Monde

De la Syrie à la Turquie - Immersion dans un camp de réfugiés

Rédigé par Nathalie Ritzmann | Mardi 17 Janvier 2017 à 12:15

La Turquie, en première ligne dans le conflit qui ravage la Syrie et l’Irak, accueille plus de 3 millions de réfugiés sur son sol, la plus importante population de réfugiés au monde. Ils sont seulement entre 250 000 et 300 000 à accepter de vivre dans des camps, au nombre de 26 établis dans une dizaine de villes à la frontière syrienne. Reportage au cœur d’un autre type de camp installé à 5 km du centre-ville d’Adana.



Adana, 26 décembre 2016. Après une première visite, fin mars 2015, au camp de réfugiés non-gouvernemental en compagnie de deux femmes chiropracteurs volontaires et d'un ami sensible aux problèmes des réfugiés, c'est seule, le sac à dos chargé de 580 cartes d'achat alimentaires BIM d'une valeur unitaire de 25 TL (6,75 €) acquises grâce à la générosité de nombreux amis et autres donateurs, qu'a eu lieu la seconde visite.


Ce camp, bien moins organisé et loti que dans des camps dits officiels, a vu arriver les premiers réfugiés il y a environ cinq ans au début du conflit syrien. Ils se sont installés de façon anarchique sur des terrains situés à proximité des demeures d’un secteur essentiellement habité par une population kurde. Aujourd'hui, environ 650 à 700 tentes abritent quelque 3 000 personnes dont approximativement 700 enfants et une centaine de bébés. S’ajoute dans ce même secteur près de 400 familles - composées en moyenne de huit à neuf personnes, soit une population d'environ 3 500 personnes - qui ont trouvé refuge dans des dépôts ou des immeubles abandonnés.

Pour la distribution des cartes, Cemo – ainsi que tout le monde le surnomme -, responsable du dépôt où sont stockées les aides destinés aux enfants en bas âge, a fait appel à Fatih, un Turc habitant au Texas de passage à Adana, sa ville d'origine. Il était accompagné de Haci, un Syrien d'une trentaine d'années originaire de Kobané, père de trois enfants et habitant en Turquie depuis trois ans. Epicier en Syrie, il exerce à présent son métier dans un magasin dont l’ouverture à quelques centaines de mètres du camp a été rendue possible grâce à la générosité de donateurs. Izzedin, un père de famille de 26 ans, aussi originaire de Kobané et installé en Turquie depuis trois ans après avoir vécu en Irak et au Liban, est aussi de la partie pour la distribution.

De gauche à droite İzzedin, Cemo, Fatih et Haci tout à droite.
Plusieurs milliers de réfugiés, la plupart syriens mais aussi quelques rares irakiens, vivent dans ce camp d’Adana dans des conditions plus que précaires, parfois depuis plusieurs années, dans des centaines de tentes réparties sur différents terrains privés inoccupés. De nombreux réfugiés rencontrés en 2015 sont partis vers d'autres villes de Turquie, à l’image de Şemsettin et les siens, qui habitent à présent du côté d'Erzin près d'Osmaniye, à environ 90 km d'Adana.

Cinq familles parmi les plus chanceuses, dont celle d'une petite fille sourde-muette au sourire inoubliable, ont pu aller vivre au Canada où leurs conditions de vie et de prise en charge sont sans doute bien meilleures. Entre temps, de nouveaux arrivants, notamment venus d'Alep, ont investi les lieux. Comme tous les matins durant les jours de travail, des hommes se retrouvent aux abords de la mosquée en quête d'un emploi à la journée contre quelques sous qui seront les bienvenus.

Pantalons retroussés, circuler entre les tentes n'est guère aisé, la boue étant omniprésente en raison de la pluviosité importante des jours précédents. Beaucoup de gamins, voire d'adultes, sont pieds nus sur la terre détrempée. Trois garçonnets jouent même cul nu alors que nous sommes chaudement vêtus... une véritable misère.

