Le débat politique en France est régulièrement marqué par des déclarations fracassantes de responsables politiques appelant à « sortir » de telle ou telle convention internationale. Bien que ces déclarations, qui concernent principalement l’extrême droite de l’échiquier politique (1), ne figurent pas toutes dans les programmes officiels des candidats, elles demeurent inscrites dans la mise en œuvre de bien des mesures avancées.
Ainsi, Éric Zemmour, s’il ne voit plus dans la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) — « l’origine du mal » (2), compte « retirer la signature de la France au Pacte de Marrakech de l’ONU », « supprimer le droit au regroupement familial », « exiger que les demandes d’asile soient déposées en-dehors du territoire national » ou encore « interdire définitivement la régularisation de tout étranger entré illégalement sur le territoire français » — mesures, parmi d’autres, qui entrent en conflit avec de nombreuses conventions internationales, dont les plus clairement visées sont la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH). Il défend même « une remise en question de la supériorité des traités et normes internationales sur le droit national, hiérarchie qui nous asservit et nous empêche d’agir notamment en matière migratoire », ce qui réclamerait de réformer notre Constitution.
Quant à Marine Le Pen, si elle a récemment édulcoré ses propos (3), elle défend des mesures similaires en matière de regroupement familial, d’asile, de régularisation et d’expulsion des délinquants étrangers.
Ainsi, Éric Zemmour, s’il ne voit plus dans la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) — « l’origine du mal » (2), compte « retirer la signature de la France au Pacte de Marrakech de l’ONU », « supprimer le droit au regroupement familial », « exiger que les demandes d’asile soient déposées en-dehors du territoire national » ou encore « interdire définitivement la régularisation de tout étranger entré illégalement sur le territoire français » — mesures, parmi d’autres, qui entrent en conflit avec de nombreuses conventions internationales, dont les plus clairement visées sont la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH). Il défend même « une remise en question de la supériorité des traités et normes internationales sur le droit national, hiérarchie qui nous asservit et nous empêche d’agir notamment en matière migratoire », ce qui réclamerait de réformer notre Constitution.
Quant à Marine Le Pen, si elle a récemment édulcoré ses propos (3), elle défend des mesures similaires en matière de regroupement familial, d’asile, de régularisation et d’expulsion des délinquants étrangers.
Des discours qui relèvent bien plus d’une logique de sécession
Est-il envisageable que la France sorte de ces conventions ? Apporter une réponse juridique à cette question suppose de se référer aux textes eux-mêmes, qui prévoient parfois une telle possibilité et ses modalités. (4) En l’occurrence, la Convention de Genève (article 44) comme la CEDH (article 58) prévoient explicitement qu’un État signataire puisse les dénoncer sur simple notification. Ces dispositions peuvent étonner, tant la raison d’être de ces textes, qui visent à assurer l’effectivité des droits de l’Homme, semble peu compatible avec un désengagement des États. Pour autant, elles reflètent la nature du droit international, fondé sur une logique contractuelle : ces textes n’obligent un État que dans la mesure où (et aussi longtemps que) il a souverainement consenti à se lier.
Il faut distinguer cette dénonciation (consistant à se délier unilatéralement d’un engagement préalable) de la renégociation partielle d’une convention au motif, par exemple, qu’elle serait devenue inadaptée à des circonstances nouvelles. (5) Une telle démarche reposerait sur la coopération et, si elle peut avoir pour objectif inavoué de détricoter les acquis d’un texte, elle n’en reste pas moins formellement conforme à la logique du droit international. En l’occurrence, ce que défendent Éric Zemmour ou Marine le Pen relève bien plus d’une logique de sécession, de repli sur le seul cadre national, dans un discours à usage strictement interne.
Juridiquement, il est relativement aisé de prévoir les conséquences d’un tel projet, puisque la dénonciation est prévue par les textes. Il en va autrement, en revanche, de ses implications symboliques et politiques. Où une telle démarche trouverait-elle donc sa légitimité ? Deux sources de remise en cause des textes visés s’alimentent réciproquement : la volonté de rompre avec le « gouvernement des juges » (situation où le pouvoir judiciaire se substituerait au peuple souverain), et la défense de la souveraineté ou de l’identité françaises.
Il faut distinguer cette dénonciation (consistant à se délier unilatéralement d’un engagement préalable) de la renégociation partielle d’une convention au motif, par exemple, qu’elle serait devenue inadaptée à des circonstances nouvelles. (5) Une telle démarche reposerait sur la coopération et, si elle peut avoir pour objectif inavoué de détricoter les acquis d’un texte, elle n’en reste pas moins formellement conforme à la logique du droit international. En l’occurrence, ce que défendent Éric Zemmour ou Marine le Pen relève bien plus d’une logique de sécession, de repli sur le seul cadre national, dans un discours à usage strictement interne.
Juridiquement, il est relativement aisé de prévoir les conséquences d’un tel projet, puisque la dénonciation est prévue par les textes. Il en va autrement, en revanche, de ses implications symboliques et politiques. Où une telle démarche trouverait-elle donc sa légitimité ? Deux sources de remise en cause des textes visés s’alimentent réciproquement : la volonté de rompre avec le « gouvernement des juges » (situation où le pouvoir judiciaire se substituerait au peuple souverain), et la défense de la souveraineté ou de l’identité françaises.
