Spécialiste de saint Augustin et de l’histoire du christianisme antique, A. Mandouze s’était engagé très tôt dans la résistance face au nazisme et avait pris une part active dans la fondation des journaux clandestins Témoignage chrétien et Libération, dont il sera rédacteur en chef. En 1946, il quitte la France métropolitaine pour séjourner en Algérie, où il découvre le traitement inhumain appliqué aux populations dites « indigènes ».
Professeur à l’Université d’Alger, il fonde la revue Consciences maghrébines en 1954, participe au Manifeste des 121 (« Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie »), s’engage aux côtés du mouvement de libération nationale et, comme son ami Henri Alleg (directeur du quotidien Alger Républicain), est l’une des rares personnalités à dénoncer la torture pratiquée avec l’assentiment des autorités françaises : « Moi qui avais toujours été très proche des communistes depuis la Résistance, depuis l’aventure de Témoignage chrétien, j’avais été peiné que les parlementaires communistes aient voté les pouvoirs spéciaux. Je sais qu’aujourd’hui le fait est regretté, mais c’est ainsi. Pour un homme comme moi, engagé pour l’Algérie, chrétien de gauche ayant travaillé avec les communistes, et qui avait été d’Alger républicain, il est bien certain que La Question (ouvrage dénonçant la torture en Algérie) m’a fait pousser un " ouf ! ". Cela peut paraître dur de dire les choses de cette façon, mais c’est ainsi que je les ai vécues. Henri Alleg a montré qu’il y avait des hommes de gauche au combat et qu’il y en avait particulièrement un - lui - qui avait témoigné et souffert pour cela. La Question reste donc, pour moi, un très beau livre, et un livre extrêmement important » (1).
Partisan du dialogue et adversaire résolu du système colonial, l’ancien résistant au nazisme connaîtra la prison en 1956 et devra subir plusieurs tentatives d’intimidation et d’assassinat de la part de l’organisation terroriste d’extrême droite, l’OAS, que certains hommes politiques français tentent pourtant aujourd’hui de réhabiliter (entre autres Georges Frêche dirigeant du Parti socialiste ou Daniel Simonpiéri maire de Marignane proche de l’UMP). Comme le rappelle, le Président algérien Abdelaziz Bouteflika dans une lettre adressée à sa veuve Jeannette, André Mandouze « fut et restera dans nos mémoires un compagnon de lutte et un grand ami du peuple algérien en même temps qu’un fils valeureux de la nation française et un ardent patriote »(2).
Profondément croyant, « homme lié à Dieu » (3), il jouera un rôle fondamental dans le dialogue islamo-chrétien, non pas tant dans la production théorique que par une pratique intense et réaliste du rapprochement entre les femmes et les hommes des deux religions.
Jusqu’aux derniers jours de sa vie, André Mandouze, fidèle à ses engagements humanistes et chrétiens, dénoncera les survivances de l’idéologie coloniale et ses effets bien réels sur la société française actuelle. A ce titre, il s’est opposé avec virulence à la loi révisionniste du 23 février 2005, tentant de réhabiliter la colonisation française en Afrique du Nord : « Cet article de loi, déclarait-il, est scandaleux. Il apporte la preuve que le colonialisme est encore bien vivant dans l’esprit d’un certain nombre de gens qui regrettent que ce soit fini. Cette façon de dire « ce n’était pas si mal, ce que nous avons fait » est inadmissible. Alors que nous sommes précisément à un moment où il faut, non pas faire oublier les horreurs de la colonisation, mais réparer, il est légitime que cette loi ait soulevé l’indignation de ceux qui furent les colonisés, et celle de ceux d’entre nous, qui ont lutté pour mettre fin à l’exploitation d’autrui. La France, avec la colonisation, a tourné le dos aux principes de liberté, d’égalité et de fraternité dont elle se réclame. Nous n’avons pas défendu et fait progresser ces principes du temps où l’on disait « l’Algérie c’est la France ». Aujourd’hui, je ne vois qu’une solution : l’abrogation totale et sans délai de cet article de loi sur le « rôle positif » de la présence française en Afrique du Nord. Il faut parvenir à un accord de fond pour soigner définitivement les blessures du colonialisme et que naisse entre la France et l’Algérie une véritable amitié. L’Europe, sans l’Afrique et l’Algérie, ce n’est pas l’Europe. Inversement, l’Algérie et le Maghreb, en rapport avec l’Europe, c’est la possibilité de contrer cette Amérique qui se conduit lamentablement en Irak et ailleurs. Voilà les vrais enjeux »(4).
