L'islam dit radical est un reptile qui hante les cercles musulmans de France. Un petit saurien qui, en dehors des services du renseignement, ne préoccupe personne, sauf l'anthropologue Dounia Bouzar. Ses acrobaties intellectuelles pour décrire la bête en ont fait rire beaucoup. Mais avec son dernier livre au titre explicite, Désamorcer l'islam radical, les rires ont viré au jaune.
Par sa genèse, Désamorcer l'islam radical est une leçon de persévérance que Dounia Bouzar donne aux acteurs du fait musulman. Je me souviens de réactions suscitées par Quelle éducation face au radicalisme religieux ? publié en 2006. Les amalgames attisés par « la révolte des banlieues » étaient dans les esprits. Ce premier livre sur le radicalisme fut décrié : « Si Dounia veut hurler avec la meute, c'est son affaire ; mais vous (ndlr, Saphirnews) n'êtes pas obligés de la suivre », s'indigna un Saphirnaute, parce que nous avions donné la parole à Madame Bouzar sur son livre.
L'année suivante, Dounia Bouzar a remis le couvert avec L'Intégrisme, l'Islam et nous, on a tout faux chez Plon. Avec un slogan pour titre « calibré pour passer sur les plateaux télé », me dira un confrère, ce livre me fut difficile à lire. J'étais loin du microcosme parisien et ce sujet de « l'islam radical » me paraissait à mille lieux de nos préoccupations de musulmans de France.
Par sa genèse, Désamorcer l'islam radical est une leçon de persévérance que Dounia Bouzar donne aux acteurs du fait musulman. Je me souviens de réactions suscitées par Quelle éducation face au radicalisme religieux ? publié en 2006. Les amalgames attisés par « la révolte des banlieues » étaient dans les esprits. Ce premier livre sur le radicalisme fut décrié : « Si Dounia veut hurler avec la meute, c'est son affaire ; mais vous (ndlr, Saphirnews) n'êtes pas obligés de la suivre », s'indigna un Saphirnaute, parce que nous avions donné la parole à Madame Bouzar sur son livre.
L'année suivante, Dounia Bouzar a remis le couvert avec L'Intégrisme, l'Islam et nous, on a tout faux chez Plon. Avec un slogan pour titre « calibré pour passer sur les plateaux télé », me dira un confrère, ce livre me fut difficile à lire. J'étais loin du microcosme parisien et ce sujet de « l'islam radical » me paraissait à mille lieux de nos préoccupations de musulmans de France.
La montée des radicaux par leur surmédiatisation
Pour moi-même, comme pour bien d'autres observateurs, la « montée de l'intégrisme musulman » est un fantasme malsain qui fait l'affaire des rédactions paresseuses. Il faut lire Thomas Deltombe dans L'islam imaginaire, ou Vincent Geisser dans La Nouvelle Islamophobie pour se faire une idée honnête. Nous savons que les « radicaux » en question ont toujours existé. Mais, hier comme aujourd'hui, partout où ils gagnent du terrain, ils finissent par reculer devant « l'islam du juste milieu », auquel adhère l'immense majorité des musulmans.
La nouveauté, ou la « montée », réside dans le traitement médiatique irresponsable de ces groupes statistiquement et idéologiquement insignifiants. En les surmédiatisant, on arrive au paradoxe actuel où les obsessions de ces marginaux sont posées comme normes à l'ensemble des musulmans. Ce discours radical, au fond de la mosquée, que l'on n'écoute que d'une oreille, les médias s'en sont saisis et nous l'ont enfoncé dans la gorge. Tout musulman de France est interpellé sur « la viande halal ». On ne peut plus être musulman en France et s'indifférer du hijab ou du niqab.
L'incurie générale qui prévaut sur notre religion ouvre la voie aux Claude Imbert, Christophe Barbier, Caroline Fourest et autres mystificateurs médiatiques pour parler, à tout-va, d'intégristes et de radicaux quand la réalité du fait musulman échappe à leur entendement.
La nouveauté, ou la « montée », réside dans le traitement médiatique irresponsable de ces groupes statistiquement et idéologiquement insignifiants. En les surmédiatisant, on arrive au paradoxe actuel où les obsessions de ces marginaux sont posées comme normes à l'ensemble des musulmans. Ce discours radical, au fond de la mosquée, que l'on n'écoute que d'une oreille, les médias s'en sont saisis et nous l'ont enfoncé dans la gorge. Tout musulman de France est interpellé sur « la viande halal ». On ne peut plus être musulman en France et s'indifférer du hijab ou du niqab.
L'incurie générale qui prévaut sur notre religion ouvre la voie aux Claude Imbert, Christophe Barbier, Caroline Fourest et autres mystificateurs médiatiques pour parler, à tout-va, d'intégristes et de radicaux quand la réalité du fait musulman échappe à leur entendement.
