La réussite d’un label indépendant comme Din records est chose rare. Elle prouve cependant que si on se prend en mains avec des objectifs clairs, les ambitions sont au rendez-vous.
Une affaire d’amis d’enfance du quartier
L’histoire de Din records est l’histoire de Sals’a et Proof, deux amis d’enfance du quartier Mont-Gaillard, au Havre. Deux compères unis par la foi, unis par la musique et le goût de l’écriture. En 1997 ils fondent leur groupe : Ness & Cité. Mais les maisons de disques sont à Paris. Un frein pour sortir un album. Débrouillards, ils s’associent à Brice, un ami havrais, et décident de monter un label sous forme d’association. Ils reçoivent alors quelques subventions qui leur permettent de sortir leurs premiers disques. Din records est né. « Ce qui nous relie au sein du label c’est la religion. C’est ce qui nous cimente, c’est notre garde-fou. C’est beaucoup plus facile avec des gens qui ont les mêmes objectifs que toi ».
En 1998, ils sortent un maxi (4 titres) Ness & Cité « Haine story » en totale indépendance avec Brice comme manager. L'album récolte un succès d’estime et place le Havre sur la carte du rap. La famille Din records s’agrandit avec l’arrivée d’artistes havrais, essentiellement des proches : le binôme Bouchées doubles, composée d’Ibrah (frère de Proof) et de Pad, de Samb (frère de Sals’a) et de Koto, d'Aboubak’r, de Médine et d'Enarce des Mureaux. Ces artistes forment le collectif La Boussole. « La Boussole, car nous sommes tous orientés dans la même direction malgré nos personnalités différentes. Malgré nos différents styles le mot d’ordre c’est rap conscient. On est là pour faire passer un message. Il y a des jeunes qui nous écoutent, ce message là il faut le passer au mieux pour nous améliorer nous-même et ainsi essayer d’améliorer l’image que les autres ont des jeunes des quartiers ou des musulmans ». La boussole aussi parce que « leur arme de destruction massive c’est la prière ».
Suivront deux albums de Ness & Cité (« Ghetto moudjahidine » et « Havre de guerre »), deux albums du collectif La Boussole (« On fait comme on a dit » et « Rappel »), un album de Bouchées Doubles (« Matière grise ») et le passionnant album de Médine « 11septembre ». « C’est tout simplement ma vision du 11 septembre, la vision d’un jeune issu de l’immigration, musulman pratiquant et citoyen français », raconte Médine. « Aujourd’hui c’est un statut lourd à porter. J’ai été plus ou moins frustré par tout ce qu’on a entendu pendant trois ans sur cet événement, tout ce qu’on a ressenti comme stigmatisation comme vulgarisation autour de la communauté musulmane. Cet album c’est un peu toute la frustration que tous les musulmans ont pu ressentir par rapport à ce dont on est taxé : on est taxé d’intégristes, terroristes Benladenistes et tous les « -istes » de la terre. C’est un peu mon propre bilan. »
En mai 2002, pour mettre en place une grosse promo autour de ses artistes, l’association Din records devient une SARL. Avec les trois associés ( Proof, Brice et Sals’a) et tous les artistes de la Boussole. Face à l’engouement du public, normand essentiellement, ils développent des ateliers d’écriture, créent leur marque et vendent quantité de produits dérivés comme des sweats, T-shirts, casquettes… « On fait vraiment tout pour essayer de grappiller de l’argent à gauche, à droite pour promouvoir les albums. On veut montrer qu’on peut arriver à vivre du rap quand on est vraiment bien organisé même en étant en province, loin des grandes infrastructures parisiennes ».
Une organisation au couteau suisse
Organisation : c’est leur leitmotiv. L’esprit d’équipe transparaît même au contact des membres du label. Ils mettent tous la main à la pâte pour faire fonctionner la SARL. Ibrah est chargé de l’infographie. Pad fait le coursier pour distribuer les colis. Enarce est responsable de la distribution. Aboubakr s’occupe de la vente des produits dérivés et Samb et Koto s’occupent de la sape. Sals’a lui s’occupe de la coordination générale. « C’est le Monsieur Couteau suisse ». Proof est la pièce maîtresse musicale en charge de tout ce qui touche au son. Brice est le manager des artistes de la Boussole.
Cette organisation est la clé de la réussite du groupe. Mais elle n’est pas simple à obtenir. « Le prix de l’indépendance », dvd sorti fin 2004 montre les coulisses de cette organisation. « On a sorti ce dvd pour montrer aux gens comment on s’est structuré, que ça a été long et difficile. Au Havre, on nous voit comme des stars. Parce qu’on brille un petit peu, tout le monde a le regard fixé sur nous. Mais en réalité on galère encore aujourd’hui. L’indépendance, c’est soit ça tourne soit tu coules, faut que tu produises. Beaucoup de personnes nous reprochent d’avoir le monopole au Havre, mais on est parti de rien. Ils n’ont qu’à faire comme nous : se bouger et avancer. Nous devancer même s’il le faut, le gâteau est assez grand, tout le monde peut manger. Les gens croient qu’on rigole, qu’on fait de la batterie dans un garage. Moi demain si je ne sors pas d’album je ne mange pas, je ne peux plus payer le loyer. Mais bon quoi que tu fasses il y aura toujours des gens qui viendront te trouver des problèmes. C’est ce qui se passe pour Din records. Quand tu brilles un petit peu ça attire tous les regards et tous les regards ne sont pas bons, car certains te regardent avec le mauvais œil ».
Lire un livre ou marquer des buts
L’actualité Din records c’est la sortie du troisième album de La Boussole : « Le savoir est une arme ». Un rappel qui traverse le paysage rapologique français en lui donnant une conscience dans la pureté de l’attitude, la violence du débit et la maturité du propos. L’album aborde des thèmes qui tournent autour du savoir. « Dans cet album on a essayé tout simplement de faire comprendre que lorsqu’on a le savoir on détient une arme. Il faut connaître ses forces et ses faiblesses, être au courant de son histoire… Quelqu’un de fort c’est quelqu’un qui sait beaucoup de choses et qui sait les utiliser. On est à une époque où on délaisse les livres car on préfère marquer des buts ». Cet album s’adresse aussi bien « aux miskines des continents qu’on éventre », qu’à ceux qui nous diabolisent et « qui prennent un cas extrême pour généraliser ». Mais ils nous préviennent « On ne fait pas de prosélytisme, on ne met pas notre appartenance religieuse au premier plan dans nos textes, d’ailleurs on ne parle pas que d’Islam. Mais comment ne pas parler d’un truc que l’on pratique au moins cinq fois par jour. C’est notre quotidien ».
Le rap est un moyen de faire passer un message « C’est le son qui nous suit et pas l’inverse » nous disent-ils dans l’album. Un certain rap parle souvent de sexe, d’alcool et de drogue. La drogue des artistes de Din Records est la foi. C’est comme un plus qui les lie entre eux, un lien qui se prolonge au-delà de la musique : « Le monde de la musique est spécial car si tu n’es pas guidé ou bien entouré tu peux vite prendre la grosse tête et partir en vrille. C’est pourquoi nous faisons du rap conscient. Après, au niveau du message, nous n’avons pas forcément besoin de dire que nous sommes musulmans tant que ce que nous voulons dire passe ».
Prochaines sorties de Din Records : un album de Samb, un deuxième de Médine, et une nouvelle version de « Bouchées doubles ».