J’ai lu attentivement le texte émargé par le pseudonyme « Ibrahim Ben Ammar ». Or, il n’est pas simple de critiquer un texte quand il est vide de sens et ne comporte que des attaques et des allégations qui le sortent du cadre de l’objectivité.
Parlons, dans un premier temps, de la forme:
De quoi s’agit-il dans ce texte dont l’auteur s’exprime en usant d’un pseudonyme, et pourquoi ne fait-il pas preuve d’un peu de courage en affichant son identité comme il affiche ses positions ?
A ma connaissance, les femmes et les hommes qui ont marqué leur temps ont eu un premier courage qui est celui d’assumer pleinement leurs avis et positions et non d’avancer en catimini à travers des pseudonymes.
Il paraît que l’auteur ne fait pas partie de la classe « Naam sidi : oui missié » et qu’il n’est pas non plus un « béni oui-oui ». Il fait apparemment partie de ceux qui ont compris la société et sa composition et qui s’inspirent de la Révolution française et des mouvements de grève « l’obtention de ses droits est souvent une question de rapport de force (au sens large du terme) à l’image de la révolution française, des mouvements grévistes etc. En d’autres termes, la liberté ne se quémande pas mais s’exige. ». Or, je me demande si celui qui se cache derrière un pseudonyme a vraiment ces qualités avancées ?
Parlons ensuite du fond :
I. Au sujet des soi-disant dissensions au sein de l’UOIF
Un groupe, un pays ou une société évoluent, passent par des crises, prennent des décisions qui ne font pas toujours l’unanimité, mais ne deviennent pas pour autant « à l’image d’un grand empire qui entame son déclin : un colosse au pied d’argile ». Le parti socialiste va t-il s’effondrer car sa direction est critiquée ? Les tensions au sein de l’Eglise catholique signent t-elles le début de sa fin ?
Tous les mouvements ont connu et connaissent des détracteurs et cela est tout à fait naturel, car les intérêts des groupes et des individus ne sont pas toujours en phase. De même qu’il est plus facile de dénigrer son opposant que de justifier ses propres positions. Et la meilleure façon de se faire connaître est de s’attaquer aux très connus et aux plus crédibles, c’est la logique de la surenchère. Il y aura toujours des surenchérisseurs qui ne promettent que des paroles et qui s’amusent à couper les cheveux en 50 puis en 40. Tant que ça fait de l’audimat des sites communautaires, les surenchères sont à la hausse!
L’UOIF pourra t-elle canaliser toute les déceptions et les frustrations ? Sa crucifixion suffira t-elle à absoudre les manquements dans tous les domaines qui font souffrir notre communauté ?
L’UOIF est un acteur social parmi d’autres, sans mystère ni exception. Elle est sujette aux mêmes conditions et logiques qui touchent les autres forces actives d’une société.
Les membres de l’UOIF sont des hommes et des femmes qui s’efforcent d'apporter leurs contributions, à leur manière, à la construction de l’édifice de l’Islam de France. Ils n’imposent leurs visions à personne, bien au contraire, ils s’emploient à trouver les points d’accord et de rapprochement avec tous les acteurs, sans exception.
II. L’UOIF ne brade pas l’Islam
A la lecture du texte, une impression se dégage que l’UOIF a intégré le CFCM en bradant ses principes fondateurs, dans une précipitation dictée par le soucis de sa soi-disant intégration politique. Or, n’en déplaise à l’auteur, le soucis de l’UOIF n’est pas une quête d’une légitimité à acquérir, si elle en a besoin d'ailleurs. Elle a des priorités pour lesquelles elle œuvre et dont l’intérêt commun est celui de l’Islam et des musulmans, au-delà des intérêts partisans.
Ainsi, au sujet du CFCM, avant d’accepter de l’intégrer, nous avons entamé plusieurs débats et rencontres internes et publiques dans la majeure partie des grandes villes de France. Nous étions devant trois choix :
1- Refuser d'intégrer le CFCM et ce dernier ne verra pas le jour.
2- Refuser d'intégrer le CFCM et ce dernier survivra. Le résultat est que cette instance ne pourra pas prétendre à une représentativité de l’ensemble des composantes du culte musulman en France.
3- Intégrer le CFCM et positiver son action ou du moins minimiser ses éventuels échecs.
Une fois la majorité s’est dégagée en faveur du dernier choix, la direction de l'UOIF a pris la décision de participer à cette instance.
III. L’UOIF a-t-elle un programme de « ruse » ?
Travailler dans la transparence et refuser toute action clandestine devient une ruse pour l’auteur. Car pour notre « analyste », et selon le dicton ‘‘ La meilleure ruse c’est de ne pas utiliser la ruse ’’, on en déduit que la meilleure clandestinité c’est de refuser la clandestinité, ou la meilleure façon de se cacher serait de se montrer ! Pourquoi faire allusion à la ruse dans ces circonstances ?
L’auteur n’est pas quelqu’un qui critique la direction de l'UOIF mais son existence de l’UOIF tout court! L’action de celle-ci se résumant, toujours selon lui, à une ruse. Fidèle à lui-même, il va nous livrer une partie de sa pensée pour nous expliquer le programme de « ruse » de l’UOIF qui met en cause la présence de l’Islam lui même : « cette entreprise essentiellement éducative doit faire tache d’huile sur toute la société où vit le musulman en passant respectivement par sa famille, son voisinage, sa ville, sa nation jusqu’à couvrir la ‘Oumma’ toute entière ».
Là aussi, notre pseudonyme se perd dans sa « critique » de l’UOIF. D’une part, il reproche à la direction de l’UOIF son abandon de l’œuvre éducative, et d’autre part, il considère que cette même œuvre se situe dans le cadre d’un programme de « ruse » ; alors il faut savoir ce qu’on veut !