L'influence saoudienne au centre des préoccupations
Dans les mosquées et autres cercles musulmans, nous savons que ceux qui ont une lecture radicale de l'islam trouvent leurs références dans les débuts même de l'islam. Si l'on ne peut réfuter leurs sources, l'on sait qu'ils font partie du folklore idéologique. On s'en accommode comme on peut parce qu'ils sont inoffensifs. Ils le furent du moins jusqu'à la fin des années 1970, quand l'argent du pétrole offrit des moyens d'action jusqu'alors impensables aux wahhabites d'Arabie Saoudite.
Il faut savoir que l'islam avait autrefois déserté l'Arabie. En dehors de la période du Hajj, la débauche avait ses quartiers à deux pas de la Ka'ba. Les wahhabites ont eu le mérite de restaurer la foi et la morale dans nos Lieux saints. Contre l'immoralité on ne peut faire dans la nuance ; ils ont donc marié l'inculture à la rudesse pour dresser un arsenal idéologique suffisamment simpliste pour être mis en œuvre. Le wahhabisme, pour radical qu'il soit, a rétabli l'islam à La Mecque.
« Le remède qui a soigné le malade mérite d'être maintenu après la guérison », c'est le raccourci que prône le wahhabisme. Empotés par le trop d'argent, incapable de penser l'avenir, il magnifie le passé, les premiers temps de l'islam. Dans Désamorcer l'islam radical, Dounia Bouzar montre pourquoi et comment cette influence saoudienne s'exprime en France aujourd'hui.
Ce troisième livre que Dounia Bouzar consacre aux radicalismes est un livre abouti. En comparaison, les deux premiers font figure de maquettes, car celui-ci déboulonne nos certitudes sur ce vieux phénomène. Ce livre mérite attention pour la qualité de ses données et de ses exemples, leur authenticité aussi. La pensée de Dounia Bouzar s'est affûtée, ses conclusions ont gagné en pertinence, ses analyses en assurance. Pour ceux qui lisent pour apprendre, ce livre est à lire.
Les doutes exprimés, autrefois, sur la légitimité d'une anthropologue à traiter d'un sujet aussi complexe, à la croisée de la théologie islamique et de la sociologie moderne, sont dissipés. Le livre parle par lui-même et c'est tant mieux ! Sur Internet, quelques egos surdimensionnés, dont le halal et le hijab constituent le fonds de commerce, continueront de s'interroger. Mais le lecteur comprend vite que ce livre n'est pas un naïf exercice intellectuel. Il plonge ses racines dans le terrain, un terrain que nous avons méjugé et qui nous reste en travers de la gorge.
Il faut savoir que l'islam avait autrefois déserté l'Arabie. En dehors de la période du Hajj, la débauche avait ses quartiers à deux pas de la Ka'ba. Les wahhabites ont eu le mérite de restaurer la foi et la morale dans nos Lieux saints. Contre l'immoralité on ne peut faire dans la nuance ; ils ont donc marié l'inculture à la rudesse pour dresser un arsenal idéologique suffisamment simpliste pour être mis en œuvre. Le wahhabisme, pour radical qu'il soit, a rétabli l'islam à La Mecque.
« Le remède qui a soigné le malade mérite d'être maintenu après la guérison », c'est le raccourci que prône le wahhabisme. Empotés par le trop d'argent, incapable de penser l'avenir, il magnifie le passé, les premiers temps de l'islam. Dans Désamorcer l'islam radical, Dounia Bouzar montre pourquoi et comment cette influence saoudienne s'exprime en France aujourd'hui.
Ce troisième livre que Dounia Bouzar consacre aux radicalismes est un livre abouti. En comparaison, les deux premiers font figure de maquettes, car celui-ci déboulonne nos certitudes sur ce vieux phénomène. Ce livre mérite attention pour la qualité de ses données et de ses exemples, leur authenticité aussi. La pensée de Dounia Bouzar s'est affûtée, ses conclusions ont gagné en pertinence, ses analyses en assurance. Pour ceux qui lisent pour apprendre, ce livre est à lire.
Les doutes exprimés, autrefois, sur la légitimité d'une anthropologue à traiter d'un sujet aussi complexe, à la croisée de la théologie islamique et de la sociologie moderne, sont dissipés. Le livre parle par lui-même et c'est tant mieux ! Sur Internet, quelques egos surdimensionnés, dont le halal et le hijab constituent le fonds de commerce, continueront de s'interroger. Mais le lecteur comprend vite que ce livre n'est pas un naïf exercice intellectuel. Il plonge ses racines dans le terrain, un terrain que nous avons méjugé et qui nous reste en travers de la gorge.
L'obsession de la femme et du manger halal
Dounia Bouzar ne se contente pas de spéculations théoriques ou idéologiques. En deux décennies de contact direct avec le terrain musulman, elle ne manque pas d'anecdotes. Elle entraîne son lecteur au plus près, dans des cercles professionnels, des familles françaises, en France comme à l'étranger, dans les méandres de nos banlieues et en bien d'autres lieux dont le point commun est la présence d'un(e) musulman(e) dont la pratique religieuse fait obstacle à la relation sociale.
