Le tableau n’est pas si noir : au cours de récentes études et formations de terrain effectuées ces dernières années dans le monde arabe, en Afrique, en Asie, comme au sein des dynamiques musulmanes d’Europe et d’Amérique du Nord, j’ai pu observer des signes de changement significatifs. Des jeunes générations de Dakar à Djakarta commencent à « se connecter » avec le monde.
Les nouveaux moyens de communication ont ceci de bénéfique qu’ils permettent des échanges d’informations et d’expériences de plus en plus nombreux. En contact virtuel avec des mouvements de résistance internationaux, et de plus en plus au fait des dynamiques qui traversent l’Occident, les musulmans du monde voient de nouveaux horizons s’ouvrir et de possibles partenariats se présenter à eux. Les voies alternatives expérimentées en Indonésie, en Malaisie, au Bangladesh, comme dans de nombreux pays arabes ou en Afrique et qui s’appuient sur des petites et moyennes entreprises ou des coopératives de développement sont quasiment inconnues en Occident. On ne dira jamais assez, de fait, l’importance de l’implication des citoyens occidentaux de confession musulmane dans le mouvement altermondialiste : en restant eux-mêmes, en revenant à la dimension universelle de leur message et de leurs principes, en gardant des liens avec les dynamiques de base des pays majoritairement musulmans et en établissant des partenariats diversifiés, ils ouvrent la voie à une nouvelle perception de soi et permettront à terme de dépasser les anciens clivages. Celles et ceux qui s’y sont engagés savent que la route sera longue encore, que les représentations et les soupçons demeurent la règle mais il leur appartient désormais de faire face à leurs responsabilités au moment où s’établissent ses nouveaux partenariats. C’est à eux, associés aux forces vives du Sud, qu’il incombe de développer une vision globale et mondialisée de la réforme[1]; c’est à eux de renouer avec l’universalité des valeurs et poser les termes d’un « dialogue équitable » avec l’Occident dont certains font désormais partie ; c’est à eux d’établir des liens entre leurs partenaires d’Occident et les actrices et acteurs des expériences alternatives intéressantes qui ont cours dans le monde musulmans; c’est à eux enfin de s’engager dans un dialogue interne exigeant et fécond qui s’autorise l’autocritique constructive. Leurs responsabilités sont immenses et nous sommes au début du chemin : pour la conscience musulmane contemporaine cela veut dire que la libération politique de Jérusalem, occupée par autrui, ne saurait faire oublier la nécessaire libération idéologique, économique et politique de la Mecque, par nos propres errances aliénée et trahie.
[1] Le Colloque international des musulmans dans l’espace francophone (CIMEF) réunissant les acteurs intellectuels et associatifs du Canada, d’Afrique et d’Europe a commencé ce travail depuis plus trois ans. Les débats des premières rencontres ont tourné, entre autres, autour de la compréhension réformiste des principes islamiques, de la laïcité, de la sécularisation, de la mondialisation et du monde après le 11 septembre 2001.