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"Des chiffres et des litres" : le 9-3 au centre d'un polar magistral

Par Assmaâ Rakho-Mom

Rédigé par Assmaâ Rakho-Mom | Mardi 31 Juillet 2012 à 12:37

Si vous n'avez jamais mis les pieds à Saint-Denis, n'y allez pas avant d'avoir lu "Des chiffres et des litres", de Rachid Santaki ! Et si vous connaissez un tant soit peu la Seine-Saint-Denis, vous ne la verrez plus de la même manière. Car, avant d'être un roman noir, "Des chiffres et des litres", c'est une succession de plans-séquences. Une fresque sociale et réaliste qui se lit avec des images plein la tête. C'est un film qui passe au fil des pages. Un film où la ville de Saint-Denis est un "personnage" à part entière.



Le 9-3 a trouvé son auteur de polar. Et il est brillant ! Avec Rachid Santaki, la Seine-Saint-Denis n'est pas ce bloc monolithique régulièrement désigné à la vindicte populaire. Certes Des chiffres et des litres n'en donne pas toujours une image des plus jolies à voir, mais c'est le propre du roman noir que de nous plonger dans les bas-fonds tant sociétaux qu'humains. Des bas-fonds loin d'être complètement sombres. C'est le point fort de cet ouvrage. Ce sont des trajectoires de vie que l'auteur nous livre. Sans jugement ni parti pris. On n'en sort d'ailleurs pas indemne ; pris, à la fin de notre lecture, entre la pitié, la tristesse et la rage.

L'histoire ? C'est celle d'Hachim, jeune homme de Saint-Denis, élève brillant et garçon bien élevé, passionné de hip-hop et féru de journalisme. Bref, tout pour réussir. Sauf que Hachim va chercher l'affection qu'il estime ne pas avoir au sein de sa famille biologique au sein de son cercle amical. Un cercle amical dans lequel on compte le caïd de la cité, Houssine, qui veut faire du "petit" Hachim son successeur. Et voilà le jeune garçon embarqué malgré lui dans des luttes de territoires et d'influences, qui vont rapidement le dépasser. Le tout est raconté sur fond de Coupe du monde de football 98.

Réaliste, précisément documenté et criant de vérité (malheureusement parfois !), Des chiffres et des litres nous fait oublier que l'on est face à un roman, nous transportant dans une réalité quotidienne inspirée de faits réels mais dépouillée des clichés et lieux communs habituels sur la banlieue et ses trafics. C'est une Seine-Saint-Denis humaine qui transparaît.

Complexes, torturés, attachants ou franchement détestables, les personnages ne nous laissent, quant à eux, pas indifférents. On jubile, on s'indigne, on s'inquiète ou on trépigne, mais du ripoux au caïd, en passant par la mamie ou la maman, tous les protagonistes ont une trajectoire qui nous rappelle quelqu'un, nous dit quelque chose.

Même la ville de Saint-Denis "vit" littéralement. Elle vit d'autant plus qu'on est en pleine Coupe du monde de football, que l'équipe de France monte peu à peu en puissance et que ces jeunes dont on raconte les vies sont avant tout Français.

D'ailleurs, les tensions dans le "milieu" s'exacerbent au rythme des victoires française successives. C'est lors de la finale de la Coupe, au moment même où l'équipe de France entre dans l'histoire du foot et que les Français exultent, que tout bascule dans la cité d'Hachim. La France métissée montre son visage le plus radieux et le plus glorieux tandis que la France ghettoïsée continue de s'enfoncer dans l'absurde et l'insupportable. Un parallèle splendide en somme, entre ce qui peut se faire de meilleur et de pire.

Tout le roman est ainsi construit. Loin de désigner du doigt, de condamner, de fustiger, il démontre, démasque et dévoile ces ressorts, ces compétences et ces forces sommeillant en chacun, et souvent non exploitées, voire volontairement laissées à la dérive.

Bref, un livre à lire et à faire lire, et pourquoi pas à étudier tant il y aurait à commenter, à expliciter et à interpréter. Avis aux professeurs !


Des chiffres et des litres, de Rachid Santaki, Moisson Rouge, 240 pages, 16 euros, sortie le 1er mars 2012.

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