Le Premier ministre israélien a félicité les soldats qui ont tué le Dr. Abdel Aziz Rantisi. Les chefs d’Etats et de gouvernements du monde entier ainsi que les chefs religieux dont le pape Jean Paul II ont condamné cet assassinat. En dehors de l’exécutif américain qui garde un silence habituel et approbateur, l’attaque est unanimement considérée comme une agression d’Israël contraire à la paix au Proche Orient et au droit international.
De la pédiatrie à la politique
Abdel Aziz Rantisi est né en 1947 dans le village de Yibna aujourd’hui en territoires israéliens. Au moment de la création de l’Etat d’Israël en 1948, sa famille se réfugie à Khan Younès. Après ses études secondaires, il se rendra à l’Université Alexandrie (Egypte) pour suivre des études de médecine et devenir pédiatre. Il entre alors en contact avec le mouvement des Frères musulmans dont il s’inscrit dans la ligne de pensée. Il prend part à la fondation du mouvement Al-Moujammaa al-Islami au côté du Cheikh Yassine en 1973. Al Moujammaa est un mouvement caritatif impliqué dans des actions d’éducation, de santé au travers d’un réseau d’écoles, de dispensaires et de clubs sportifs. Au terme de ses études, le Dr Rantisi s’installe à Khan Younès. En plus de son travail de pédiatre à l’hôpital de la ville, il occupe des fonctions d’enseignement à l’Université islamique de Gaza sous occupation israélienne. Son opposition à l’occupation (par le refus de payer des taxes à l’occupant) lui vaudra les représailles habituelles de l’occupant notamment l’interdiction de pratiquer son métier à l’hôpital de Khan Younès et quelques emprisonnements qui contribueront certainement à modifier son analyse de la situation d’occupation et des conditions de libération de son pays.
A l’école du prophète Joseph
Dans la Bible comme dans le Coran, la mission du prophète Joseph passe par un séjour en prison. Dans le langage des militants Musulmans confrontés à des pouvoirs répressifs, « l’école du prophète Joseph » est la geôle d’où le militant sort à jamais aguerri dans sa lutte. Avec le Cheikh Ahmed Yassine, le Dr Rantisi participera à la création du Hamas en 1987. Ce mouvement qui fait son apparition officielle au lendemain de la première intifada affiche non seulement son engagement politique mais son encrage clairement islamique. Ce qui lui attirera une certaine bienveillance des forces occupantes ravies de favoriser l’émergence d’un mouvement palestinien non nationaliste, capable de s’opposer à l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) au discours plutôt nationaliste. Mais la bienveillance israélienne sera de courte durée : le Hamas se montre plutôt structuré, très proche des populations et surtout décidé à exiger la libération de la Palestine. Ses leaders seront alors recherchés et jetés en prison sous divers prétextes. C’est ainsi qu’à l’arrestation du Cheikh Yassine en 1989, Abdel Aziz Rantisi assurera l’intérim de la direction du mouvement. Pour cette raison, il sera arrêté à son tour et « déporté » au Liban en 1992.
La déportation de militants Palestiniens fut une des pratiques courantes des autorités militaires israéliennes. Les nombreuses victimes sont généralement des intellectuels, des dirigeants associatifs ou politiques. Suivant certains schémas, l’enlèvement se déroule tard dans la nuit : des éléments armés encerclent un domicile, neutralisent femmes et enfants, enfilent une cagoule à la victime et l’emmènent pour de longues heures, en voiture, vers une destination inconnue. Généralement, ils les relâchent, toujours en pleine nuit, menottes aux poignets, cagoule sur la tête, dans un des déserts de pierres avec pour consigne de marcher toujours droit sans jamais se retourner. Les uns se retrouvaient ainsi au Liban voisin, les autres en Jordanie…
Durant ce séjour forcé au Liban, le Dr Rantisi devient le porte-parole des déportés. A la faveur des accords d’Oslo, lorsqu’il rentre en Palestine en décembre 1993, il sera arrêté et jeté dans les prisons israéliennes jusqu’en 1997 (le Hamas était opposé aux accords d’Oslo). A sa libération, il rentre en Palestine où il affiche des positions contraires aux thèses de l’Autorité palestiniennes. Il sera de nouveau mis en prison mais, cette fois-ci, dans les prisons palestiniennes. Il y passera une bonne vingtaine de mois. Sans procès. Libéré une première fois, il sera de nouveau arrêté par la police palestinienne pour avoir qualifié la participation palestinienne au sommet de Camp David de « trahison ». En juillet 2000, après cinq mois de prison, il sera à nouveau libéré.
