Naif Abdulrahman Al-Mutawa, auteur de THE 99, bande dessinée de 99 superhéros de référence musulmane.
Koweït City – A 20 ans, je suis monté dans un train pour Auschwitz.
C'était en 1992. Eu égard aux dix années passées dans un camp d'été majoritairement juif dans les montagnes blanches du New Hampshire, j'ai sans doute été le seul enfant arabe à avoir jamais grandi dans la crainte de l'Holocauste. J'ai pris l'initiative de voir de mes propres yeux un endroit dont l'existence passe, aux yeux de certains, pour être la vérité absolue, à tel point que l'action de le nier est, dans certains pays, punissable par la loi. Des non-croyants m'ont dit qu'il n'existait pas. Ce débat concerne généralement le paradis. Moi, j'ai vu l'enfer.
C'était une triste journée d'hiver. Arrivé à Berlin, j'ai pris la correspondance pour Cracovie où un taxi m'a emmené jusqu'au camp.
J'assimilais l'insondable alors que je marchais. Durant le même hiver, j'ai également visité Terezin, en Tchécoslovaquie, et Dachau, en Allemagne, en tentant de concentrer mon esprit sur ce que j'avais vu. Je me souviens avoir souhaité pouvoir revenir en arrière, au temps où le seul camp juif que j'eusse jamais foulé se trouvait en Nouvelle-Angleterre.
Il y a trente ans, je me suis envolé pour le Camp Robin Hood. Mes parents souhaitaient que je perfectionne mon anglais. L'Amérique représentait l'avenir. Je me suis fait des amis au camp et j'ai lu, écrit et imaginé.
Je me suis passionné pour la fiction et les infinies possibilités dans les pages des livres. J'ai découvert le caractère double des histoires. J'ai appris que certaines des choses avec lesquelles j'avais été élevé en pensant qu'elles étaient justes étaient fausses. Et j'ai rendu la pareille. La leçon la plus frappante que j'ai apprise est l'importance de la manière de percevoir une situation pour se faire une opinion. Plus tard, j'allais consolider mes connaissances grâce à mes études et à ma formation de psychologue.
C'est en 1996, que j'ai rencontré le Dr. Koty, mon optométriste de Manhattan. Il m'a demandé d'où je venais. Quand je lui ai dit que j'étais originaire du Koweït, il m'a demandé, avec emphase, si je savais ce que « Koty » voulait dire, ajoutant que c'était le diminutif de Koweïtien.
Mon docteur appartient, semble-t-il, à la quatrième génération de Juifs koweïtiens nés à New York. Le monde est petit. Il aurait pu, il aurait dû, être mon optométriste au Koweït.
On oublie facilement que pendant plus de mille ans, le seul endroit où un juif pouvait être en sécurité était parmi les Arabes. La terrible histoire de la persécution culminant avec l'Holocauste qui s'est abattu sur les Juifs d'Europe a couvert le monde de honte et a hâté le fait que la communauté internationale reconnaisse la nécessité de créer une zone protégée pour le peuple juif. Toutefois, le profit d'un peuple allait vite devenir le dommage d'un autre.
On ne peut échapper au fait que la création d'une mère patrie pour les survivants de l'une des plus terribles tragédies de l'Histoire était en elle-même une tragédie pour les habitants de cette patrie, pas plus qu'on ne peut échapper à l'horrible réalité de ceux qui ont été gazés dans les camps de concentration. Ce sont des vérités réciproques. On ne peut accepter l'une sans accepter l'autre. Le faire serait moralement et intellectuellement malhonnête. Et franchement, ce serait la pire des fictions.
C'était en 1992. Eu égard aux dix années passées dans un camp d'été majoritairement juif dans les montagnes blanches du New Hampshire, j'ai sans doute été le seul enfant arabe à avoir jamais grandi dans la crainte de l'Holocauste. J'ai pris l'initiative de voir de mes propres yeux un endroit dont l'existence passe, aux yeux de certains, pour être la vérité absolue, à tel point que l'action de le nier est, dans certains pays, punissable par la loi. Des non-croyants m'ont dit qu'il n'existait pas. Ce débat concerne généralement le paradis. Moi, j'ai vu l'enfer.
