malgré la promulgation en 2000 d’une loi imposant un quota de 30 % de candidates aux élections locales, et un quota de 50 % de femmes parmi les candidats à l’Assemblée nationale.

Sur le terrain de l’éducation, les Coréennes s’en sortent cependant beaucoup mieux. En effet, leur taux d’entrée à l’université dépasse celui des hommes depuis 2009, et l’écart se creuse au fil des ans. Malgré ces résultats encourageants, certains secteurs élitistes restent relativement difficiles d’accès aux Coréennes. Les femmes ne constituent, par exemple, que 20 à 25 % des effectifs des avocats, des médecins, ou des professeurs d’université. Selon le Wall Street Journal, sur les 1787 entreprises de la Bourse sud-coréenne, seules treize sont dirigées par des femmes, et quatre d’entre elles sont directement liées aux familles ayant fondé ces entreprises.

Des lois qui interdisent aux employeurs toutes discriminations basées sur le sexe existent bien en Corée du Sud, mais celles-ci persistent malgré tout. Une étude de Saramin, un site de recherche d’emploi, a ainsi déterminé qu’un tiers des entreprises avaient déjà rejeté des candidatures de femmes aussi bien, voire plus, qualifiées que leurs concurrents masculins, au prétexte que « seul un homme était capable de faire ce travail ».

Carrière ou vie de famille

Cette discrimination généralisée dans le monde du travail est directement représentée sur la courbe de l’emploi des Coréennes, qui est célèbre pour sa forme de « M ». Sur cette courbe, le pourcentage de femmes travaillant augmente de façon normale jusque 30 ans. Cependant, passé ce cap, la courbe baisse pour ne remonter que vers 40 ans. Le creux marquant ainsi cette courbe entre 30 et 40 ans s’explique par une particularité de la société coréenne : un grand nombre de femmes quittent en effet leur travail, après leur mariage ou la naissance d’un enfant, au lieu de prendre le congé maternité auquel elles ont droit.

Pour de nombreux managers, donner une promotion, ou même simplement embaucher une femme, représente donc un pari sur l’avenir dont ils ont peu de chance de sortir gagnants. En conséquence, de nombreuses femmes réintégrant la population active le font par des emplois précaires, souvent sous la forme de contrats à courte durée ou à temps partiel.

C’est pour cette raison que de plus en plus de Coréennes envisagent de ne pas se marier ou de ne pas avoir d’enfants : pour de ne pas compromettre leur carrière. Il va sans dire que cette décision, dans un pays où l’une des plus grandes sources d’inquiétude réside dans la baisse constante de son taux de natalité, est assez courageuse et plutôt mal acceptée. De plus en plus de jeunes femmes choisissent également de miser sur les concours d’État, leur permettant d’obtenir un poste selon leur seul mérite, sans possibilité de discrimination.

De 1995 à 2016, la part des femmes reçues aux différents concours de la fonction publique est ainsi passée de 8,8 % à 36,7 % pour le ministère de la Justice, de 10,4 % à 41,4 % pour l’administration, et de 5,7 % à 70,7 % pour le ministère des Affaires Etrangères. Parallèlement, entre 2001 et 2013, le nombre de femmes hauts fonctionnaires a été multiplié par quatre, pour atteindre… 8,8 %.

Une société profondément misogyne

Ces progrès ne peuvent cependant pas faire oublier la cause profonde des discriminations dont les femmes sont les victimes : une misogynie profondément enracinée dans la société coréenne. Celle-ci se cristallise dans Ilbe, un site internet communautaire connu pour ses positions d’extrême droite et sa critique récurrente des femmes. Pour ses membres, les efforts faits en matière d’égalité des sexes représentent une discrimination envers les hommes. C’est d’ailleurs sur Ilbe que se sont répandus les noms kimchinyeo (김치녀, femme-kimchi) et doenjangnyo (된장녀, femme-pâte de haricot). Ces expressions sont utilisées par les membres du site pour décrire les Coréennes comme des croqueuses de diamants, superficielles, vivant aux crochets des hommes. Ces surnoms ont même fini par se faire une place dans le langage courant, jusqu’à être évoqués dans le succès mondial de musique pop, Gangnam Style.

Prompte à les critiquer, la société est pourtant à l’origine de l’obsession qu’ont les Coréennes pour leur apparence, et de l’attention qu’elles lui portent en tout temps et tout lieu. Ainsi, pour certains parents, offrir l’intervention d’un chirurgien esthétique à leur fille lorsque celle-ci obtient son diplôme est un magnifique cadeau. Tout comme l’effort financier qu’ils ont consenti pour lui offrir des études supérieures, celui-ci l’aidera à mieux réussir dans la vie.

