Quelles sont les limites du sacré et celles du profane ? Peut-on limiter la liberté d’expression au nom du respect du sacré ? « The Black Arch », œuvre de Raja et Shadia Alem (2011), acier inoxydable, fonte, tissu, pierre, photographies projetées et son. Symbolisant les rites du hajj, cette œuvre a été présentée pour la première fois à la biennale de Venise en 2011 puis à l’exposition « Hajj », à l’Institut du monde arabe, en 2014. Les boules métallisées symbolisent le tawaf de milliers de pèlerins tous semblables ; les cailloux de la lapidation sont accueillis au creux de la forme cubique symbolisant la Ka’ba. (Photo : © Saphirnews)
Dans sa livraison du 29 juillet 2015, Saphirnews a publié sous la plume de Mohamed Bechari, une tribune qui soulève la question de la liberté d’expression en rapport avec le respect des religions. L’auteur en conclut à la nécessité de protéger, par la loi, celles-ci.
Le problème se pose en réalité en termes de la légitimité ou non d’une extension à l’infini des droits humains individuels par rapport à leur conception commune qui devient communautaire. Plus particulièrement et en l’espèce, une religion, une culture, une pensée, une idéologie, la foi de l’homme en une figure emblématique, en une personnalité sanctifiée et sacralisée par Dieu, par l’homme ou par les deux, relèvent-elles ou non de ce cercle que constitue la dignité humaine et que tout le monde s’accorde, du moins en principe, à lui accorder la plus grande et la plus complète immunité contre les tendances de l’affectivité de l’homme lui-même ?
La question, à mon avis, se pose de la manière suivante : l’individu existe-t-il de manière intrinsèque, en tant qu’être humain, indépendamment de ses acquis, religion, culture, identité, pensée, etc., ou ses acquis sont-ils consubstantiels à son être ? En répondant à cette question nous pourrions envisager dans quel cadre ou quelles limites nous pourrions situer la liberté d’expression.
Si l’homme dans son essence, considéré dans sa simple conscience, dénué de tout apport personnel ou extérieur, est privilégié, il en résultera que ses attributs acquis par soi-même ou par computation ou communication et échanges, ne relèvent pas de la vérité absolue de son existence et donc de sa dignité et de ce que celle-ci nécessite comme respect dans son intégrité et son intégralité. Ses attributs auront alors le statut de vérité relative, donc contestable, réfutable et donc ne pouvant prétendre à aucun traitement de sacralité universelle, c’est-à-dire impliquant, en tant que contraintes naturelles, respect et inviolabilité par tous.
Pour préciser mes propos, je dirais que la liberté de conscience suppose la possibilité d’adhésion, de changement, de renonciation, eu égard aux différentes croyances, avec tout cela comporte comme critique. Par conséquent, en cas d’abandon d’une croyance, les personnes, les principes, les lois, les commandements, les préceptes, les rites, les dogmes, etc., que l’on tenait pour sacrés, tomberaient automatiquement en désuétude. Ce que l’on sacralisait peut même, par ce changement d’attitude, faire l’objet de profanation et d’opposition, au nom même de cette liberté de conscience. Ainsi, l’éphémérité ou l’accidentalité de la foi est établie. L’immuabilité et l’éternité sont foncièrement incompatibles avec l’humanité de l’homme.
En définitive, le sacré ne l’est que pour celui qui y croit.
Le problème se pose en réalité en termes de la légitimité ou non d’une extension à l’infini des droits humains individuels par rapport à leur conception commune qui devient communautaire. Plus particulièrement et en l’espèce, une religion, une culture, une pensée, une idéologie, la foi de l’homme en une figure emblématique, en une personnalité sanctifiée et sacralisée par Dieu, par l’homme ou par les deux, relèvent-elles ou non de ce cercle que constitue la dignité humaine et que tout le monde s’accorde, du moins en principe, à lui accorder la plus grande et la plus complète immunité contre les tendances de l’affectivité de l’homme lui-même ?
La question, à mon avis, se pose de la manière suivante : l’individu existe-t-il de manière intrinsèque, en tant qu’être humain, indépendamment de ses acquis, religion, culture, identité, pensée, etc., ou ses acquis sont-ils consubstantiels à son être ? En répondant à cette question nous pourrions envisager dans quel cadre ou quelles limites nous pourrions situer la liberté d’expression.