Plus encore, A. Mandouze, à la conscience démocratique « en éveil permanent », nous prévenait des dangers d’exploitation démagogique de l’Histoire et de la mémoire, à laquelle se livrent aujourd’hui un certain nombre de professionnels de la politique et notamment le premier d’entre eux, Nicolas Sarkozy : « Je suis très heureux de la réaction des Antillais qui ont contraint Monsieur Sarkozy à annuler son voyage. Je me félicite de cette victoire de mon vieux camarade et ami, le grand poète Aimé Césaire. Il a eu raison. Ce ministre, qui confond le regard lucide sur le passé colonial avec de l’autoflagellation, ferait mieux de se taire. Comment peut-on accepter qu’un homme soit à la fois ministre de l’Intérieur et patron du parti au pouvoir ? Je considère que ce monsieur est une catastrophe pour la France. C’est un personnage dangereux, un fasciste. Par conséquent, j’espère le voir disparaître de la scène politique le plus tôt possible »(5).
En tout cas, une chose est sûre : l’humanisme sans complaisance d’André Mandouze restera pour nous tous une leçon de vie et ne disparaîtra jamais.
Professeur à l’Université d’Alger, il fonde la revue Consciences maghrébines en 1954, participe au Manifeste des 121 (« Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie »), s’engage aux côtés du mouvement de libération nationale et, comme son ami Henri Alleg (directeur du quotidien Alger Républicain), est l’une des rares personnalités à dénoncer la torture pratiquée avec l’assentiment des autorités françaises : « Moi qui avais toujours été très proche des communistes depuis la Résistance, depuis l’aventure de Témoignage chrétien, j’avais été peiné que les parlementaires communistes aient voté les pouvoirs spéciaux. Je sais qu’aujourd’hui le fait est regretté, mais c’est ainsi. Pour un homme comme moi, engagé pour l’Algérie, chrétien de gauche ayant travaillé avec les communistes, et qui avait été d’Alger républicain, il est bien certain que La Question (ouvrage dénonçant la torture en Algérie) m’a fait pousser un " ouf ! ". Cela peut paraître dur de dire les choses de cette façon, mais c’est ainsi que je les ai vécues. Henri Alleg a montré qu’il y avait des hommes de gauche au combat et qu’il y en avait particulièrement un - lui - qui avait témoigné et souffert pour cela. La Question reste donc, pour moi, un très beau livre, et un livre extrêmement important » (1).
Partisan du dialogue et adversaire résolu du système colonial, l’ancien résistant au nazisme connaîtra la prison en 1956 et devra subir plusieurs tentatives d’intimidation et d’assassinat de la part de l’organisation terroriste d’extrême droite, l’OAS, que certains hommes politiques français tentent pourtant aujourd’hui de réhabiliter (entre autres Georges Frêche dirigeant du Parti socialiste ou Daniel Simonpiéri maire de Marignane proche de l’UMP). Comme le rappelle, le Président algérien Abdelaziz Bouteflika dans une lettre adressée à sa veuve Jeannette, André Mandouze « fut et restera dans nos mémoires un compagnon de lutte et un grand ami du peuple algérien en même temps qu’un fils valeureux de la nation française et un ardent patriote »(2).
Profondément croyant, « homme lié à Dieu » (3), il jouera un rôle fondamental dans le dialogue islamo-chrétien, non pas tant dans la production théorique que par une pratique intense et réaliste du rapprochement entre les femmes et les hommes des deux religions.