Ce qui est aberrant pour nous, Européens, fait sens dans une société ultra-compétitive, qui accorde une grande importance à l’apparence. Il est en effet de notoriété publique que, dans le pays, les jolies filles seront celles qui seront embauchées en priorité, ce qui rend la photo (retouchée bien sûr) obligatoire sur le curriculum vitae. Une fois dans le monde du travail, l’apparence compte plus encore. Il n’est ainsi pas rare que les Coréennes arrivant au bureau non (ou pas assez) maquillée aient à subir les remontrances de leurs collègues masculins, qui voient cela comme manque de respect envers leurs supérieurs.

Un ardent désir de changement

Même au sein de la famille, cette structure que l’on considère souvent comme un cocon protecteur, les discriminations héritées de la société traditionnelle sont tenaces. Les fêtes de famille comme Seollal, le nouvel-an lunaire, sont ainsi le théâtre d’oppositions entre les sexes, mais aussi d’oppositions entre les générations. Les jeunes femmes voulant faire évoluer les mœurs se retrouvent souvent en opposition avec leurs mère et belle-mère qui, par habitude ou attachement aux traditions, se plient en quatre pour servir et satisfaire leur famille, quitte à passer l’ensemble des fêtes dans la cuisine.

On entend ainsi parfois l’histoire de jeunes Coréennes révoltées par la situation et voulant faire bouger les choses. Mais elles finissent souvent par abdiquer et rejoindre leur mère aux fourneaux, soit pour ne pas lui laisser faire tout le travail, soit parce qu’elles ressentent, malgré elles, la responsabilité que leur fait peser la société. Il semblerait donc que les valeurs et normes traditionnelles soient dures à effacer, même dans la conscience de leurs principales victimes.

Le 29 janvier dernier, la procureure Seo Ji-hyeon est apparue à la télévision nationale, révélant l’agression sexuelle qu’elle a subie de la part d’un collègue huit ans plus tôt. Ces révélations, véritable séisme pour le pays, sont considérées comme l'élément déclencheur du mouvement #MeToo en Corée du Sud. Depuis un mois, il ne se passe en effet pas un jour sans qu’une révélation n’ait lieu dans les milieux de la culture et des arts, des médias, des affaires, ou même dans les milieux religieux et universitaires. Chaque déclaration fait ainsi un peu plus la lumière sur les abus de pouvoir et le sexisme ordinaire qui sont enracinés dans l’organisation traditionnelle et très hiérarchisée du pays.

Par le passé, comme l’expliquent Chin Ji-min et Son Dahm-eun dans un article de Hankyeoreh, les femmes révélant avoir été agressées étaient en général traitées comme des « hérétiques » menaçant l’ordre établi, ou méprisées et accusées de vouloir en tirer profit. Elles se trouvaient souvent elles-mêmes attaquées en retour pour diffamation et fausses accusations.

Mais les révélations de Seo Ji-hyeon, et les mesures prises par la suite, ont fait naître l’espoir que les choses puissent changer. Non seulement il n’est plus risqué de parler, mais en dénonçant leurs agresseurs, les victimes peuvent, elles-aussi, faire bouger les choses.

Nombreux sont ceux qui espèrent ainsi voir ce mouvement transformer en profondeur la société, avant qu’il ne perde de son élan. Pour le moment, la parole semble libérée, et le mouvement a récemment reçu le soutien du Président Moon et du gouvernement. Mais malgré ces signes encourageants, de nombreux obstacles devront être encore surmontés avant que les mentalités ne changent durablement. Il est indéniable que les jeunes générations sont plus sensibles à la cause des femmes, et plus ardentes dans leur désir de voir les choses évoluer. Mais comment remporter ce bras de fer dans un système où les agresseurs sont aussi parmi des figures d’autorité, puissantes et respectées ?Comment changer les choses dans une société traditionnelle et patriarcale, où l’autorité et le respect sont le privilège de ceux que l’on dénonce ?

Pour aller plus loin

Sang Wha Lee, Patriarchy and Confucianism : Feminist Critique and Reconstruction of Confucianism in Korea, in Women's Experiences and Feminist Practices in South Korea, Asian Center for Women's Studies, juin 2005.

Darcie Draudt, The struggles of South Korea’s working women, How structural barriers impede South Korean women from joining the workforce, The diplomat, 26 août 2016

Seohoi Stephanie Park, « Parasite Moms » Vs. « Meat Shields » : A novel prompts an online spat, Korea Exposé. 3 avril 2017

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Simon Godart est un Observateur Junior, membre de l'Observatoire Pharos du pluralisme des cultures et des religions. Spécialisé dans les questions de défense et diplômé en Relations internationales de l’Université Catholique de Lille, Simon a eu la chance de terminer son Master à l’Université d’Ewha, à Séoul. Tombé sous le charme du pays, de sa culture et de ses habitants, il est resté deux ans afin de poursuivre sa passion pour les questions liées à l’Asie de l’Est, en agissant au sein de think tanks, d’ONG, et grâce aux personnes rencontrées à travers la région.