Eglise du Saint-Sépulcre, à Jérusalem.
Lors de la prise de Jérusalem en 635 par le calife Omar, ce dernier refusa de prier dans le Saint Sépulcre comme l'y invitait le patriarche chrétien, de crainte que ses hommes n'invoquent ce précédent pour transformer en mosquée ce lieu de culte et priver ainsi les chrétiens de la faculté de pratiquer librement leur religion.
C'était une époque qu'on qualifiait de barbare mais qui, sur ce point comme sur tant d'autres, savait se montrer souvent plus civilisée et tolérante que notre monde contemporain, où les passions et les crispations se traduisent par le retour du fanatisme et de l'intolérance religieuse.
L'exemple donné par le calife Omar, inventeur de la dhimmitude et de son Code qui régissait la vie des non-musulmans, symbolise bien le contenu du pacte qui porte son nom et qui reconnaît aux non musulmans, aux peuples du Livre (un terme qui se réfère aux juifs et aux chrétiens), la possibilité de vivre en terre d'islam et d'y posséder leurs propres édifices cultuels. Peut-on imaginer Jérusalem, Alep, Le Caire, Bagdad, Damas, Tunis, Alger, Casablanca… sans cette fragile dentelle de clochers, de minarets, voire parfois de coupoles de synagogues qui s'élancent vers le ciel comme autant d'échelles permettant aux fidèles d'adresser leurs prières à leur Dieu ?
L'Orient compliqué nous donnait de la sorte une leçon très simple, qu'il est parfois bien incapable de reprendre aujourd'hui à son compte puisqu'il est lui-même traversé par de profondes contradictions et par des tentatives d'uniformisation religieuse.
De ce refus de l'Autre et de son droit absolu à prier comme il l'entend, la Suisse, qui accueillit jadis les protestants chassés de France, vient de donner un déplorable exemple en adoptant, le 29 novembre 2009, une loi interdisant la construction de minarets sur son sol.
L'affaire a quelque chose de dérisoire si elle n'était pas d'une certaine manière tragique. L'on voit mal en effet ce en quoi la Suisse, fière de sa neutralité multiséculaire, pourrait être menacée, dans son existence et sa culture, par l'édification de minarets.
Quelles que soient les raisons qui ont inspiré cette initiative, beaucoup estiment que son acceptation est avant tout la manifestation d'un refus de l'islam et du droit qu'ont les musulmans de pouvoir pratiquer librement leur culte là où ils vivent.
La « votation » suisse ne touche pas uniquement les Mmsulmans, même s'ils en sont les premières victimes. Elle institutionnalise ce « choc des civilisations », cher à Samuel Huttington, laissant aux citoyens, ou à leurs représentants élus, le soin de déterminer le cadre de vie et les modes de pensée en fonction de critères de majorité démographique.
Ce type de raisonnement revient à justifier tout autant l'interdiction de construction de minarets en « terre chrétienne » que celle d'églises ou de synagogues en « terre d'islam ». Le nivellement ethnico-religieux fait ici bon ménage avec le monolithisme religieux et ressuscite le vieux principe, que l'on croyait aboli, de la religion du prince qui, après la Réforme, déterminait la religion du pays : un peuple, un pays, une religion.
C'est à l'application absurde de ce principe inique que l'on dut la disparition de l'Espagne des trois religions, avec l'expulsion des Juifs et des Morisques à la Renaissance, phénomène qui eut pour conséquence l'appauvrissement spirituel et matériel de la péninsule Ibérique.
C'est le même principe qui a animé bien des totalitarismes du monde moderne, décidés à effacer les spiritualités qui contredisaient leur message de haine et d'exclusion. C'est ce même principe qui est à l'œuvre encore aujourd'hui dans trop de régions de la planète où l'appartenance à une minorité est synonyme d'inégalité.
Ceux-là mêmes qui refusent la construction de minarets en Suisse n'ont pas conscience de ce qu'un jour ils pourraient être perçus comme ceux qui brûlent les synagogues ou qui détruisent les églises dans l'ancien Croissant fertile ou ailleurs. Faut-il le rappeler, qu'il soit juif, chrétien, musulman, agnostique ou athée, quand un groupe est menacé, c'est le signal que d'autres pourront l'être à leur tour.
La spirale est déjà amorcée et peut produire ses effets dévastateurs si nous ne nous mobilisons pas dès maintenant pour affirmer que la dignité éminente de tout être humain et le droit pour tout croyant de prier son Dieu comme il l'entend, ne sont pas fonction de l'obtention d'un permis de construire.