Si l’homme dans son essence, considéré dans sa simple conscience, dénué de tout apport personnel ou extérieur, est privilégié, il en résultera que ses attributs acquis par soi-même ou par computation ou communication et échanges, ne relèvent pas de la vérité absolue de son existence et donc de sa dignité et de ce que celle-ci nécessite comme respect dans son intégrité et son intégralité. Ses attributs auront alors le statut de vérité relative, donc contestable, réfutable et donc ne pouvant prétendre à aucun traitement de sacralité universelle, c’est-à-dire impliquant, en tant que contraintes naturelles, respect et inviolabilité par tous.
Pour préciser mes propos, je dirais que la liberté de conscience suppose la possibilité d’adhésion, de changement, de renonciation, eu égard aux différentes croyances, avec tout cela comporte comme critique. Par conséquent, en cas d’abandon d’une croyance, les personnes, les principes, les lois, les commandements, les préceptes, les rites, les dogmes, etc., que l’on tenait pour sacrés, tomberaient automatiquement en désuétude. Ce que l’on sacralisait peut même, par ce changement d’attitude, faire l’objet de profanation et d’opposition, au nom même de cette liberté de conscience. Ainsi, l’éphémérité ou l’accidentalité de la foi est établie. L’immuabilité et l’éternité sont foncièrement incompatibles avec l’humanité de l’homme.
En définitive, le sacré ne l’est que pour celui qui y croit.
Sacré et profane sur un même pied d’égalité ?
On me rétorquera que je mets le sacré et le profane sur un pied d’égalité, ce qui est, déjà en lui-même, un manque de respect au sacré et une insulte à la personne qui y place toute sa croyance. Je me prévaudrai de la célèbre réponse du chef du clan mecquois (vers l’an 570), auquel revenait la gestion et la protection de la Ka’ba (temple) qu’il avait faite à ceux qui le critiquaient de ne pas s’armer ni de se préparer à faire face à l’envahisseur qui visait la destruction du temple sacré : « Le temple a un Dieu qui le protégera. » Autrement dit, le sacré, en tant que sacré, n’a nul besoin des services de l’homme pour le défendre ; il en est largement et même infiniment capable.
Si le Prophète était vivant, aurait-il envoyé ses vaillants cavaliers en expédition punitive contre les journalistes et responsables des journaux qui ont osé le blasphémer ? L’avait-il fait contre son oncle Abou Lahab et autres ennemis de sa mission, qui le tournaient en dérision, le traitaient de fou, de sorcier, de menteur… et qui même essayaient d’attenter à sa vie ? Bien sûr que non ! Il avait persisté dans sa foi en sa mission et s’était défendu par l’exemple, la persévérance, le courage de faire fi de toutes les intolérances et ce qu’elles charriaient comme violence, en manifestant sa conviction inébranlable dans sa mission pour la mener jusqu’au bout, jusqu’à son accomplissement final en bravant les moqueries, l’ironie, les menaces, les complots, bref tous les dangers qui s’étaient dressés contre l’achèvement de sa mission.
Si nous pourrions avoir recours à sa décision, je pense qu’il nous recommanderait la persévérance dans la foi et la voie que nous avons choisies, en suivant son exemple pour surmonter les adversités, sans se soucier outre mesure et au-delà du raisonnable de ce que pensent, disent ou font les autres. Il nous aurait conseillé d’appliquer les commandements de Dieu stipulés dans son message et qui incitent à la maîtrise de la colère, au pardon vis-à-vis des hommes.
En effet, Dieu ne nous dit-Il pas :
‒ que l’attitude de celui qui se montre patient et pardonne est la meilleure des décisions (Coran, s. 42, v. 43) ;
‒ de pratiquer le pardon, d’ordonner le bien et de s’écarter des ignorants (Coran, s. 7, v. 199) ;
‒ « Il vous a déjà été enseigné dans le Coran que, lorsque vous entendez les impies traiter de mensonge les versets de Dieu et les tourner en dérision, vous devez aussitôt quitter leur compagnie, à moins qu’ils ne changent de sujet (…) » (Coran, s. 4, v. 140). Attitude dont la contemporanéité est évidente.