Jusqu’aux derniers jours de sa vie, André Mandouze, fidèle à ses engagements humanistes et chrétiens, dénoncera les survivances de l’idéologie coloniale et ses effets bien réels sur la société française actuelle. A ce titre, il s’est opposé avec virulence à la loi révisionniste du 23 février 2005, tentant de réhabiliter la colonisation française en Afrique du Nord : « Cet article de loi, déclarait-il, est scandaleux. Il apporte la preuve que le colonialisme est encore bien vivant dans l’esprit d’un certain nombre de gens qui regrettent que ce soit fini. Cette façon de dire « ce n’était pas si mal, ce que nous avons fait » est inadmissible. Alors que nous sommes précisément à un moment où il faut, non pas faire oublier les horreurs de la colonisation, mais réparer, il est légitime que cette loi ait soulevé l’indignation de ceux qui furent les colonisés, et celle de ceux d’entre nous, qui ont lutté pour mettre fin à l’exploitation d’autrui. La France, avec la colonisation, a tourné le dos aux principes de liberté, d’égalité et de fraternité dont elle se réclame. Nous n’avons pas défendu et fait progresser ces principes du temps où l’on disait « l’Algérie c’est la France ». Aujourd’hui, je ne vois qu’une solution : l’abrogation totale et sans délai de cet article de loi sur le « rôle positif » de la présence française en Afrique du Nord. Il faut parvenir à un accord de fond pour soigner définitivement les blessures du colonialisme et que naisse entre la France et l’Algérie une véritable amitié. L’Europe, sans l’Afrique et l’Algérie, ce n’est pas l’Europe. Inversement, l’Algérie et le Maghreb, en rapport avec l’Europe, c’est la possibilité de contrer cette Amérique qui se conduit lamentablement en Irak et ailleurs. Voilà les vrais enjeux »(4).
Plus encore, A. Mandouze, à la conscience démocratique « en éveil permanent », nous prévenait des dangers d’exploitation démagogique de l’Histoire et de la mémoire, à laquelle se livrent aujourd’hui un certain nombre de professionnels de la politique et notamment le premier d’entre eux, Nicolas Sarkozy : « Je suis très heureux de la réaction des Antillais qui ont contraint Monsieur Sarkozy à annuler son voyage. Je me félicite de cette victoire de mon vieux camarade et ami, le grand poète Aimé Césaire. Il a eu raison. Ce ministre, qui confond le regard lucide sur le passé colonial avec de l’autoflagellation, ferait mieux de se taire. Comment peut-on accepter qu’un homme soit à la fois ministre de l’Intérieur et patron du parti au pouvoir ? Je considère que ce monsieur est une catastrophe pour la France. C’est un personnage dangereux, un fasciste. Par conséquent, j’espère le voir disparaître de la scène politique le plus tôt possible »(5).
En tout cas, une chose est sûre : l’humanisme sans complaisance d’André Mandouze restera pour nous tous une leçon de vie et ne disparaîtra jamais.
André MANDOUZE, Mémoires d'outre-siècle, tome 1 : D'une résistance à l'autre, éditions Viviane Hamy, 1998.
(1) Entretien avec André Mandouze, « Le choc de la Question », L’Humanité du 9 novembre 2001.
(2) Cité par El Moujahid du mercredi 7 juin 2006.
(3) A. Bouteflika, El Moujahid du mercredi 7 juin 2006.
(4) André Mandouze, entretien avec Rosa Moussaoui, L’Humanité du 10 décembre 2005.
(5) André Mandouze, entretien avec Rosa Moussaoui, L’Humanité du 10 décembre 2005.
(2) Cité par El Moujahid du mercredi 7 juin 2006.
(3) A. Bouteflika, El Moujahid du mercredi 7 juin 2006.
(4) André Mandouze, entretien avec Rosa Moussaoui, L’Humanité du 10 décembre 2005.
(5) André Mandouze, entretien avec Rosa Moussaoui, L’Humanité du 10 décembre 2005.