Chroniques du Ramadan

Dhikr, dou'a, salat : prier Dieu en arabe

Chroniques du Ramadan

Rédigé par | Mardi 12 Mars 2024 à 17:30



Le chemin de la fatihalogie passe par « la prière en islam ». Car s'il y a une chose que le Prophète Muhammad, Rassul, a bien réussi, c'est d'avoir formé une communauté de gens qui prient. Le musulman prie. Tous les jours et plusieurs fois par jour et plusieurs types de prières. Pour être musulman, il faut prier. Cela réfère à une prière que nous disons salat ou namaz ; la prière rituelle de l'islam.

La salat n'est pas la seule forme de prière. Nous avons le dhikr pour les prières de méditation. Il y a aussi la dou'a pour les invocations ou bénédictions. De toutes ces formes de prières, la salat semble la plus caractéristique, la plus authentique. C'est elle qu'on évoque quand on dit « faire ma prière ».

L'expression d'une communauté de foi

La salat est « la carte d'identité de la foi musulmane », disait mon Maître. N'est pas musulman celui qui ne fait pas sa salat. Celui qui la néglige est, certes, sur la voie de l'hypocrisie ; il ne trompe pas son Seigneur et ne trompe que lui-même. Tout musulman entend cent fois ce discours. Et s'il nous importe ici, c'est parce « point de salat sans sourate Fatiha », dit le Prophète.

Obligation quotidienne, la salat se fait tout au long de la vie. Ses dimensions sont multiples. Dans la fatihalogie, l'on s'intéresse précisément au rituel de la salat, conçu pour constituer une communauté mondiale ; la oumma. Pour cette raison, la salat est non seulement collective mais très codée. Et sa portée de présentation de doléances est anecdotique. Au cœur de la salat, on trouve une célébration cérémonielle d'un moment où le croyant rencontre Dieu.

Notre analyse de la salat révèle une volonté de moments réservés à l'expression d'une communauté de foi. Mais une communauté au niveau mondial. Pour cette raison et d'autres, la salat est ritualisée à l'extrême : ses conditions, ses horaires, son orientation, ses unités que sont les rakaat, sa gestuelle, etc. Et, bien naturellement, les paroles de la salat dont la Fatiha est la sourate obligée.

Prier Dieu en arabe sans réciter le Coran, une prière mais pas une salat

« Fatiha » signifie ouverture, Celle qui ouvre. Ce mot n'apparaît pas dans la sourate elle-même. Elle porte ce nom parce qu'elle ouvre le Coran dont elle est la première des 114 sourates. Mais la Fatiha porte ce nom aussi et surtout parce qu'elle ouvre chaque rakaat de chaque salat. Dans la structure rigoureuse de son rituel, la salat exige que toutes ses paroles récitées soient coraniques. C'est ainsi que la Fatiha est récitée en arabe coranique durant la salat.

Une polémique existe sur la salat en arabe. Des communautés veulent faire la salat dans leurs langues. La situation n'est pas nouvelle, elle s’est présentée au Prophète de l'islam lorsque les premiers Perses du Yémen se convertirent à l'islam. Ils étaient enthousiastes pour faire la salat mais il fallait réciter la Fatiha en arabe qu'ils ne comprenaient pas.

Pour l'occasion, le Prophète leur permis de faire la salat avec la traduction de la Fatiha en perse le temps qu'ils l'apprennent dans la langue du Coran. Salman al-Farsi, compagnon du Prophète, a fait la traduction de la Fatiha en langue perse, avec l'accord du Prophète de l'islam. Une fois qu'ils eurent appris les mots de la Fatiha dans sa langue coranique, ils rejoignirent le rituel canonique.

En théorie, l'intention de prier dans sa langue maternelle est louable car Dieu comprend toutes les langues. Mais en pratique, la salat étant une pratique de nature rituelle, sa conformité réside dans le strict respect du rituel. Dans cet esprit, la Fatiha en langue arabe fait partie de ce rituel autant que l'orientation vers la Qibla à La Mecque, l'ordre d'exécution des mouvements gestuels, etc. Le Coran est saint comme parole de Dieu, il est stable comme repère communautaire. Sa traduction n'a plus cette sainteté, car elle est un travail humain dont la qualité est variable d'un traducteur à l'autre.

Il existe une dimension d'harmonie communautariste à ce rituel de la salat en langue arabe. Car, il apparaît, dès les débuts de l'islam, une vision mondiale de sa communauté. On la voit ici quand le Prophète exige que la salat soit faite dans la même langue, quelle que soit la communauté. On la voit aussi avec l'instauration du calendrier lunaire et l'abolition de l'intercalation du mois de Sifr, dès que La Mecque est passé sous le contrôle de Rassul. Ce fut la fin d'un privilège arabe sur l'islam en faveur des intentions internationales.

Prier Dieu en arabe sans réciter le Coran, cela reste une prière mais pas une salat. On parle de dou'a, une prière de bénédiction ou une prière de doléance. La salat, par contre, a deux aspects essentiels qui caractérisent ce type de prière. D'une part, elle est rituelle ; d'autre part, elle est collective. Ces deux dimensions prêtent à lui donner un rôle social constitutif de la communauté musulmane.

Le non-dit autour de la place de la langue arabe en islam

C'est ainsi que toute communauté musulmane s'active pour construire une mosquée, lieu privilégié de la salat. Le rituel fixe la norme formelle et le collectif permet la norme sociabilité. À l'heure de la salat, d'une communauté à l'autre, un musulman retrouve ses repères sans conflit culturel car les paroles, la gestuelle et toute la symbolique de ce moment de rencontre sont fixées à l'international.

On cite l'imam Abu Hanifa (699 - 767) comme un juriste favorable à la salat dans une langue autre que la langue arabe. Selon le Professeur Hamidullah, il s'agit d'une demi-vérité. Car « Abu Hanifa, bien qu'il ait eu cette opinion au début, y renonça par la suite, et se rallia à l'opinion des autres. Fait qui est mentionné expressément dans les manuels d'autorité sur le droit hanafite, tels que le "Hidayâ d'al-Marghînânî, l'ad-Durr al-makhtâr d'al-Haskafi", entre autres ».

Connaître la Fatiha dans son expression coranique, arabe, est indispensable au musulman. Quand on ne connaît pas l'arabe, on peut l'apprendre à l'oreille, ce que font plus de 80 % des musulmans à travers le monde. Dans la polémique que nous brossons rapidement, le non-dit est la place de la langue arabe en islam. On peut éviter ce sujet, on peut en parler. Je veux en parler brièvement car il est pernicieux quand il est mal posé, alors que le sujet est vieux et qu'il mérite de ne plus exister en ce XXIe siècle où les machines traduisent des textes d'une langue à l'autre.

Ce problème de la Fatiha en langue arabe me semble plus global parce qu'il interroge sur ce qu'on nomme « orthopraxie islamique », à savoir le souci général qu'on a de la précision et de rectitude dans l'exécution du rituel. Un souci qui s'étend à la justesse dans la prononciation des expressions et des mots coraniques. Ce sera l'objet de notre prochaine fatihalogie inchaAllah. Que Dieu nous guide tous. Qu'il accepte notre jeûne, nous éloigne des turpitudes pour nous offrir de la paix. Bonne journée de jeûne !

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Diplômé d'histoire et anthropologie, Amara Bamba est enseignant de mathématiques. Passionné de… En savoir plus sur cet auteur