J’ai participé la semaine dernière à un débat intéressant, à l’université de Cambridge (Royaume-Uni), avec notamment le Pr Richard Dawkins, biologiste évolutionniste athée, et le Dr Ronald William, ancien Archbishop de Canterbury. La question était relative à l’incompatibilité des religions avec les sociétés modernes et les défis du XXIe siècle.
Pr Dawkins et son camp défendaient l’idée que les religions étaient plus néfastes qu’utiles et qu’elles étaient "le mal" en maintenant la thèse d’un Créateur de l’Univers qui, au demeurant, n'est qu’une (mauvaise) opinion, une aberration, ne reposant sur aucune preuve. Le propos était tranchant, dur, un brin dogmatique : les religions sont dangereuses et on doit s’engager contre leurs affabulations tout en espérant leur disparition. Étrange conclusion d’une posture qui se présente comme rationaliste et humaniste : éliminer "l’adversaire", espérer son anéantissement au nom des vérités "scientifiques" qui sont seules vraies et qui seules méritent le respect.
Le dogmatisme, on le voit, peut autant être l’enfant du rationalisme que celui des religions.
(Regarder la vidéo du débat ici)
Pr Dawkins et son camp défendaient l’idée que les religions étaient plus néfastes qu’utiles et qu’elles étaient "le mal" en maintenant la thèse d’un Créateur de l’Univers qui, au demeurant, n'est qu’une (mauvaise) opinion, une aberration, ne reposant sur aucune preuve. Le propos était tranchant, dur, un brin dogmatique : les religions sont dangereuses et on doit s’engager contre leurs affabulations tout en espérant leur disparition. Étrange conclusion d’une posture qui se présente comme rationaliste et humaniste : éliminer "l’adversaire", espérer son anéantissement au nom des vérités "scientifiques" qui sont seules vraies et qui seules méritent le respect.
Le dogmatisme, on le voit, peut autant être l’enfant du rationalisme que celui des religions.
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Les religions, une nécessité de l’Histoire et de l’avenir
Encore faudrait-il commencer par le commencement. La "vérité" que serait la non-existence du Créateur n’est autre qu’un postulat qui ne peut se prévaloir d’aucune preuve, comme le reconnait Dawkins et tant de philosophes et scientifiques avant lui. C’est donc une "opinion", une "croyance", le produit d’une "foi", au même titre que la thèse opposée. Le rationalisme athée ne peut s’arroger le monopole de l’expression scientifique pour la simple et bonne raison que son propos sur Dieu n’est pas "scientifique", ne s’appuie sur aucune preuve et se construit au gré d’hypothèses et de probabilités.
Ce qui demeure troublant, c’est l’attitude et la tournure intellectuelle, quasi religieuse, des partisans de la mort des religions : si ces dernières refusent le paradis à leurs opposants ou aux "infidèles", on constate que les premiers espèrent de la même façon l’élimination de ces "dangereux" croyants, "puérils" et "illuminés". Il apparaît pourtant que la seule attitude humaniste − entre deux thèses dont aucune ne peut apporter la preuve rationnelle définitive de son bien-fondé − serait non seulement d’engager le débat mais également de le souhaiter par souci de bonne santé intellectuelle mutuelle : car enfin, dans tous les cas, on apprend avec ces débats à entretenir l’autocritique et l’humilité intellectuelle.
Le XXIe siècle et les athées ont besoin de la présence des religions, comme ces dernières ont besoin des défis actuels et des contempteurs de leur époque pour élever la conscience et l’intelligence de celles et de ceux qui lisent les textes sacrés atemporels et veulent répondre aux questions de leur temps. A Cambridge, lors du vote, l’impressionnante audience a donné tort à Dawkins et à son camp : plus d’un millier d’étudiants et de participants ont estimé, à une très large majorité, que les religions demeuraient une nécessité de l’Histoire et de l’avenir.
Ce qui demeure troublant, c’est l’attitude et la tournure intellectuelle, quasi religieuse, des partisans de la mort des religions : si ces dernières refusent le paradis à leurs opposants ou aux "infidèles", on constate que les premiers espèrent de la même façon l’élimination de ces "dangereux" croyants, "puérils" et "illuminés". Il apparaît pourtant que la seule attitude humaniste − entre deux thèses dont aucune ne peut apporter la preuve rationnelle définitive de son bien-fondé − serait non seulement d’engager le débat mais également de le souhaiter par souci de bonne santé intellectuelle mutuelle : car enfin, dans tous les cas, on apprend avec ces débats à entretenir l’autocritique et l’humilité intellectuelle.
Le XXIe siècle et les athées ont besoin de la présence des religions, comme ces dernières ont besoin des défis actuels et des contempteurs de leur époque pour élever la conscience et l’intelligence de celles et de ceux qui lisent les textes sacrés atemporels et veulent répondre aux questions de leur temps. A Cambridge, lors du vote, l’impressionnante audience a donné tort à Dawkins et à son camp : plus d’un millier d’étudiants et de participants ont estimé, à une très large majorité, que les religions demeuraient une nécessité de l’Histoire et de l’avenir.