C'était une triste journée d'hiver. Arrivé à Berlin, j'ai pris la correspondance pour Cracovie où un taxi m'a emmené jusqu'au camp.
J'assimilais l'insondable alors que je marchais. Durant le même hiver, j'ai également visité Terezin, en Tchécoslovaquie, et Dachau, en Allemagne, en tentant de concentrer mon esprit sur ce que j'avais vu. Je me souviens avoir souhaité pouvoir revenir en arrière, au temps où le seul camp juif que j'eusse jamais foulé se trouvait en Nouvelle-Angleterre.
Il y a trente ans, je me suis envolé pour le Camp Robin Hood. Mes parents souhaitaient que je perfectionne mon anglais. L'Amérique représentait l'avenir. Je me suis fait des amis au camp et j'ai lu, écrit et imaginé.
Je me suis passionné pour la fiction et les infinies possibilités dans les pages des livres. J'ai découvert le caractère double des histoires. J'ai appris que certaines des choses avec lesquelles j'avais été élevé en pensant qu'elles étaient justes étaient fausses. Et j'ai rendu la pareille. La leçon la plus frappante que j'ai apprise est l'importance de la manière de percevoir une situation pour se faire une opinion. Plus tard, j'allais consolider mes connaissances grâce à mes études et à ma formation de psychologue.
C'est en 1996, que j'ai rencontré le Dr. Koty, mon optométriste de Manhattan. Il m'a demandé d'où je venais. Quand je lui ai dit que j'étais originaire du Koweït, il m'a demandé, avec emphase, si je savais ce que « Koty » voulait dire, ajoutant que c'était le diminutif de Koweïtien.
Mon docteur appartient, semble-t-il, à la quatrième génération de Juifs koweïtiens nés à New York. Le monde est petit. Il aurait pu, il aurait dû, être mon optométriste au Koweït.
On oublie facilement que pendant plus de mille ans, le seul endroit où un juif pouvait être en sécurité était parmi les Arabes. La terrible histoire de la persécution culminant avec l'Holocauste qui s'est abattu sur les Juifs d'Europe a couvert le monde de honte et a hâté le fait que la communauté internationale reconnaisse la nécessité de créer une zone protégée pour le peuple juif. Toutefois, le profit d'un peuple allait vite devenir le dommage d'un autre.
On ne peut échapper au fait que la création d'une mère patrie pour les survivants de l'une des plus terribles tragédies de l'Histoire était en elle-même une tragédie pour les habitants de cette patrie, pas plus qu'on ne peut échapper à l'horrible réalité de ceux qui ont été gazés dans les camps de concentration. Ce sont des vérités réciproques. On ne peut accepter l'une sans accepter l'autre. Le faire serait moralement et intellectuellement malhonnête. Et franchement, ce serait la pire des fictions.
Aujourd'hui, mes enfants fréquentent le camp Robin Hood. J'espère qu'ils grandissent avec la crainte de l'Holocauste, tout comme moi. Et j'espère que leurs camarades juifs du camp grandissent en redoutant l'idée de se réveiller un jour et de trouver qu'un groupe qui a survécu à un terrible massacre est maintenant autorisé à s'emparer de leurs maisons, se servant d'un Livre sacré comme titre de propriété.
C'est grâce à ce genre d'interactions que les choses peuvent véritablement changer. Peut-être que la cinquième génération de Koweïtiens retournera au Koweït pour y ouvrir ses commerces. Bien entendu, j'élèverai mes enfants pour qu'ils se réjouissent de cette perspective.
Cependant, il faudra plus que des efforts individuels fondés sur des expériences particulières pour que les choses changent vraiment. Il faudra de grands efforts de la part des systèmes éducatif et de loisirs là où les préjugés sont institutionnalisés, où la fiction est systématiquement colportée comme un fait et le fait comme une fiction.
Lorsque j'ai créé THE 99, une série de super-héros inspirée de l'islam, j'ai veillé à ce que les héros soient originaires de 99 pays différents pour lutter contre de tels préjugés. J'ai pensé qu'il me fallait travailler seul. J'avais tort.
