où l’on vit comme des rats
et où les rats vivent mieux que nous.”[1]
Le soleil, la plage, les vacances, voilà ce qu’évoque Montpellier pour la plupart des français. Depuis plus de vingt ans, la capitale de l'Hérault est l’une des villes les plus dynamiques de France : croissance rapide de la population ; université prestigieuse réputée notamment pour son enseignement de la médecine; une vie culturelle et sportive développée ; jusqu’à son tramway récemment inauguré. Bref, la ville n’a rien à voir avec une « sinistre cité dortoir » de banlieue parisienne ni avec une zone industrielle désaffectée du Nord.
Pourtant, derrière ce paysage bucolique digne d’un dépliant de l'office du tourisme local, Montpellier abrite des quartiers ghettos qui vivent dans l’ombre de la cité ensoleillée. Pour ces quartiers, il n’est question ni de « dynamisme » économique, ni de politique culturelle « courageuse » encore moins d’université « prestigieuse » mais seulement de chômage, de discrimination, de racisme, de ségrégation et de logements insalubres. Depuis plus d’un an, le Petit Bard est devenu le symbole de ces quartiers où l’on relègue les exclus du dynamisme montpelliérain.
La plus grande copropriété de France qu’est le Petit Bard a été construite alors que le colonialisme français cédait en Algérie sous les coups de la résistance algérienne. Après cent trente deux ans de colonisation et d’humiliation, les Algériens espéraient enfin accéder à la dignité. Mais la France n’avait pas envoyé que sa « glorieuse » armée en Algérie. Elle y avait implanté une importante population de colons qui ne pouvaient se résoudre à vivre dans une Algérie où l’Etat français ne pourrait plus préserver leur domination. Durant l’été 1962, l’Etat français dû prévoir le rapatriement et le relogement d’un million d’Européens et de Juifs qui fuyaient l’Algérie libérée.
C’est dans ce contexte de crise du logement provoqué par l’arrivée des rapatriés d’Algérie, que le Petit Bard fut construit dans l’urgence. La résidence du Petit Bard devait offrir 860 logements aux nouveaux venus. Comme nombres d’immeubles bâtis à cette période, la résidence fut construite rapidement et avec des matériaux moins coûteux. Cela était nécessaire face au million de rapatriés qui débarquaient. Mais ce type de construction devait se révéler plus problématique dans la vie future.
Au fil des années, la population de la résidence devait évoluer aussi rapidement que le bâtie se dégradait. Dès les années soixante-dix, les premiers habitants du quartier commencèrent à quitter les lieux. Certains vendaient leurs appartements pour acheter un pavillon dans la ville ou dans ses alentours. D’autres louaient le bien qu’ils avaient alors acquis. Les familles de rapatriés étaient peu à peu remplacées par des familles de travailleurs immigrés, souvent originaires du Maroc, qui travaillaient principalement comme ouvriers agricoles.
Les années quatre-vingts voient l’accélération d’implantation des familles issues de l’immigration dans le quartier qui, du fait de la crise du logement, devient un des rares quartiers de la ville où elles trouvent encore des habitations à des loyers « abordables ». Ainsi la résidence du Petit Bard se transforma petit à petit en destination privilégiée des familles immigrées les plus modestes. Les années quatre-vingt-dix voient la poursuite de l’implantation de familles maghrébines commencée dans les années soixante-dix. Le quartier est alors peuplé d’une majorité de familles marocaines auxquelles s’ajoutent quelques familles gitanes qui, contrairement à une actualité plutôt dramatique, vivent en toute fraternité dans les mêmes logements insalubres.
Avec les années, la résidence construite pour les rapatriés s’est transformée en ghetto pour immigrés maghrébins. Le quartier est touché de plein fouet par la crise économique. Le chômage y est six fois supérieur à la moyenne nationale. Ceux qui travaillent sont, dans leur majorité, ouvriers agricoles ou du bâtiment et quelques uns sont de petits commerçants.
Dans le même temps les travaux d’entretien, de rénovation et de nettoyage ne sont plus effectués. La gestion de la copropriété est confiée à l’agence BLV Immobilier qui augmenta les provisions de charges de façon exorbitante sans pour autant effectuer les travaux nécessaires. Dès lors, le quartier se dégrade rapidement et son image devient de plus en plus négative à Montpellier entraînant une baisse du prix des appartements et renforçant la ghettoïsation du Petit Bard.
A partir de 1998 plusieurs syndics se succèdent pour gérer la copropriété mais leurs gestions sont plus désastreuses les unes que les autres. Ils demandent des prix exorbitants pour des conditions d’habitation qui ne cessent de se délabrer. A la fin de l’année 2001, le syndic alors en charge de la résidence, est en faillite. Il aurait un déficit de plus de 3 millions d’euros. Dès lors, une centaine d’habitants portent plainte pour détournement de charge par les divers syndics qui se sont succédés entre 1998 et 2001.
Quatre ans plus tard, la procédure qui ne cesse de se prolonger, n’a, à ce jour, toujours pas abouti. Les responsables des différents syndics ont eu largement le temps d’organiser leur insolvabilité. Pourtant les sommes d’argent détournées, sur le dos d’une population déjà précarisée, sont plus que conséquentes puisque l’on parle de plus de 50 millions de francs.
