« Je ne vais pas rester éternellement dans l’ambiguïté. » Son départ de Musulmans de France (MF) désormais officialisé, Tareq Oubrou s’explique aujourd’hui sur Saphirnews, en prenant le soin de préciser avec insistance qu’il n’est pas dans une logique de rupture avec l’organisation musulmane. Interview.
Saphirnews : Pouvez-vous déjà expliquer quand et ce qui vous avait amené à intégrer l’UOIF ? Quelle place occupiez-vous en son sein au fil des années ?
Tareq Oubrou : C’était au début des années 1980. J’avais alors un peu plus de 20 ans, j’étais un simple militant. Aujourd’hui, je frôle la soixantaine. Beaucoup d’eau théologique a coulé sous le pont de cette expérience. Mon statut a naturellement changé. J’ai évolué dans cette structure plus de la moitié de ma vie avec des responsabilités organisationnelles multiples. Honnêtement, j’y étais relativement à l’aise malgré les incompréhensions et les divergences qui peuvent exister même au sein des familles les plus solides.
Quelles sont les raisons qui vous ont incité aujourd’hui à rompre avec la structure ? Pouvez-vous préciser le contexte ?
Tareq Oubrou : D’abord, il ne s’agit pas d’une rupture. C’est un mot que je n’aime pas. Je suis une personne qui aime la relation et la réconciliation et non les ruptures, surtout avec une institution qui a fait une partie de ce que je suis actuellement. Et ce n’est pas parce que vous quittez la maison où vous avez grandi pour faire votre vie d’adulte que, forcément, vous rompez avec votre famille.
L’une des raisons principales de cette décision, c’est que je ne voudrais pas être perçue comme un théologien intellectuel organique, mes idées ne pouvant être contenues dans un système, encore moins dans une structure associative. Et c’est peut-être dans l’intérêt même de MF.
L’une des raisons principales de cette décision, c’est que je ne voudrais pas être perçue comme un théologien intellectuel organique, mes idées ne pouvant être contenues dans un système, encore moins dans une structure associative. Et c’est peut-être dans l’intérêt même de MF.
Quand et de quelle façon avez-vous annoncé votre décision à la présidence de MF occupée par Amar Lasfar ?
Tareq Oubrou : Ce fut spontané et dans l’ordre des choses. L’idée était déjà en germe, installée de fait dans les esprits.
Cette annonce du départ intervient la veille du mois du Ramadan. Vous avez fait le choix d'annoncer en amont le début du jeûne pour mercredi 16 mai quand MF préfère désormais d'attendre la décision du CFCM, ce qui participe aussi d’une prise de distance entre vous et la structure. Que répondez-vous sur ce point ?
Tareq Oubrou : Annoncer le Ramadan la veille ne convient pas à notre condition contemporaine, notamment occidentale. Ceci consiste à une démarche davantage symbolique et politique que purement théologique et religieuse.
MF a passé des années à faire des assemblées théologiques pour fonder l’avis des calculs astronomiques (dans l’optique d’un calendrier unifié, ndlr). Je ne comprends donc pas la décision de revenir sur le travail accompli, il nous faudrait un calendrier astronomique liturgique définitivement établi pour nous organiser.
Je précise que ma décision (de partir de MF, ndlr) n’a rien à voir avec ce sujet. J’avais toujours une grande liberté au sein de MF. Mes avis étaient écoutés, respectés même s’ils n’étaient pas souvent partagés, et même si parfois ils étaient fortement critiqués. Je souligne que MF que je connais très bien n’est pas une caserne !
Lire aussi : Ramadan 2018 en France : pourquoi le CFCM annoncerait jeudi 17 mai pour début du jeûne
MF a passé des années à faire des assemblées théologiques pour fonder l’avis des calculs astronomiques (dans l’optique d’un calendrier unifié, ndlr). Je ne comprends donc pas la décision de revenir sur le travail accompli, il nous faudrait un calendrier astronomique liturgique définitivement établi pour nous organiser.
Je précise que ma décision (de partir de MF, ndlr) n’a rien à voir avec ce sujet. J’avais toujours une grande liberté au sein de MF. Mes avis étaient écoutés, respectés même s’ils n’étaient pas souvent partagés, et même si parfois ils étaient fortement critiqués. Je souligne que MF que je connais très bien n’est pas une caserne !
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Vous avez toujours été à part ces dernières années au sein de l'UOIF, en incarnant l'aile minoritaire de MF sur des questions théologiques, non sans être critiqué. Qu'est-ce-qui vous retenait jusqu’ici ?