Une souveraineté qui nie un pan de l’histoire et de l’identité française
Ainsi, Éric Zemmour voit-il dans l’intervention des juges de la CEDH, mais aussi du Conseil d’État ou du Conseil constitutionnel, une tentative d’« imposer une volonté idéologique » au détriment de ce qu’il considère comme étant la volonté populaire. Il réfute ainsi l’existence de conflits idéologiques à l’intérieur même du peuple, en assimilant les valeurs portées par les textes internationaux et l’action des juges qui en sont les gardiens à des ingérences extérieures.
Au nom de la souveraineté (du peuple, ici confondue avec celle de l’État), de l’identité et de l’histoire de France, il efface tout un pan de cette histoire et de cette identité ; il nie combien l’histoire de notre pays a été structurée par l’attachement aux droits de l’homme et par la promotion des textes internationaux destinés à les défendre, au point que certains des plus emblématiques, dont la CEDH ou la Déclaration universelle des droits de l’Homme, ont été en partie façonnés par d’éminents juristes français, comme Pierre-Henri Teitgen ou René Cassin — dont l’engagement dans la Résistance montre que l’on peut concilier attachement à la France et promotion des conventions internationales.
Cette imbrication des textes internationaux avec l’histoire de notre pays se révèle aussi dans l’effet de cascade qu’entraînerait une sortie de la CEDH ou de la Convention de Genève : pour la rendre effective, il faudrait dans le même temps vider d’une grande part de sa substance la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen… On voit ainsi que ces propositions se rattachent à la tradition réactionnaire au sens le plus littéral, c’est-à-dire au projet d’effacer les acquis politiques et juridiques ouverts par la Révolution de 1789.
(1) Même si l’éventualité d’une sortie, au moins partielle, des traités européens concerne aussi une partie de la gauche. (2) « Face à l’info », CNews, 29 septembre 2020
(3) Bien qu’elle ne défende plus explicitement un « opting-out » sur certains articles de la CEDH (comme c’était le cas dans l’émission « Grand Jury RTL, Le Figaro » le 25 octobre 2020), elle continue de remettre en cause la jurisprudence de cette cour sur un certain nombre de points (voir par exemple « Bourdin Direct », BFMTV et RMC, le 25 mai 2021).
(4) Se reporter à la Convention de Vienne sur le droit des traités (article 56, et articles 39 à 41 pour les amendements) ici
(5) Une éventualité parfois évoquée, s’agissant de la convention de Genève, à propos de la situation des réfugiés climatiques – catégorie inexistante lors de la rédaction originelle mais qu’il importerait aujourd’hui d’intégrer au texte.
Au nom de la souveraineté (du peuple, ici confondue avec celle de l’État), de l’identité et de l’histoire de France, il efface tout un pan de cette histoire et de cette identité ; il nie combien l’histoire de notre pays a été structurée par l’attachement aux droits de l’homme et par la promotion des textes internationaux destinés à les défendre, au point que certains des plus emblématiques, dont la CEDH ou la Déclaration universelle des droits de l’Homme, ont été en partie façonnés par d’éminents juristes français, comme Pierre-Henri Teitgen ou René Cassin — dont l’engagement dans la Résistance montre que l’on peut concilier attachement à la France et promotion des conventions internationales.
Cette imbrication des textes internationaux avec l’histoire de notre pays se révèle aussi dans l’effet de cascade qu’entraînerait une sortie de la CEDH ou de la Convention de Genève : pour la rendre effective, il faudrait dans le même temps vider d’une grande part de sa substance la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen… On voit ainsi que ces propositions se rattachent à la tradition réactionnaire au sens le plus littéral, c’est-à-dire au projet d’effacer les acquis politiques et juridiques ouverts par la Révolution de 1789.
(1) Même si l’éventualité d’une sortie, au moins partielle, des traités européens concerne aussi une partie de la gauche. (2) « Face à l’info », CNews, 29 septembre 2020
(3) Bien qu’elle ne défende plus explicitement un « opting-out » sur certains articles de la CEDH (comme c’était le cas dans l’émission « Grand Jury RTL, Le Figaro » le 25 octobre 2020), elle continue de remettre en cause la jurisprudence de cette cour sur un certain nombre de points (voir par exemple « Bourdin Direct », BFMTV et RMC, le 25 mai 2021).
(4) Se reporter à la Convention de Vienne sur le droit des traités (article 56, et articles 39 à 41 pour les amendements) ici
(5) Une éventualité parfois évoquée, s’agissant de la convention de Genève, à propos de la situation des réfugiés climatiques – catégorie inexistante lors de la rédaction originelle mais qu’il importerait aujourd’hui d’intégrer au texte.
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Camille de Vulpillières, agrégée de philosophie, est docteure en philosophie, chercheuse rattachée au laboratoire Sophiapol et ATER à l’université de Tours. Première parution de l'article dans le 32e numéro de De Facto. Mise en ligne de l'article le 4 avril 2022 sur le site de l'Institut Convergences Migrations qui édite De Facto.
Lire aussi :
Didier Leschi : « Le souverainisme est plus attaché à l'idée d'une identité culturelle qui a souvent comme corollaire le racisme »
Les mots piégés du débat républicain : à l’assaut du mot « souverainisme »
Camille de Vulpillières, agrégée de philosophie, est docteure en philosophie, chercheuse rattachée au laboratoire Sophiapol et ATER à l’université de Tours. Première parution de l'article dans le 32e numéro de De Facto. Mise en ligne de l'article le 4 avril 2022 sur le site de l'Institut Convergences Migrations qui édite De Facto.
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