Un nouveau type d’inquisition intellectuelle
Au-delà de cette question, le malaise est néanmoins profond et révélateur. À l’époque contemporaine, les religions ont certes le droit au chapitre dans la société civile, mais ce désormais presque uniquement quand il est question des interrogations problématiques qui naissent de l’époque ou que formulent les progressistes agnostiques ou athées. Les religions sont sommées de répondre aux questions récurrentes liées à la science, à l’évolution, au statut des femmes, de l’homosexualité, etc.
Ces questions sont importantes et la conscience religieuse contemporaine doit les aborder et prendre des positions au cœur de ces débats. Il reste que la présence du religieux se traduit en termes polémiques, avec une posture défensive, perpétuellement en quête de justifications. Le rapport historique de pouvoir s’est clairement inversé et on assiste parfois à une sorte d’imposition unilatérale des normes de la pensée progressiste athée ou agnostique : la pression est forte et, dans certains débats, on n’est pas loin d’un nouveau type d’inquisition intellectuelle. Difficile, dans ces circonstances, de mettre en avant les multiples contributions des religions à l’édification de l’Homme dans l’Histoire. L’époque moderne ressemble souvent à une sorte de Tribunal "scientifique", "progressiste", "rationnel" (et irrationnel) de toutes ces religions à "l’archaïsme résistant".
En Occident, la nouvelle visibilité des citoyens et résidents musulmans a fait de l’islam une cible de choix, en ce sens. Des millions de musulmans − dont les mosquées, la tenue vestimentaire et les pratiques religieuses sont visibles − interpellent leurs concitoyens, les intellectuels et les politiques : un temps passé semble revenir avec le retour du religieux que certains pensaient avoir dépassé.
Les musulmans sont de fait soumis à la même perpétuelle pression sur le bien-fondé de leur croyance, leurs pratiques et leurs positions sur la "shari’a", le "jihad", le terrorisme, la violence, les femmes, le foulard, l’homosexualité, etc. Leur religion et leur présence sont devenues des problèmes et ils passent la plupart de leur temps à expliquer en quoi cette perception est erronée.
La classe politique, les intellectuels, les journalistes et les citoyens en général n’accèdent pas même à cette idée que la présence de l’islam et des musulmans pourrait être d’un quelconque intérêt ou avoir un apport positif dans les sociétés occidentales. Les plus ouverts n’y voient pas de "problème" mais de là à y voir "une contribution" possible, il y a loin. Ils peuvent même inviter les musulmans à avoir une présence plus normalisée ou, en d’autres mots, moins visible à tous points de vue. Certains musulmans − peu rassurés − s’engouffrent dans la brèche de cette "ouverture" d’esprit formulée par leurs concitoyens. On en vient à ne pas même imaginer une présence positive, participative, contributive, de l’islam en Occident. Il est question d’un problème à résoudre, tout au plus.
Ces questions sont importantes et la conscience religieuse contemporaine doit les aborder et prendre des positions au cœur de ces débats. Il reste que la présence du religieux se traduit en termes polémiques, avec une posture défensive, perpétuellement en quête de justifications. Le rapport historique de pouvoir s’est clairement inversé et on assiste parfois à une sorte d’imposition unilatérale des normes de la pensée progressiste athée ou agnostique : la pression est forte et, dans certains débats, on n’est pas loin d’un nouveau type d’inquisition intellectuelle. Difficile, dans ces circonstances, de mettre en avant les multiples contributions des religions à l’édification de l’Homme dans l’Histoire. L’époque moderne ressemble souvent à une sorte de Tribunal "scientifique", "progressiste", "rationnel" (et irrationnel) de toutes ces religions à "l’archaïsme résistant".
En Occident, la nouvelle visibilité des citoyens et résidents musulmans a fait de l’islam une cible de choix, en ce sens. Des millions de musulmans − dont les mosquées, la tenue vestimentaire et les pratiques religieuses sont visibles − interpellent leurs concitoyens, les intellectuels et les politiques : un temps passé semble revenir avec le retour du religieux que certains pensaient avoir dépassé.
Les musulmans sont de fait soumis à la même perpétuelle pression sur le bien-fondé de leur croyance, leurs pratiques et leurs positions sur la "shari’a", le "jihad", le terrorisme, la violence, les femmes, le foulard, l’homosexualité, etc. Leur religion et leur présence sont devenues des problèmes et ils passent la plupart de leur temps à expliquer en quoi cette perception est erronée.
La classe politique, les intellectuels, les journalistes et les citoyens en général n’accèdent pas même à cette idée que la présence de l’islam et des musulmans pourrait être d’un quelconque intérêt ou avoir un apport positif dans les sociétés occidentales. Les plus ouverts n’y voient pas de "problème" mais de là à y voir "une contribution" possible, il y a loin. Ils peuvent même inviter les musulmans à avoir une présence plus normalisée ou, en d’autres mots, moins visible à tous points de vue. Certains musulmans − peu rassurés − s’engouffrent dans la brèche de cette "ouverture" d’esprit formulée par leurs concitoyens. On en vient à ne pas même imaginer une présence positive, participative, contributive, de l’islam en Occident. Il est question d’un problème à résoudre, tout au plus.
