Religions

Cours de laïcité pour imams, l’islam de France en vue ?

Rédigé par Maria Magassa-Konaté | Mardi 11 Septembre 2012 à 16:59

Bientôt des « imams DE France » ? Une formation pour imams en partenariat avec le monde universitaire va voir le jour à Lyon, au mois d’octobre. Elle leur fournira un enseignement de la laïcité. Le but : voir émerger un islam de France, loin des tutelles étrangères. Mais l’intervention fréquente des pays d’origines des musulmans de France n’est pas prête de s’arrêter, car les initiatives comme celle de Lyon sont encore rares.



C’est en pleine période de rentrée, vendredi 7 septembre, que le projet « Interculturalité, laïcité et diversité » a été présenté par le préfet de la région Rhône-Alpes, Jean-François Carenco.

La Grande Mosquée de Lyon, l’université Lyon 3 et l’Université catholique de Lyon (UCL) se sont regroupées pour proposer une double formation inédite. Le premier objectif est de former des imams à la langue française et à la laïcité pour « la consolidation d’un islam de France, respectueux des lois de la République ».
Le second est de mieux faire connaître l’islam aux professionnels travaillant dans les hôpitaux, les administrations ou les écoles et qui pourraient être confrontés à des questions religieuses.

La langue française pour parler aux jeunes

La formation destinée aux imams devrait démarrer le 15 octobre, indique Kamel Kabtane, le recteur de la Grande Mosquée de Lyon, qui, par le biais de l'Institut de civilisation musulmane, est l’un des initiateurs du projet.

« Pour le moment, nous sommes dans la phase de recrutement. Une quarantaine de personnes est pressentie. Nous allons choisir selon la capacité et la nécessité de chaque candidat », explique-t-il. Une vingtaine sera sélectionnée. « Ceux qui résident en France depuis longtemps seront privilégiés », ajoute-t-il. En effet, les imams suivront un enseignement qui leur sera utile pour officier dans l’Hexagone. Ils recevront ainsi des cours de langue française. Un enseignement que Kamel Kabtane juge primordial, car « de plus en plus de jeunes souhaitent connaître leur religion et les imams qui ne parlent pas français ne peuvent pas la leur transmettre ».

Les aumôniers et responsables associatifs musulmans sont également visés par cette formation. Ces derniers seront formés à la gestion d’une association. « Nous avons besoin de clarifier les choses car beaucoup ne connaissent par réellement la gestion d’une association », note le recteur de la Grande Mosquée de Lyon.

Cette formation composée de 220 heures de formation de français et d’une quarantaine d’heures de cours sur la laïcité débouchera sur un certificat. Les enseignants de l’université Lyon 3 et de l’UCL interviendront auprès des étudiants. Les cours de français seront ainsi pris en charge par l’UCL. « Nous vivons certes dans une société pluriculturelle et plurireligieuse mais dans laquelle il nous semble important de proposer des solutions pour une meilleure connaissance de la langue et de l’histoire de notre pays, avec le souci du vivre-ensemble », déclare Thierry Magnin, le recteur de l’établissement catholique à La Croix.

Mieux connaître l’islam et les musulmans

Parallèlement, les trois institutions se sont regroupées pour la mise en place d’un diplôme universitaire (DU) destiné aux fonctionnaires et aux cadres d’entreprise non musulmans. Intitulé « Religion, liberté religieuse et laïcité », ce DU a pour but de mieux faire connaître l’islam à ces professionnels qui pourraient faire face à des questions religieuses dans le cadre de leur travail.

Pour cela, des cours d’histoire et de sociologie de l’islam leur seront proposés. Cela peut être un bon moyen de faire disparaître les préjugés qu’ils peuvent avoir sur les musulmans et l’islam.

Mais avec des enseignements théoriques sur la laïcité, l’enseignement de ces fonctionnaires vise aussi à les aider à répondre à des situations complexes en cas de revendications religieuses. Espérons que ce ne soit pas au détriment des musulmans.

L’intention affichée montre le contraire. « L'objectif est de faire se rencontrer des gens d'origines et de cultures différentes pour qu'ils se comprennent mieux », indique la préfecture de Rhône-Alpes, qui se charge d’en faire la promotion auprès des agents publics. Lors de leur cursus, ces derniers seront d’ailleurs amenés à suivre des modules aux côtés des musulmans.

Des formations en mal d’étudiants

Ce projet d’un coût prévisionnel de 120 000 € bénéficie de 83 000 € d’aides de l’Etat au titre de la politique de la ville. Pour l’instant, l'inscription d'une cinquantaine de personnes est attendue. La quarantaine de postulants, rien que pour le cursus offert aux cadres musulmans est encourageant, mais le pari n’est pas gagné pour autant.

En effet, les initiatives similaires à l'Institut catholique de Paris et à Strasbourg avec le DU « Droit, société et pluralité des religions » peinent à s'envoler. « Des incertitudes pèsent sur les subventions publiques accordées notamment à la formation de l'Institut catholique de Paris », qui propose, depuis 2008, le DU « Interculturalité, Laïcité et Religions », rapporte ainsi sur son blog Stéphanie Le Bars, journaliste chargée des questions de religion au journal Le Monde.

Olivier Bobineau, le directeur de cette formation, a indiqué d’ailleurs, en juillet à La Croix éprouver des difficultés à recruter. Ces étudiants seraient « démotivés ». « Après le débat sur l’identité nationale, la loi sur la burqa puis le débat sur l'islam et la laïcité, ils ont l’impression que la République, tout en voulant leur enseigner ses valeurs, ne cesse de les pointer du doigt. Alors, ils se découragent », commente le sociologue des religions.

La formation des imams : une volonté politique

La formation civique des imams au sein des universités publiques est, depuis plusieurs années, une volonté des hommes politiques. Ces quinze dernières années, les gouvernements successifs ont voulu offrir des cours aux futurs imams afin de construire un « islam de France ». Mais cela n’a pas toujours été simple.
En 2005, l’université Sorbonne Paris 4 devait lancer une formation avant que le projet ne soit abandonné pour motif de laïcité. A l’université Paris 8, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), un projet de la sorte avait aussi été annoncé avant d’être lâché.

Aujourd’hui, à Lyon, on se veut confiant. « Les tentatives parisiennes étaient trop axées sur la religion. Avec la Grande Mosquée de Lyon, nous avons ressenti ce besoin d'intégration impliquant une connaissance des us et coutumes en France », précise le préfet de la région Rhône-Alpes, Jean-François Care.

Mais une menace plane toujours sur le développement de ces formations car certains défenseurs hardis de la laïcité n’acceptent toujours pas que l’argent public soit dépensé dans un tel enseignement.

Avec une mentalité pareille, l’islam de France ne risque pas d’émerger tout de suite. A l’inverse, dernièrement, une formation de théologie musulmane a ouvert ses portes à Strasbourg (Alsace). Elle propose un enseignement essentiellement en langue… turque.