THE 99 et la Ligue de justice d'Amérique (LJA) de l'éditeur DC Comics, se sont associés. En travaillant avec ses homologues américains comme Superman, Batman et Wonder Woman, THE 99 travaillera dur pour exécuter le récent message de tolérance culturelle lancé par le président américain Barack Obama.
THE 99 et la LJA ne s'identifient jamais par une orientation religieuse, mais les archétypes sur lesquels ils se fondent sont clairs. Il est probable qu'ils exploreront ensemble les questions de confiance, de multiculturalisme et la façon dont les personnages, réels ou non, se perçoivent les uns les autres. Imaginez ce qui peut découler de positif d'une franche conversation entre Batina the Hidden de THE 99 (une super-héroïne qui porte une burqa, ou un vêtement qui couvre complètement son corps, sa tête et son visage) et la Wonder Woman de la LJA un tant soit peu plus découverte.
Si nous parvenons à montrer comment la perception des choses prend injustement forme, une seule enjambée suffira pour avancer à grands pas afin de les transformer. Et y aurait-il de meilleurs personnages pour explorer de telles questions que Superman et Batman qui ont été créés par de jeunes gens juifs originaires de New York et de Cleveland au plus fort de l'antisémitisme et THE 99 qui ont été créés par un musulman au pic de la période d'islamophobie ?
* Naif Abdulrahman Al-Mutawa est le créateur de THE 99, un groupe de superhéros fondés sur des archétypes islamiques et l'un des lauréats 2009 du concours d'Entrepreneur social de l'année de la Fondation Schwab au World Economic Forum (Davos).
Lire aussi :
La série BD koweïtienne « THE 99 » adaptée à la télévision
« Savoir que le monde n'est pas sauvé par Superman, mais par Noora, c'est bien ! »
C'est grâce à ce genre d'interactions que les choses peuvent véritablement changer. Peut-être que la cinquième génération de Koweïtiens retournera au Koweït pour y ouvrir ses commerces. Bien entendu, j'élèverai mes enfants pour qu'ils se réjouissent de cette perspective.
Cependant, il faudra plus que des efforts individuels fondés sur des expériences particulières pour que les choses changent vraiment. Il faudra de grands efforts de la part des systèmes éducatif et de loisirs là où les préjugés sont institutionnalisés, où la fiction est systématiquement colportée comme un fait et le fait comme une fiction.
Lorsque j'ai créé THE 99, une série de super-héros inspirée de l'islam, j'ai veillé à ce que les héros soient originaires de 99 pays différents pour lutter contre de tels préjugés. J'ai pensé qu'il me fallait travailler seul. J'avais tort.
THE 99 et la Ligue de justice d'Amérique (LJA) de l'éditeur DC Comics, se sont associés. En travaillant avec ses homologues américains comme Superman, Batman et Wonder Woman, THE 99 travaillera dur pour exécuter le récent message de tolérance culturelle lancé par le président américain Barack Obama.
THE 99 et la LJA ne s'identifient jamais par une orientation religieuse, mais les archétypes sur lesquels ils se fondent sont clairs. Il est probable qu'ils exploreront ensemble les questions de confiance, de multiculturalisme et la façon dont les personnages, réels ou non, se perçoivent les uns les autres. Imaginez ce qui peut découler de positif d'une franche conversation entre Batina the Hidden de THE 99 (une super-héroïne qui porte une burqa, ou un vêtement qui couvre complètement son corps, sa tête et son visage) et la Wonder Woman de la LJA un tant soit peu plus découverte.
Si nous parvenons à montrer comment la perception des choses prend injustement forme, une seule enjambée suffira pour avancer à grands pas afin de les transformer. Et y aurait-il de meilleurs personnages pour explorer de telles questions que Superman et Batman qui ont été créés par de jeunes gens juifs originaires de New York et de Cleveland au plus fort de l'antisémitisme et THE 99 qui ont été créés par un musulman au pic de la période d'islamophobie ?
* Naif Abdulrahman Al-Mutawa est le créateur de THE 99, un groupe de superhéros fondés sur des archétypes islamiques et l'un des lauréats 2009 du concours d'Entrepreneur social de l'année de la Fondation Schwab au World Economic Forum (Davos).
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