Le peu d’empressement que montre la Justice à traiter ce dossier est-il innocent ?
Comment se fait-il que la mairie qui, via l’ACM [2], avait élu les différents syndics aujourd’hui inculpés, et avait un droit de regard sur leur gestion, n’a rien vu et rien fait pendant de si longues années ? La mairie avait-elle un intérêt dans le détournement ? Cet argent aurait-il servi, par exemple, à financer des campagnes électorales ? Ces questions s’imposent car le principal créancier est VIVENDI (Dalkia, Général des Eaux). Or durant des années, cette société a financé les différents partis politiques de façon illégale. Ces interrogations sont confortées par un rapport de la cour des comptes particulièrement accablant pour les gestionnaires du Petit Bard.
Les habitants du Petit Bard se posent toutes ces questions. Et, face à l’inaction de la justice, leur sentiment d’incompréhension est total. En novembre dernier, Abdenour Tataï, le porte-parole de l’association « Justice pour le Petit Bard », à la sortie d’une rencontre avec le procureur adjoint, déclarait à la presse : “Historiquement, ce quartier est pillé depuis des années. On veut savoir où sont passées les charges. Il n’y a jamais eu de mises en examen dans ce dossier. Aujourd’hui, on veut faire le point. Un jeune qui vole une mobylette le samedi, il est jugé en comparution immédiate le lundi et le mardi il file à Villeneuve en prison. Là, il y a des types qui se sont gavés pendant des années sur le dos des pauvres gens qui ont payé leurs charges et la justice n’a encore condamné personne. Ces malversations ont entraîné la mort de la cité car les travaux n’ont jamais été faits.”
Fin 2001, au moment où le dernier syndic faisait faillite, le Tribunal de Grande Instance de Montpellier nommait le cabinet Carlier & Raymond Administrateur Judiciaire de la copropriété. Ce cabinet avait pour mission de combler le déficit accumulé par les différents syndics qui se sont succédés. En l’absence de « responsable », il entreprit de faire payer l’argent détourné par les syndics aux habitants du Petit Bard. Le cabinet Carlier & Raymond procéda méthodiquement. Dans un premier temps, il d’augmenta les charges qui sont deux fois plus élevées que dans les autres quartiers de Montpellier, allant jusqu'à 150 € par mois pour un appartement de type F4. Dans un second temps, il lança des appels de fonds trimestriels allant de 1500 à 3000 € par habitant.
C’était donc aux habitants du Petit Bard de rembourser les dettes de la copropriété, creusées par les différents syndics. Les habitants devaient donc payer plusieurs fois la même facture sans jamais obtenir une amélioration de leurs conditions d’existence. En effet, ils avaient payé une première fois, des syndics pratiquant des prix exorbitants mais qui utilisaient les sommes perçues à d’autre fin qu'à l’entretien de la résidence. Ils devaient payer une seconde fois en remboursant les déficits qui furent creusés par les syndics. La troisième facture, les habitants du Petit Bard la payent toujours en demeurant dans des logements insalubres. Car, en ce qui concerne l’entretien du quartier dans lequel aucun travaux n’avaient été effectués depuis dix, pas plus le cabinet Carlier & Raymond que les pouvoirs publics ne décidèrent de bouger le petit doigt.
Pourtant la situation sociale du quartier est aujourd’hui catastrophique. Il compte 6 000 habitants pour 860 logements. De fait, les appartements sont souvent trop étroits pour les familles. Certaines logent à 8 dans 60 m². Au dernier recensement, on a compté 132 enfants et une vingtaine d’adultes dans une cage d’escaliers de 12 appartements.
En juin 2004, Saïd Ouhaddou, un locataire du quartier disait qu’ici « tout part en ruine, personnes ne se soucie de nous. » A la même période, une femme témoignait : « Je paye 700 € par mois et je n’ai même pas d’eau chaude. L’électricité ne fonctionne pas, il faut tout refaire dans ce quartier. » En avril dernier Khalid, un jeune garçon de 10 ans, évoquait son quartier en ces termes : “Ma maison est pleine de cafards. Y a des rats qui traînent partout dans les rues”. Mokhtar un père de famille disait ne plus pouvoir “vivre dans une poubelle”. Mais ceux-là habitent un appartement, car certains habitants du quartier, une famille entière, vivaient dans un dénuement extrême. Fin février, une femme vivait avec ses quatre enfants, donc trois de moins de douze ans, et son compagnon dans une cave de 5 mètres sur trois, sans fenêtre depuis 4 mois.
Les habitants du Petit Bard, loin de se laisser écraser par la misère et le déni de justice, ont relevé la tête. Ils se sont organisés pour faire valoir leurs droits à un logement décent et à une vie digne. Depuis un an, le quartier connaît une véritable mobilisation pour résister aux pressions politiques et financières qui pèsent sur ceux qui y vivent. Le Petit Bard résiste!
[1] Déclaration d’un habitant du quartier rapporté par Hérault Actualité, 20 juin 2004
[2] Office HLM de la ville de Montpellier