Si le Prophète était vivant, aurait-il envoyé ses vaillants cavaliers en expédition punitive contre les journalistes et responsables des journaux qui ont osé le blasphémer ? L’avait-il fait contre son oncle Abou Lahab et autres ennemis de sa mission, qui le tournaient en dérision, le traitaient de fou, de sorcier, de menteur… et qui même essayaient d’attenter à sa vie ? Bien sûr que non ! Il avait persisté dans sa foi en sa mission et s’était défendu par l’exemple, la persévérance, le courage de faire fi de toutes les intolérances et ce qu’elles charriaient comme violence, en manifestant sa conviction inébranlable dans sa mission pour la mener jusqu’au bout, jusqu’à son accomplissement final en bravant les moqueries, l’ironie, les menaces, les complots, bref tous les dangers qui s’étaient dressés contre l’achèvement de sa mission.
Si nous pourrions avoir recours à sa décision, je pense qu’il nous recommanderait la persévérance dans la foi et la voie que nous avons choisies, en suivant son exemple pour surmonter les adversités, sans se soucier outre mesure et au-delà du raisonnable de ce que pensent, disent ou font les autres. Il nous aurait conseillé d’appliquer les commandements de Dieu stipulés dans son message et qui incitent à la maîtrise de la colère, au pardon vis-à-vis des hommes.
En effet, Dieu ne nous dit-Il pas :
‒ que l’attitude de celui qui se montre patient et pardonne est la meilleure des décisions (Coran, s. 42, v. 43) ;
‒ de pratiquer le pardon, d’ordonner le bien et de s’écarter des ignorants (Coran, s. 7, v. 199) ;
‒ « Il vous a déjà été enseigné dans le Coran que, lorsque vous entendez les impies traiter de mensonge les versets de Dieu et les tourner en dérision, vous devez aussitôt quitter leur compagnie, à moins qu’ils ne changent de sujet (…) » (Coran, s. 4, v. 140). Attitude dont la contemporanéité est évidente.
Des valeurs universelles
À notre époque, dans le contexte précis (français) dans lequel nous vivons et qui est marqué par une libéralisation de plus en plus étendue des mœurs et une extension des libertés individuelles, nous ne pouvons nous permettre de demander aux autres d’observer une conduite à la mesure de notre conception de la morale, développée à partir de principes qui favorisent plus le groupe et ses symboles par rapport à l’individu. L’exiger, c’est tomber dans la tyrannie. Il n’y a que les tyrans qui se font respecter à coups de lois.
Notre respect, nous devons le gagner par le mérite de ce que nous offrons comme valeurs universelles. Le convaincu de la justesse de ses principes ne se formalise pas d’une caricature, d’un trait d’humour, d’une ironie, à ses dépens. Il se doit d’attribuer un tel comportement à la diversité nécessaire dans la vie en société, à la démocratie.
Pour le sage, même s’il réprouve qu’on tourne en dérision ses valeurs sacrées, qu’on se moque de ses sentiments religieux, qu’il place au-dessus de sa propre dignité, il n’en demeure pas moins qu’il se voit obligé de s’en remettre aux commandements de cette même religion qui prône le pardon, la tolérance et au moins l’indifférence face à l’ironie ou à la dérision dont sa foi fait l’objet. J’allais dire que même le blasphème ne doit pas l’émouvoir au point de riposter par la violence, fût-elle légale.
****
Ahmed Abdouni, ancien diplomate marocain.
Notre respect, nous devons le gagner par le mérite de ce que nous offrons comme valeurs universelles. Le convaincu de la justesse de ses principes ne se formalise pas d’une caricature, d’un trait d’humour, d’une ironie, à ses dépens. Il se doit d’attribuer un tel comportement à la diversité nécessaire dans la vie en société, à la démocratie.
Pour le sage, même s’il réprouve qu’on tourne en dérision ses valeurs sacrées, qu’on se moque de ses sentiments religieux, qu’il place au-dessus de sa propre dignité, il n’en demeure pas moins qu’il se voit obligé de s’en remettre aux commandements de cette même religion qui prône le pardon, la tolérance et au moins l’indifférence face à l’ironie ou à la dérision dont sa foi fait l’objet. J’allais dire que même le blasphème ne doit pas l’émouvoir au point de riposter par la violence, fût-elle légale.
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