Censure
L’association des lecteurs du journal, Les Amis du Monde diplomatique, actionnaires de 25% du mensuel, a été créée afin d’assurer l’indépendance de la ligne éditoriale du journal. Cette association a mis en place, en 2002, un prix visant à récompenser des essais, des documents ou analyses dans le domaine politique, historique ou économique. Le comité d’organisation devait présélectionner des ouvrages concourants, partant d’une trentaine de textes pour arriver à une sélection de cinq livres. Ce même comité établissait un jury composé de neufs lecteurs du mensuel choisis parmi ceux ayant répondu à l’appel à candidature paraissant dans le Monde diplomatique pour l’occasion. Ces jurés devaient ensuite nommer, après lecture et débat, l’ouvrage méritant le prix.
Lors de la préparation du prix 2005, 29 ouvrages ont été présélectionnés. Cependant, de fortes pressions provenant de la direction du journal ont été menées afin de retirer de la sélection « Le Mur de Sharon » d’Alain Ménargues. Ignacio Ramonet, directeur du Monde diplomatique, explique devant le Conseil d’administration de l'association que i[« Compte tenu des positions inacceptables prises par Alain Ménargues dans son livre « le mur de Sharon » […] »]i il n’est pas souhaitable que cet ouvrage soit présenté. Plus encore, Le Conseil d’administration a non seulement censuré l’ouvrage, mais l’auteur : « le Conseil demande aux correspondants locaux des Amis du Monde Diplomatique (ndlr : 60 groupes à travers le monde organisant plus de 500 conférences) de ne pas inviter l’auteur de l’ouvrage à des conférences-débats. Cela afin de ne pas nuire à l’image du journal et à sa ligne éditoriale au Proche Orient. »
Il est utile de rappeler que ni la maison d’édition (Presses de la Renaissance), ni l’auteur, n’ont été poursuivis et encore moins condamnés pour les propos tenus dans cet ouvrage. Suite à la révolte de certains Amis du Monde diplomatique, le conseil d’administration a décidé de couper court à l’indépendance et d’adjoindre au groupe un membre de la rédaction du mensuel pour faire office de garde fous et maîtriser le choix des ouvrages, et deux membres du conseil d'administration de l'association pour contrôler la sélection des jurés. Le comité d’organisation du prix des Amis du Monde diplomatique cri au scandale et en guise de protestation, refuse de remettre le prix 2005, s’affirmant être au service « du débat d’idées ».
Alain Ménargues journaliste et auteur du « Mur de Sharon » s’exprime dans une lettre ouverte à la direction du Monde Diplomatique. i[« Exclu. Vous m’avez exclu pour avoir émis des idées sur le conflit Israélo-palestinien éloignées de la ligne de certains responsables de la rédaction du Monde diplomatique. […] Vous m’avez interdit de débat parce qu’il ne peut y avoir, dans votre conception, de débats sans consensus absolu avec vous. »]i
Attac au sein du « diplo » ?
Peu après, Alain Gresh et Dominique Vidal, respectivement rédacteurs en chef et adjoint du Monde diplomatique quittent subitement leurs fonctions.
Deux versions officielles ont été soutenues sur la cause de leur départ : la première serait l’insupportable surcharge de travail. Alain Gresh serait donc parti volontairement pour s’occuper du site Internet de la publication. Un rédacteur en chef d’un grand journal influent quitte donc ses fonctions afin de s’occuper du site Internet de cette même publication. Il s’agit-là d’une régression notable.
La seconde hypothèse est liée aux tensions ayant lieu à la tête de l’association Attac, historiquement liée au Monde diplomatique. D. Vidal et A. Gresh ne voulaient en aucun cas que le mensuel ne s’implique dans la crise interne qui secoue cette association en ce moment. Jacques Nikonoff, président d’Attac et Bernard Cassen à la fois cofondateur, président d’honneur d’Attac, directeur générale de la société éditrice du Monde diplomatique et journaliste pour ce dernier, voient leurs pouvoirs au sein de l’association alter mondialiste gravement remis en question.
En effet, plusieurs groupes locaux réclament plus de démocratie dans le fonctionnement d’Attac. C’est en affirmant son soutien inconditionnel aux deux dirigeants, certes « à titre personnel », que I. Ramonet aurait déclenché le départ de M Gresh et M. Vidal. De plus, M. Ramonet serait lui aussi sur le départ.
Il y a tout de même un détail qui ne faut pas oublier de mentionner : Alain Gresh et Dominique Vidal étaient tous deux en charge du dossier sur le Proche Orient. Coïncidence ?
D’après plusieurs Amis du Monde diplomatique ces changements i[« sont dûs à la cristallisation autour du traitement du Proche Orient dans le journal. Des pressions ont poussé dans le sens d’un positionnement plus bienveillant envers la politique de l’Etat d’Israël. […] On assista à un fléchissement de la ligne éditoriale […] jusqu'à reprendre un article de l’intellectuel d’origine Palestinienne Edward Saïd en procédant à des coupes qui en dénaturaient fondamentalement le sens. »]i Le Monde diplomatique ne laisse dans la compréhension générale de l’article, que les passages ou M. Edward Saïd s’attaque à « l’absolue passivité et impuissance du monde arabe ». Voici donc un passage que le journal a jugé bon de censurer : i[« Les Nations Unies restent bras croisés, spectatrices tandis que leurs résolutions sont violées à toute heure. Comme d’habitude, Georges Bush, hélas, s’identifie à Sharon, pas aux jeunes Palestiniens de 16 ans dont les soldats israéliens se servent comme boucliers humains. […] méritons nous d’être traités avec une telle dérision raciste ? »]i.