La démonstration de l'auteure est que le radicalisme musulman est une bête identifiable aujourd'hui en France. Dans la rupture sociale, surtout familiale, elle trouve son venin qu'elle enrobe d'un discours de pureté religieuse pour l'inoculer à des victimes qui sont souvent de la « deuxième génération d'immigrés, classes populaires déstabilisées, minorités visibles, jeunes en rupture et en quête d'une cause à défendre... ».
Je me suis souvent demandé pourquoi « la femme musulmane » est une obsession pérenne des cercles radicaux musulmans. Ils se sont accaparés le sujet, l'ont copieusement pollué au point d'instaurer leurs élucubrations sexistes, moyenâgeuses, en normes islamiques non discutables. Au-delà du parfum féministe qui transpire de certaines analyses, l'auteure donne du sens à cette manie des radicaux, intarissables sur « la femme en islam » et cois sur « l'homme en islam ».
Il en va de même pour « la viande halal ». Depuis trois décennies, au mépris du bon sens, cette règle d'éthique alimentaire est un point de ralliement de nos radicaux. C'est leur étendard national. Un sixième pilier greffé à l'islam. « Tu veux pratiquer l'islam, commence par manger halal ! » Avec leurs logos, sites Internet, agences de certification... toute la panoplie du business le plus ordinaire, ils ont, de surenchère en surenchère, réussi à enlaidir le halal : ils l'ont islamisé puis radicalisé.
La démonstration de l'auteure est que le radicalisme musulman est une bête identifiable aujourd'hui en France. Dans la rupture sociale, surtout familiale, elle trouve son venin qu'elle enrobe d'un discours de pureté religieuse pour l'inoculer à des victimes qui sont souvent de la « deuxième génération d'immigrés, classes populaires déstabilisées, minorités visibles, jeunes en rupture et en quête d'une cause à défendre... ».
Je me suis souvent demandé pourquoi « la femme musulmane » est une obsession pérenne des cercles radicaux musulmans. Ils se sont accaparés le sujet, l'ont copieusement pollué au point d'instaurer leurs élucubrations sexistes, moyenâgeuses, en normes islamiques non discutables. Au-delà du parfum féministe qui transpire de certaines analyses, l'auteure donne du sens à cette manie des radicaux, intarissables sur « la femme en islam » et cois sur « l'homme en islam ».
Il en va de même pour « la viande halal ». Depuis trois décennies, au mépris du bon sens, cette règle d'éthique alimentaire est un point de ralliement de nos radicaux. C'est leur étendard national. Un sixième pilier greffé à l'islam. « Tu veux pratiquer l'islam, commence par manger halal ! » Avec leurs logos, sites Internet, agences de certification... toute la panoplie du business le plus ordinaire, ils ont, de surenchère en surenchère, réussi à enlaidir le halal : ils l'ont islamisé puis radicalisé.
Le radicalisme musulman, une bête identifiable
Y a-t-il seulement une sagesse, une philosophie derrière l'éthique du halal ? Ils s'en moquent. Seule l'escalade prévaut au point que halal est devenu synonyme d'égorger. Dans cette misère spirituelle et intellectuelle, la cupidité est la valeur qui caractérise nombre de ces acteurs du circuit du halal. Régulièrement, tels des chiffonniers, ils se déchirent. L'observateur peine à suivre. Dounia Bouzar apporte des indices intéressants pour comprendre cette frénésie autour du halal en France.
Dans sa « quête de pureté » qu'il nomme « le vrai islam », le radical que dépeint Dounia Bouzar suit une religion où la morale du ventre et du bas-ventre est magnifiée en voie d'ascension spirituelle. Parfois, « musulman radical » me semble un oxymore pour désigner un phénomène où l'islam, la religion, ne serait que le dindon d'une farce sophiste. En annexe du livre, les fiches pratiques à l'attention des travailleurs sociaux, m'ont souvent conforté dans cette idée. Désamorcer l'islam radical n'est pas seulement un livre rattrapé par l'actualité brûlante, il est aussi un livre utile qui nous murmure : ô vous, les musulmans, que faites-vous pour vos jeunes qui ont mal à l'islam ?
Dans sa « quête de pureté » qu'il nomme « le vrai islam », le radical que dépeint Dounia Bouzar suit une religion où la morale du ventre et du bas-ventre est magnifiée en voie d'ascension spirituelle. Parfois, « musulman radical » me semble un oxymore pour désigner un phénomène où l'islam, la religion, ne serait que le dindon d'une farce sophiste. En annexe du livre, les fiches pratiques à l'attention des travailleurs sociaux, m'ont souvent conforté dans cette idée. Désamorcer l'islam radical n'est pas seulement un livre rattrapé par l'actualité brûlante, il est aussi un livre utile qui nous murmure : ô vous, les musulmans, que faites-vous pour vos jeunes qui ont mal à l'islam ?
Dounia Bouzar, Désamorcer l'islam radical. Ces dérives sectaires qui défigurent l'islam, Ed. de l'Atelier, janvier 2014, 224 p., 20 €.
Du même auteur :
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