IV. Une compréhension erronée
Le comble est atteint dans les citations et argumentations historiques et religieuses. L'auteur signe ainsi sa méconnaissance totale de l’exégèse et de la dynamique de l’histoire.
L’auteur considère que « Les frères, de bénévoles et volontaires ils se transforment par la force des choses en de farouches professionnels, hommes d’affaires, grands gourous manipulateurs maîtrisant parfaitement le discours politique en le conjuguant habilement avec le discours religieux ». Pour appuyer ce soupçon, l’auteur nous présente une parole du Prophète Mohamed PBSL : « … Le livre et le pouvoir se sépareront … ».
« … Le livre et le pouvoir se sépareront … », ce hadith mal interprété ne concerne en rien l’UOIF. D’abord l’UOIF est et restera toujours une institution de bénévoles, aucun dirigeant n’est salarié de l’Union. La gestion de la fédération est décentralisée, les associations locales, régionales ou spécialisées sont totalement autonomes quant à leur fonctionnement et leur gestion financière. L’UOIF emploie huit personnes choisies pour leurs compétences.
De plus, ce hadith concerne la séparation entre le pouvoir politique, la gestion de la vie courante et le Livre qui ne sera plus la référence en matière de loi et de législation.
V. Une analyse qui laisse à désirer
Avant de conclure sur les sacrifiés de l’UOIF (l’éducation, l’indépendance de l’institution, Tariq Ramadan, Abdallâh Ben Mansour), l'auteur nous livre cette analyse théologico-politique :
« Lors de l’émigration des musulmans en Abyssinie, quand ils étaient faibles, minoritaires et persécuté, leur attitude était ferme et résolue et ils ne se sont pas écartés d’un iota de leur discours initial. Malgré la zizanie que Amr Ibn El Aç a voulu semer entre eux et le roi Négus, leur chef Jaafar Ibn Abi Talib a tenu un et un seul discours : celui de la vérité. Ce discours est resté gravé dans toutes les mémoires et a même été l’une des raisons de la conversion du roi Négus à l’islam.
Par contre lors de la réconciliation d’El Houdaybiyya, le Prophète Mohammed PBSL a su lâcher de la corde et faire des concessions au point où cela ait irrité certains de ses compagnons.
Imaginons un seul instant que les musulmans avaient eu une attitude inverse : qu’ils aient modéré leur discours devant le roi des abyssins et qu’ils aient été fermes et rigides avec les mécréants à El Houdaybiyya, quelles conséquences catastrophiques auraient- ils eu alors ! »
En résumé, pour l’auteur, quand les musulmans sont faibles, ils doivent être intransigeants et fermes, et lorsqu’ils sont forts, ils doivent faire des concessions. Quelle analyse !
Lorsque vous êtes faible soyez ferme, car votre faiblesse est une force, la religion vous autorise, selon cette « école », cette fermeté et peu importe le prix !
Cher(e) analyste, l’Islam est une religion qui reconnaît la faiblesse humaine et l’aménage, les règles de la jurisprudence l’annonce sans ambages : « la contrainte ramène la facilité » le Coran à plusieurs reprises le rappelle :
« Maintenant Allah a allégé votre tâche, sachant qu’il y a de la faiblesse en vous» Sourate Al Anfal, verset 66.
« Il sait que vous ne saurez jamais passer toute la nuit en prière. Il a usé envers vous avec indulgence. Récitez donc ce qui [vous] est possible du coran. » Sourate L’enveloppé, verset 20.
« A côté de la difficulté, est, certes, une facilité ! A côté de la difficulté, est, certes, une facilité ! » Sourate L’ouverture, versets 5 et 6.
Je ne parlerais pas de la nécessité qui rend l’illicite dans certains cas licite, car elle ne concerne pas notre situation, mais elle nous éclaire sur le réalisme et l’indulgence qui animent l’esprit de la religion musulmane.
Les exemples que l’analyste nous livre sont importants mais mal compris et qui, en plus, sont hors contexte.
L’intransigeance des musulmans face au Négus concernait le dogme et la croyance et non pas les aspects de la vie courante. En matière du dogme, on ne négocie jamais, quelque soit l’état de force ou de faiblesse des musulmans.
Selon son raisonnement, si les musulmans étaient forts lors de l’émigration en Abyssinie, ils auraient alors l’autorisation d’être moins fermes sur leur dogme et faire des concessions sur le traitement que réserve le Coran à Jésus et à la Vierge Marie. Ils auraient alors accepté le dogme de la trinité, car ils sont forts et cela ne poserait aucun problème ; pure confusion !
C’est faux ! On est intransigeant en matière de dogme et de croyance mais en matière de relations et de gestion des affaires de la vie courante, la recherche de l’équilibre et la prise en considération de l’état de faiblesse de la communauté s’impose d'une part, par la compréhension des textes religieux, et d'autre part, par la logique des choses.
L’UOIF ne s’inscrit nullement dans ces approches, face à la réalité musulmane en France, elle ne part pas avec des a priori. Soucieuse de la fragilité de la communauté musulmane et de la surenchère que génère la vie politique, elle cherche à assurer à cette religion une place à l’instar des autres religions, à rassurer et à construire pour le long terme. Tel est notre 'ijtihad[1]'. Si nous avons vu juste, notre récompense sera auprès d’Allah, si nous nous trompons, nous ne nous sommes pas engagés dans une voie sans issue. De plus, notre intention reste toujours la même: servir notre communauté et notre nation.
[1] Ijtihad peut être défini comme étant un effort intellectuel, créatif, mais discipliné, en vue de tirer des lois de ces sources tout en tenant compte des variables imposées par les circonstances fluctuantes de la société. Définition tirée de l’Institut International de la Pensée Islamique.