Les minarets de Genève valent bien les cloches de Bâle. Il est peut-être temps, pour tous, de s'en souvenir.
* René Guitton est écrivain et essayiste, membre de l'Alliance des civilisations et vient de recevoir le Prix des droits de l'homme 2009.
C'était une époque qu'on qualifiait de barbare mais qui, sur ce point comme sur tant d'autres, savait se montrer souvent plus civilisée et tolérante que notre monde contemporain, où les passions et les crispations se traduisent par le retour du fanatisme et de l'intolérance religieuse.
L'exemple donné par le calife Omar, inventeur de la dhimmitude et de son Code qui régissait la vie des non-musulmans, symbolise bien le contenu du pacte qui porte son nom et qui reconnaît aux non musulmans, aux peuples du Livre (un terme qui se réfère aux juifs et aux chrétiens), la possibilité de vivre en terre d'islam et d'y posséder leurs propres édifices cultuels. Peut-on imaginer Jérusalem, Alep, Le Caire, Bagdad, Damas, Tunis, Alger, Casablanca… sans cette fragile dentelle de clochers, de minarets, voire parfois de coupoles de synagogues qui s'élancent vers le ciel comme autant d'échelles permettant aux fidèles d'adresser leurs prières à leur Dieu ?
L'Orient compliqué nous donnait de la sorte une leçon très simple, qu'il est parfois bien incapable de reprendre aujourd'hui à son compte puisqu'il est lui-même traversé par de profondes contradictions et par des tentatives d'uniformisation religieuse.
De ce refus de l'Autre et de son droit absolu à prier comme il l'entend, la Suisse, qui accueillit jadis les protestants chassés de France, vient de donner un déplorable exemple en adoptant, le 29 novembre 2009, une loi interdisant la construction de minarets sur son sol.
L'affaire a quelque chose de dérisoire si elle n'était pas d'une certaine manière tragique. L'on voit mal en effet ce en quoi la Suisse, fière de sa neutralité multiséculaire, pourrait être menacée, dans son existence et sa culture, par l'édification de minarets.
Quelles que soient les raisons qui ont inspiré cette initiative, beaucoup estiment que son acceptation est avant tout la manifestation d'un refus de l'islam et du droit qu'ont les musulmans de pouvoir pratiquer librement leur culte là où ils vivent.
La « votation » suisse ne touche pas uniquement les Mmsulmans, même s'ils en sont les premières victimes. Elle institutionnalise ce « choc des civilisations », cher à Samuel Huttington, laissant aux citoyens, ou à leurs représentants élus, le soin de déterminer le cadre de vie et les modes de pensée en fonction de critères de majorité démographique.
Ce type de raisonnement revient à justifier tout autant l'interdiction de construction de minarets en « terre chrétienne » que celle d'églises ou de synagogues en « terre d'islam ». Le nivellement ethnico-religieux fait ici bon ménage avec le monolithisme religieux et ressuscite le vieux principe, que l'on croyait aboli, de la religion du prince qui, après la Réforme, déterminait la religion du pays : un peuple, un pays, une religion.
C'est à l'application absurde de ce principe inique que l'on dut la disparition de l'Espagne des trois religions, avec l'expulsion des Juifs et des Morisques à la Renaissance, phénomène qui eut pour conséquence l'appauvrissement spirituel et matériel de la péninsule Ibérique.
C'est le même principe qui a animé bien des totalitarismes du monde moderne, décidés à effacer les spiritualités qui contredisaient leur message de haine et d'exclusion. C'est ce même principe qui est à l'œuvre encore aujourd'hui dans trop de régions de la planète où l'appartenance à une minorité est synonyme d'inégalité.
Ceux-là mêmes qui refusent la construction de minarets en Suisse n'ont pas conscience de ce qu'un jour ils pourraient être perçus comme ceux qui brûlent les synagogues ou qui détruisent les églises dans l'ancien Croissant fertile ou ailleurs. Faut-il le rappeler, qu'il soit juif, chrétien, musulman, agnostique ou athée, quand un groupe est menacé, c'est le signal que d'autres pourront l'être à leur tour.
La spirale est déjà amorcée et peut produire ses effets dévastateurs si nous ne nous mobilisons pas dès maintenant pour affirmer que la dignité éminente de tout être humain et le droit pour tout croyant de prier son Dieu comme il l'entend, ne sont pas fonction de l'obtention d'un permis de construire.
Les minarets de Genève valent bien les cloches de Bâle. Il est peut-être temps, pour tous, de s'en souvenir.
* René Guitton est écrivain et essayiste, membre de l'Alliance des civilisations et vient de recevoir le Prix des droits de l'homme 2009.