Les musulmans : critiques, croyants et néanmoins libres
Pourtant, la tradition musulmane, comme toutes les philosophies et les religions, appelle la conscience humaine à s’intéresser au sens de la vie, à la dignité humaine, au respect de l’intégrité des êtres à l’heure où se répandent des pratiques dangereuses, de l’eugénisme à la légalisation de la torture. La spiritualité musulmane, des écoles juridiques aux cercles mystiques (soufis), invite la conscience et le cœur des êtres à penser les termes et les conditions de la liberté de l’être, et du détachement. Elle questionne les fondements même du consumérisme et de la servitude marchande. N’y aurait-il rien à partager avec des citoyens dont la spiritualité et la pratique mettent au premier plan le sens de la responsabilité et la nécessité de devenir un sujet, un être et un adulte responsable ?
Comme les philosophies, les religions et les spiritualités, l’islam questionne les finalités que nous assignons à nos activités (politiques, économies, sciences, etc.) et à nos moyens (technologiques, militaires, etc.). Il doit s’agir non pas de convertir autrui ni d’imposer des limites aux savoirs et à la liberté, mais de poser des questions sur les fins, sur l’éthique, sur la dignité de soi, des êtres et de la Nature. Au cœur de l’islam réside un impératif de solidarité, dont notre individualisme assumé a pourtant bien besoin : le droit du pauvre participe du devoir de conscience de chacun.
Nos sociétés n’ont-elles pas besoin de réflexions de cette nature ? De débats profonds sur les fondements éthiques et les finalités ? Les religions en général et l’islam en particulier n’auraient-ils donc rien à exprimer d’autre que de sempiternelles justifications au cœur d’une guerre idéologique pernicieuse. L’Occident prendra-t-il conscience de la riche diversité qui l’habite ? Saura-t-il faire un bon usage de la présence de l’islam et des musulmans en comprenant leur rôle positif au cœur des débats philosophiques majeurs dont notre époque a besoin ? Saura-t-il se réconcilier avec ses propres valeurs relatives au pluralisme et à l’égalité ? Les musulmans sauront-ils se libérer de cette posture qui entretient une pensée victimaire de citoyens physiquement visibles, objet de la perception négative de leurs concitoyens ? Ont-ils les moyens de devenir intellectuellement, scientifiquement, artistiquement, éthiquement visibles en tant que sujets critiques, croyants et néanmoins libres.
Au confluent de ces deux séries de questions se terre l’horizon de notre avenir commun. En Occident comme à l’Orient. Tel est le destin commun des riches comme des plus pauvres, le questionnement existentiel de tous.
* Tariq Ramadan est, notamment, professeur d’études islamiques contemporaines à l’université d’Oxford (Royaume-Uni) et senior research fellow à l’université de Doshisha, à Kyoto (Japon). Il est également directeur du Centre de recherche sur la législation et l’éthique Islamiques (CILE), à Doha (Qatar). Il est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages. Dernier ouvrage paru : L’Islam et le Réveil arabe (Presses du Châtelet, 2011).
Première parution de cet article sur www.tariqramadan.com
Comme les philosophies, les religions et les spiritualités, l’islam questionne les finalités que nous assignons à nos activités (politiques, économies, sciences, etc.) et à nos moyens (technologiques, militaires, etc.). Il doit s’agir non pas de convertir autrui ni d’imposer des limites aux savoirs et à la liberté, mais de poser des questions sur les fins, sur l’éthique, sur la dignité de soi, des êtres et de la Nature. Au cœur de l’islam réside un impératif de solidarité, dont notre individualisme assumé a pourtant bien besoin : le droit du pauvre participe du devoir de conscience de chacun.
Nos sociétés n’ont-elles pas besoin de réflexions de cette nature ? De débats profonds sur les fondements éthiques et les finalités ? Les religions en général et l’islam en particulier n’auraient-ils donc rien à exprimer d’autre que de sempiternelles justifications au cœur d’une guerre idéologique pernicieuse. L’Occident prendra-t-il conscience de la riche diversité qui l’habite ? Saura-t-il faire un bon usage de la présence de l’islam et des musulmans en comprenant leur rôle positif au cœur des débats philosophiques majeurs dont notre époque a besoin ? Saura-t-il se réconcilier avec ses propres valeurs relatives au pluralisme et à l’égalité ? Les musulmans sauront-ils se libérer de cette posture qui entretient une pensée victimaire de citoyens physiquement visibles, objet de la perception négative de leurs concitoyens ? Ont-ils les moyens de devenir intellectuellement, scientifiquement, artistiquement, éthiquement visibles en tant que sujets critiques, croyants et néanmoins libres.
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