Ligne éditoriale sous pression
La ligne éditoriale du journal serait en plein changement concernant le Proche Orient. Il y a ici un début de réponse à la censure du « mur de Sharon » ! « […] « Un auteur antisémite ». Le grand mot. Tous ceux qui dénoncent les agissements d’Israël, et notamment ceux qui ont les références et la notoriété pour le faire pertinemment, subissent les foudres de ces grenadiers de l’extrême droite israélienne brandissant l’arme de l’antisémitisme pour tenter de redresser l’image des gouvernements de Tel-Aviv, tombant totalement en décrépitude depuis le massacre de Sabra et Chatilla en 1982. » S’exclame Alain Ménargues.
Les pressions dont il s’agit viendraient principalement du « mensuel du judaïsme Français »: « L’Arche ». Cette publication, (comptant ente autres signatures, Alexandre Adler, Alain Finkielkrault, Pierre-André Taguieff…) se serait attaquée à la rédaction du Monde diplomatique, particulièrement Dominique Vidal ainsi qu’aux Amis du Monde diplomatique sur leur positionnement concernant le conflit israélo palestinien.
Les idées développées par ce mensuel sont tout de même loin de la politique éditoriale à laquelle le Monde diplomatique nous avait habituée : i[« […] Les goy ! Ils se reproduisent, ils nous surveillent, ils ne nous veulent pas du bien. […]Enveloppant tout ça de laïcité à la gomme, dansant la danse du ventre avec les imams et les archevêques, le goy est un démon jamais en repos, un vibrionnaire du mal, un virus contre lequel le Juif, citoyen du pays réel, est désarmé. […]Juif, réveille-toi ! La France compte sur toi. » ]i(Extrait de L’Arche n° 572, décembre 2005).
Il y a de quoi fortement s’interroger sur les motivations des dirigeants du Monde diplomatique en prenant comme argent comptant la moindre opposition, surtout celle-ci.
Il est aussi pertinent de se demander comment un journal du type de l’Arche peut avoir une telle influence sur une publication aussi importante que le Monde diplomatique ? Jean Marie Colombani, Président du directoire du groupe «Le Monde», connu pour sa position pro israélienne, aurait-il quelque chose à voir dans cette affaire ? Rappelons que le groupe Le Monde détient 51% du capital du Monde diplomatique.
Alain Gresh, s’exprimant sur les changements de positionnement de la presse concernant le conflit au Proche Orient, écrit : i[« En France, les violentes campagnes menées contre certains journalistes et intellectuels, de Daniel Mermet à Edgar Morin, en passant par Jean Ferrat, ont contribué à tétaniser une partie des journalistes : qui souhaiterait être taxé, même à tort, d’antisémitisme ? […] Exemple édifiant, ]ipoursuit Alain Gresh, pendant des semaines, les médias internationaux ont braqué leurs projecteurs sur les quelques milliers de colons évacués, s’étendant sur leur souffrance comme sur les pleurs des soldats chargés de les évacuer. Peu de journalistes ont rappelé que la « colonisation » représente, selon les normes de la Cour pénale internationale, un crime de guerre.»
Pouvoir, pouvoir quand tu nous tiens…
S’ajoute à tout ceci la possible entrée dans le capitale du groupe Le Monde, du groupe Lagardère, géant dans les médias certes, mais aussi et surtout dans la haute technologie de défense armée.
En janvier 2004 Londres a présélectionné l'A330-200 (production Lagardère) comme futur avion ravitailleur de la Royal Air Force. En Février de la même année, Lagardère signe un contrat pour la fourniture d'avions de patrouille maritime aux gardes-côtes des Etats-Unis. Que de mieux pour un tel groupe que de maîtriser à la fois les armes et les médias? N’oublions pas de surcroît, que pour Lagardère, plus la guerre fait rage, plus le chiffre d’affaire a de possibilité de grimper. Ceci n’est pas rassurant pour l’indépendance éditoriale du Monde diplomatique. Où sont donc passées les idéaux libérateurs de la « pensée unique » ?
Le Monde diplomatique est en péril. Outre la perte conséquente de nombreux lecteurs, Le malaise va jusqu’à diviser les membres de l’association des Amis du Monde diplomatique. Le site oumma.com, ayant publié un article cosigné par plusieurs membres des Amis Du Monde diplomatique, s’est vue taxé de « site islamiste » par Daniel Junqua, ancien journaliste du Monde retraité, vice-président de l’association et de Reporter Sans Frontière. Cyril Berneron (coauteur de l’article en question) répond : « Donner une dimension religieuse à ce texte... quelle idée ! Mais ça ne fait, malheureusement, que confirmer notre article. C'est faire le jeu du clash des civilisations développé par l'administration Bush. Pour le « Diplo », c'est inquiétant, non ? »
Claude Julien, d’abord rédacteur en chef puis directeur du Monde diplomatique de janvier 1973 à décembre 1990, décédé en 2005, écrivait dans « Le devoir d’irrespect » :
i[« […] Irrévérencieux, pour ne pas participer au vaste concours des complaisances. Lorsque la tâche devient ou paraît trop lourde, certains choisissent alors le confort trompeur, les illusoires facilités et les vaines satisfactions que procurent les antichambres du pouvoir, des pouvoirs, sans se rendre compte qu’ils immolent leurs qualités d’esprit sans pour autant prendre prise sur le pouvoir.»]i