Un homme, grand et mince, père de 13 enfants, nous explique ses difficultés avec l'administration pour faire valoir ses droits, tout comme, plus loin, une femme et ses enfants dont le mari et père est parti, emportant avec lui passeports et documents officiels prouvant leur nationalité syrienne.

Une autre personne nous montre un dépliant de l'Unicef sur lequel un simple post-it manuscrit prouve que lui et sa famille ont droit à de l'aide. D'autres, instinctivement, présentent leurs cartes d'« invités » en Turquie, pensant qu'elles sont indispensables pour recevoir une ou deux cartes BIM selon la composition de la maisonnée.

L'intérieur des tentes se ressemble partout ; autour du poêle, quelques matelas et une rallonge électrique avec quelques prises, les seuls signes de modernité. Les réfugiés se chauffent difficilement au bois ou au charbon dans des tentes mal isolées. Les nuits peuvent être très fraîches dans la région, à peine quelques degrés au-dessus de 0 ; l'air est surtout très humide et la région très pluvieuse par moments. Le pire est assurément la pluie, les terrains étant alors détrempés et boueux, voire par endroits sérieusement inondés.

Parfois, une chaise en plastique défoncée ou un canapé de récupération trône à l'extérieur de la demeure. Une adolescente souriante, sort d'une tente, pieds nus, tend son moignon de main tordu et essaie tant bien que mal de tenir la carte BIM donnée. Plusieurs enfants, ainsi que des personnes d'âge mur, souffrent de handicaps plus ou moins importants et passent leur journée à l'abri des tentes. Des femmes, leur progéniture arrimée sur le dos, se jettent littéralement sur les dernières cartes restant à distribuer, prêtes à se battre si nécessaire.

Sandalettes ou chaussures crottées sont posées devant les habitations.

Le linge est lavé dans des bassines, puis rincé tant bien que mal avant d'être accroché aux clôtures lorsqu'il y en a, ou sur des fils tendus à proximité.

En bordure d'une des routes principales, une tente abrite un vendeur de tomates, pommes de terre et quelques autres légumes. Dans une boîte en polystyrène, des oignons ont été plantés, jardin de fortune. A côté, casseroles et autres ustensiles de cuisine font partie du décor.

Malgré ces conditions de vie qu'on ne souhaite à personne, de nombreuses et beaux visages, surtout d'enfants, gardent le sourire et les yeux pétillent toujours de malice.

Certains adultes aussi semblent ne pas avoir perdu espoir, comme ce jeune et beau couple qui a souhaité être pris en photo, uni pour le meilleur et pour le pire. D'autres regards sont plus marqués, chacun vivant cette situation différemment.

Des gamins habitant le quartier, emmitouflés dans leur anorak et leur manteau bien chauds, reviennent gaiement de l'école et passent à côté de tentes avant de regagner leurs maisons. Sont-ils conscients de la misère qu'ils côtoient tous les jours ? Et qu’en pensent-ils ? Des questions qui sont sans réponse. Le sac à dos s'est allégé ; le cœur, quant à lui, est aussi gros et lourd que les chaussures et la boue collée aux semelles tel un emplâtre pour les enfants du camp qui ne sont que peu scolarisés visiblement.


Une demi-heure après la fin de la distribution, la pluie s'est mise à tomber de façon drue et discontinue durant 24h, transformant une nouvelle fois une bonne partie du camp en une mare de désespoir couleur gadoue. Les conditions météorologiques influent de manière indéniable sur la vie quotidienne et l'état de santé de ces hommes, femmes et enfants.

Quel est leur avenir ? Cette question nous est revenue à maintes reprises à l'esprit dans les heures et jours qui ont suivi et encore aujourd'hui.

De nombreux réfugiés parmi les Syriens semblent néanmoins prêts à retourner dans leur pays dès lors que la situation se stabilise ; ils continuent de vivre à Adana ou dans d'autres villes de Turquie, souvent assez proches de la frontière, en attendant des jours meilleurs.