Points de vue

Débats autour du voile : « Je vis cela comme un harcèlement permanent »

Rédigé par Leyla Dima | Mardi 22 Octobre 2019 à 11:35



Débats autour du voile : « Je vis cela comme un harcèlement permanent »
Maman de deux adorables enfants, je réponds volontiers présent quand cela m'est possible aux sollicitations des enseignants lorsqu'ils ont besoin de parents pour encadrer une activité. Je m'y rends avec appréhension, souvent, avant de me rendre compte de l'énorme fossé qui sépare la réalité de tout ce que je peux lire et entendre dans l'espace médiatique. Inutile de vous décrire la joie qui se dessine sur le visage de mes enfants, heureux de m'avoir à leur côté ! Et celle de leurs petits camarades, contents d'être entourés, qui ne voient pas une « maman voilée » mais une maman comme une autre dont ils sont sensibles au sourire, prêts à partager leur bonne humeur et leurs petites blagues rigolotes.

Souvent seule à porter un foulard, jamais je n'ai rencontré d'hostilité de la part des autres parents, bien au contraire, ni de la part de la direction ni des enseignants, ravis que je sois de la partie.

Est-ce si difficile de laisser les femmes libres de leurs corps ?

Ces polémiques récurrentes autour du foulard m'affectent au plus haut point. Je n'écoute, par ailleurs, plus les informations en présence de mes enfants. « Une semaine sur les chaînes d'infos : 85 débats sur le voile, 286 invitations et 0 femme voilée », titrait récemment Checknews. Je vis cela comme un harcèlement permanent.

Me croyez-vous si je vous dis qu'il m'arrive parfois de questionner mon foulard ? Le porterais-je toujours par conviction, ou par entêtement de ne pas vouloir me soumettre à des injonctions humiliantes ? Et si on pouvait enfin concevoir que porter un foulard revêt diverses raisons, propres à chacune ? Pour certaines, par exemple, il s'agit d'un attachement culturel ; pour d'autres, d'une dimension résolument féministe, et donc anti-soumission vis-à-vis de quelqu' homme que ce soit. Est-ce si difficile de laisser les femmes libres de leurs corps ?

Ces turbulences autour du foulard prennent tellement d'énergie à celles qui, comme moi, le portent qu'elles peinent à avancer dans les revendications féministes dans leur communauté de foi. Car oui, loin du cliché véhiculé de la femme musulmane soumise à la domination masculine, on rencontre, comme partout ailleurs, des problèmes liés au genre, du manque de représentativité dans les mosquées et institutions musulmanes aux interprétations erronées de certains textes religieux. Ceci est notre affaire.

Attelons-nous à d’autres préoccupations, plus urgentes

L'urgence nationale, c'est notamment de prendre à bras le corps le problème des féminicides. 122 féminicides recensés à l'heure où j'écris ces lignes, et l'année n'est pas écoulée. Cause nationale du quinquennat. Ce sont elles, ces victimes de violence patriarcale qui appellent à l'aide, attendent des actions fortes de l'Etat, comptent sur un sursaut citoyen. Oserons-nous comparer l'occurence des sujets « islam » et « féminicides » dans les médias et déclarations politiques ?

À la violence des mots, à l'acharnement qu'ils subissent, les Français de confession musulmane, stupéfaits, se distinguent, gardent et garderont toujours leur calme. Sauf que, les pathologies psychiatriques n'ayant pas de frontières, il est fort à craindre qu'à force d'exciter les chiffons rouges, politiciens et médias se rendent coupables d'actes aux conséquences désastreuses, qu'ils soient commis par des personnes se revendiquant musulmanes ou d'extrême droite. Halte aux pompiers pyromanes ! Souvenons des pages sombres de notre Histoire, finalement pas si lointaines.

Les premiers temps de l'ère Macron ont été plutôt calmes pour les minorités, qui avaient enfin pu se reconnaître dans une nation unifiée par des questionnements communs légitimes, jusqu'à ce que certains membres de son gouvernement aient décidé de céder au populisme chéri de l'extrême droite, alimentés par certains médias aux ambitions peu honorables. Pour ne prendre que cet exemple, le faux problème des mamans accompagnatrices scolaires a ainsi balayé à une vitesse surprenante la détresse du corps enseignant qui commençait à peine à se faire entendre.

Pire, le suicide tragique et révélateur, le sacrifice ultime de leur défunte collègue Christine Renon est passé aux oubliettes. « Les démagogues font d'autant mieux leurs affaires qu'ils ont jeté leur pays dans la discorde », disait déjà Esope de son temps. Beaucoup de voix sages parmi les journalistes, intellectuels, artistes ou politiques se lèvent pour crier haro sur cette diversion malsaine. Continuez, continuons ! Crions plus fort !

Que le président ait la force d'ériger la France au rang des pays visionnaires

Que le président se souvienne de sa promesse de dépassionner le débat sur l'islam. « Dans notre pays, chacun est libre de croire ou ne pas croire. Chacun est libre ou non de pratiquer une religion, avec le niveau d’intensité qu’il désire en son for intérieur. La laïcité est une liberté avant d’être une interdiction. Elle est faite pour permettre à chacun de s’intégrer dans la vie commune, et non pour mener une bataille contre telle ou telle religion en particulier encore moins pour exclure et montrer du doigt », avait-il écrit dans son livre Révolution, en 2016. Qu'il s'en souvienne.

Que le président ait le courage de poursuivre le débat avec les citoyens sur les problématiques qui nous concernent tous, réellement : le chômage, les retraites, les salaires (des profs, par exemple !), le climat, les féminicides, la fraude fiscale, l'égalité hommes-femmes (bah oui, c'est moi qui le dit!).

Que le président, à qui j'ai donné ma voix pour redresser notre pays, ait le courage d'affronter les réalités quotidiennes des Françaises et Français. Que le président ait la force d'ériger la France au rang des pays modernes, visionnaires, conscients que le monde est en marche perpétuelle.

Que le président ait à cœur de rassurer les Français soucieux de préserver leur identité, qu'il leur rappelle que les Lumières l'ont été grâce à un esprit d'ouverture et d'acceptation de l'altérité. Qu'il rappelle à qui veut bien entendre que ni Fatima ni Valérie, ni Ahmed ni Éric n'ont choisi de naître sur le sol français ; que la qualité d'un bon citoyen se mesure à l'aune de son éthique, de son attachement aux valeurs universelles, de sa volonté de faire grandir son pays.

Que l'on retrouve enfin la curiosité d'un Voltaire, la finesse d'un Molière, la sensibilité d'un Flaubert, les rêveries d'un Baudelaire, la créativité d'un Apollinaire, l'indignation d'un Zola, la pédagogie d'un Sartre. Ils existent encore aujourd'hui, ils se sont enrichis d'expériences nouvelles, mais il nous faut savoir les entendre. Éteindre le buzz. Cesser de s'illusionner, de se faire peur. S'ouvrir, dialoguer, s'enrichir. Et avancer.

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Leyla Dima est citoyenne, enseignante et mère.

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