En attendant le martyr
Le 10 juin 2003, la voiture de M. Rantisi sera la cible de cinq tirs de roquettes. 25 Palestiniens seront blessées. Trois seront tués dont une femme et une fillette qui se promenait à vélo. Comme un miraculé, M. Rantisi s’en tirera avec de légères blessures. Après un silence gêné sur cette opération ratée, l’armée israélienne reconnaîtra avoir tenté d’assassiner le leader du Hamas. Transporté à l’hôpital, il déclarera de son lit d’hôpital : « Nous les combattrons avec tous les moyens dont nous disposons. Cette terre est la nôtre elle n’est pas la terre des juifs. » Sachant sa vie menacée, il vivait désormais dans la clandestinité. Il savait la place de choix qui était la sienne sur la liste de l’armée israélienne depuis la reprise des assassinats en série des opposants au régime de Tel Aviv. Au contraire du Cheikh Yassine favorable à une trêve de vingt ans avec Israël en échange d’un retrait de ses troupes de Gaza, Abdel Aziz Rantisi exigeait le retrait pur et simple des troupes israéliennes des terres palestiniennes.
Deux mois plus tard, le 21 août 2003, Ismaël Abu Chanab porte-parole du Hamas sera la cible d’une attaque israélienne à la roquette. Il y perdra la vie ainsi que ses deux gardes de corps. 14 autres personnes seront blessées dont quatre très grièvement. M. Rantisi devient alors le porte-parole du mouvement dans la bande de Gaza. Puis, après l’assassinat du Cheikh Yassine le 22 mars dernier, il en devient le responsable dans la Bande de Gaza. La direction revenant à Khaled Mechaal vivant actuellement en Syrie.
Trois jours durant, le Dr. Rantisi renoncera à la clandestinité pour honorer le deuil du Cheikh Yassine en compagnie des siens. Avant de replonger dans la clandestinité, il se permettra le loisir d’accorder quelques interviews. A un journaliste occidental qui l’interrogeait sur la volonté d’Israël de tuer les dirigeants palestiniens, il répond : «Je n'ai pas peur ! Pourquoi aurais-je peur ? Chez nous, les Musulmans, mourir en martyr est un honneur ! C’est Dieu qui décidera du moment où je quitterai ce monde. Ce n’est pas Sharon». Dans le même temps, en parlant de la « question de réfugiés », il disait avec espoir : « il ne peut pas y avoir de paix tant que les réfugiés palestiniens ne peuvent rentrer chez eux. Ma maison est toujours debout à Yibna. Je compte bien y revenir».
Ce dimanche 18 avril, une foule de 200 000 sympathisants a participé à l’enterrement du dirigeant politique palestinien. Un martyr palestinien de plus. Quelques « héros » de plus dans les troupes d’Israël. Et la guerre continue. En attendant la prochaine victime : Khaled Mechaal ? ou peut-être Yasser Arafat ? L’usine à martyrs est toujours ouverte.
Les vigoureuses condamnations des Nations unies, de l’Union européenne et des nombreux dirigeants politiques de ce monde ne suffiront pas à arrêter l’escalade. Car depuis longtemps, le gouvernement de M. Sharon a prouvé le peu de considération qu’il accordait à l’image d’Israël sur le plan international. Certainement, faut-il entendre Lehila Shaïd, Déléguée Générale de la Palestine en France, lorsqu’elle recommande qu’« il faut aider Israël a devenir un pays normal ». Un pays qui respecte le droit international. Ce droit auquel il doit justement la légitimité de son existence.