Tareq Oubrou : Il y a eu toujours une diversité d’opinion au sein de cette institution. J’en suis témoin. Quant aux critiques à mon égard elles sont tout à fait légitimes et normales. Les gens ne sont obligés d’être d’accord avec moi. Ceci étant, je ne crois pas que mes idées y soient minoritaires.
Quelles évolutions attendiez-vous de MF qui n'ont pas eu lieu ?
Tareq Oubrou : À mon avis, l’organisation a négligé l’essentiel, celui de travailler sur un corpus doctrinal théologique et canonique pour qu’il soit une référence pour les musulmans de France. Pourtant, elle fut la première à lever le slogan de « l’islam de France » et ce, depuis le milieu des années 1980, avec l’avantage d’être une structure qui transcendait les clivages ethniques. Elle a toujours su être à l’abri de l’ingérence politique des pays d’origine.
Avez-vous des reproches et des regrets particuliers envers l'organisation ?
Tareq Oubrou : Il faut reconnaître que MF a toujours supporté mes avis qui, parfois, la mettaient en grande difficulté par rapport à une certaine catégorie de musulmans. Mais on ne m’a jamais interdit de penser ce que je pense même au sujet des questions sensibles comme celle du « hijab ».
Ce que je reproche à cette institution, c’est que son évolution est lente par rapport à la réalité d’aujourd’hui, laquelle engagée dans une histoire accélérée. Elle n’a pas su non plus capitaliser son expérience et ce qu’elle a pu apporter à l’islam de France. Elle n’a pas écrit son histoire où il n’y avait pas que des échecs, laissant ainsi les autres parler à sa place. Absorbée par l’action au dépend de la réflexion, son discours donne l’impression qu’il est plus de l’ordre de la tactique que de la conviction théologiquement fondé. Elle n’a toujours pas su expliquer son évolution à partir du mouvement des frères musulmans. À cause de ce manque de clarté, elle donne l’image d’une organisation plus politique que religieuse.
Ce que je reproche à cette institution, c’est que son évolution est lente par rapport à la réalité d’aujourd’hui, laquelle engagée dans une histoire accélérée. Elle n’a pas su non plus capitaliser son expérience et ce qu’elle a pu apporter à l’islam de France. Elle n’a pas écrit son histoire où il n’y avait pas que des échecs, laissant ainsi les autres parler à sa place. Absorbée par l’action au dépend de la réflexion, son discours donne l’impression qu’il est plus de l’ordre de la tactique que de la conviction théologiquement fondé. Elle n’a toujours pas su expliquer son évolution à partir du mouvement des frères musulmans. À cause de ce manque de clarté, elle donne l’image d’une organisation plus politique que religieuse.
En quoi MF pouvait constituer à vos yeux un frein aux travaux que vous avez engagé ? Comment voyez-vous l'avenir de l'ensemble de vos travaux après l'officialisation de votre départ ?
Tareq Oubrou : MF n’a jamais fait obstacle à mes travaux, au contraire. À ce niveau, rien ne va changer. Je reste toujours en relation avec l’institution pour partager mes convictions et mes travaux, si MF en manifeste le besoin. Et comme je viens de le souligner, il ne s’agit pas de rupture, encore moins d’un conflit ! (…) Je ne veux pas que mon départ soit instrumentalisé à des fins d’attaques contre l’organisation.
A quoi vous consacrez-vous actuellement ?
Tareq Oubrou : Je continue mon chemin que j’ai entamé déjà au sein de cette institution à laquelle je dois beaucoup mais à l’égard de laquelle je reste critique, comme auparavant et ce bien sûr dans le sens constructif.
Quel regard portez-vous sur la volonté affichée d'Emmanuel Macron de restructurer l'islam de France ?
Tareq Oubrou : Je ne sais pas exactement ce que le chef de l'Etat en pense. En tous cas, l’approche globale d’apaisement pour laquelle il a optée à juste titre est un préalable pour ce genre de chantier sensible. Sur cette question de restructuration de l’islam comme vous dites, j’ai déjà proposé quelques idées.
Quelles propositions avez-vous faites ?
Tareq Oubrou : J'ai proposé « un consistoire à la musulmane » composé, d’une part, d'une administration où siégera des organisations qui ont pour objet la gestion associative des mosquées et, d’autre part, d'une instance référentielle religieuse composés de savants musulmans français qui ont une double compétence : à la fois docteurs et pasteurs, c'est-à-dire des théologiens, canonistes et ethiciens en même temps qu'imams qui assurent un rôle liturgique et pastoral.
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