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En Amérique latine, l’intégration tranquille des musulmans d’Argentine

Rédigé par Lucie Touzi | Lundi 27 Juillet 2020 à 11:30

L’islam est une religion très peu présente en Amérique latine mais le nombre d’adeptes à cette religion progresse ces dernières années. En Argentine, les musulmans constituent moins de 2 % de la population mais forment une importante minorité musulmane dans le continent sud-américain. Qu’en est-il de leur intégration ? Deux musulmans, installés à Córdoba, l’une des plus grandes villes argentines, racontent leurs singulières expériences.



Avec 800 000 adeptes de l'islam, l'Argentine compte une importante minorité musulmane en Amérique latine. Ici, la mosquée de Córdoba où officie l'imam Salih Yesilyurt. © DR
En Amérique Latine, comme dans diverses régions du monde, la société est structurée sur les bases d’une religion historiquement ancrée. De ce côté de l’Océan Atlantique, le catholicisme est largement majoritaire, bien que d’autres religions et croyances gagnent aujourd'hui du terrain chaque année.

C'est au XIXe siècle que les premiers immigrés, venus en grande partie de la Syrie et du Liban, se sont installés en Argentine. Sur les 3,5 millions d’Argentins d’ascendance arabe, la plupart sont chrétiens. L’islam forme à ce jour une religion très minoritaire (moins de 2 % de la population) mais ses 800 000 adeptes, selon les estimations du Centre de recherche Pew en 2010, constituent la minorité musulmane la plus importante d'Amérique latine.*

Ni Libanais, ni Syrien, Salih Yesilyurt a décidé de déposer ses valises dans le quartier de Cofico, proche du centre-ville de Córdoba. Il nous raconte son histoire en tant qu'immigré turc, musulman et imam en Argentine.

« Entre 2008 et 2012, j’ai étudié la théologie en Egypte. Une fois ma formation terminée, on m'a invité en Argentine pour donner des cours d’arabe et de programmes religieux. En 2009, je suis arrivé à Buenos Aires », narre-t-il, expliquant aussi avoir été contacté pour reprendre les rênes d'une mosquée fermée depuis trois ans. C’est en avril 2014 qu’il débarque avec sa famille à Cordoba. Il avait alors 33 ans.


S’adapter à une nouvelle culture

Salih Yesilyurt, imam à Córdoba.
Comme toute personne quittant son pays, le changement culturel est fort et l'adaptation se fait progressivement. « C'est toujours compliqué au début. Ce n'est pas tant le fait de s'habituer au lieu, mais plutôt à la culture », confie-t-il.

L'Argentine est aux antipodes du sien, la Turquie. Il a dû être patient avant de trouver enfin sa place. « Il m'a fallu deux à trois semaines avant de me sentir bien et de commencer à entrer en contact avec la population. Pour ma femme (qui porte le voile, ndlr), l'adaptation a été plus longue à cause des regards qui la rendaient mal à l'aise », raconte-t-il, avec sourire et optimisme.

« Parfois, alors que nous marchions dans la rue avec mon épouse, des personnes nous arrêtaient et nous interrogeaient pour connaître nos origines et les raisons de notre venue en Argentine. Nous prenions le temps d'expliquer, ils comprenaient et ils nous respectaient », assure-t-il, en insistant bien sur le fait que la population argentine est particulièrement respectueuse. La présence musulmane en Argentine est réputée pour être plutôt bien intégrée.

Certains partent avec leur famille pour suivre des opportunités et commencer une nouvelle vie dans un pays étranger ; d'autres partent pour rejoindre leur futur(e) conjoint(e). C'est le cas d'Ousmane, originaire du Mali et actuellement marié à une Argentine qu’il a rejoint à Córdoba. Son parcours est différent de celui de Salih. Cependant, leurs discours sur la place de l'islam et des musulmans en Argentine se rejoignent.

Suivre l’amour jusqu’en Argentine

Avant de choisir l'Argentine comme destination finale, son aventure sur le continent américain a d'abord débuté à Cuba. « J’ai reçu une bourse pour étudier à Cuba où je suis resté 7 ans. Une fois mes études terminées, je suis rentré travailler au Mali et j’y ai rencontré mon futur beau-père. J’étais son interprète sur place. Par son intermédiaire, j’ai connu sa fille. Voilà pourquoi aujourd’hui je suis ici en Argentine : pour ma femme », confesse-t-il en esquissant un sourire.

Un détail peut immédiatement surprendre. En effet, il n'a jamais rencontré sa femme physiquement avant son arrivée en Argentine au mois d'août 2015. Cinq longues années de relation à distance avant qu'il la voit pour la toute première fois. « Je suis venu en Argentine pour l’amour », dit-il.

Deux semaines avant de se marier, alors que sa famille pensait qu’il avait quitté le Mali pour des raisons professionnelles, il a annoncé à sa mère l'évènement. Seul son frère aîné était au courant depuis le début. « J'ai appelé ma mère pour avoir sa bénédiction », précise-t-il. Dans sa culture, « une fois que l'homme est marié, cela signifie qu'il est responsable et qu’il a moins de risques de faire des erreurs lorsqu'il sera chef » de famille.

Marié à une femme catholique, une question se pose naturellement : les familles ont-elles accepté ce mariage mixte ? « Dans la religion musulmane on dit qu’un musulman a le droit de se marier avec une femme de religion catholique. Cependant, le contraire est difficile. Si une femme musulmane veut épouser un homme catholique, elle va avoir plus de difficultés », explique-t-il. Pour sa part, l’histoire s’est bien passée, d’autant qu’il a choisi de s’expatrier en Argentine. « Si je n’avais pas vécu à Cuba, mon adaptation à la vie argentine aurait sûrement été différente et peut-être moins facile », dit-il.

Une religion méconnue qui suscite des curiosités

« Les Argentins ne connaissent pas la religion musulmane. Voilà pourquoi l'islam attire en général l’attention » des populations locales, fait part Ousmane, confirmant ainsi que l'islam est une religion encore méconnue dans son pays d’adoption. « Il faut constamment donner des explications. Au début, cela me dérangeait de devoir toujours faire comprendre chacun de mes faits et gestes liés à la religion que je pratique, mais finalement je me suis habitué », déclare-t-il.

Si Ousmane parle volontiers de légères contrariétés du quotidien, « jamais on a associé ma religion au terrorisme ici ». Il assure ne pas faire face à un racisme vis-à-vis de la religion qu'il pratique mais plutôt envers sa couleur de peau. Celle-ci lui a valu, à plusieurs reprises, des regards indiscrets et pesants. « Quand je marche dans la rue, c’est ma couleur de peau qui fait parler. Parfois, certains murmurent tout en me regardant », indique-t-il avec un grand calme. Ousmane, faisant toujours preuve d'une grande sagesse dans ses propos et ses actions, assure qu'il ne cherche jamais la confrontation. « Je préfère continuer mon chemin », dit-il simplement.

Une communauté musulmane de taille très modeste à Córdoba

A Córdoba, entre 15 et 40 personnes, majoritairement des Argentins convertis à l’islam, se rendent quotidiennement à la mosquée de Salih. « Lorsque nous célébrons des fêtes, il peut y avoir jusqu'à 100 personnes. »

Depuis toutes ces années passées en Argentine, Salih a pu analyser le passé familial de ceux qui se convertissent à l'islam et en arriver à ses propres conclusions. D'après lui, « à Córdoba et en Amérique latine, en général, la plupart des personnes qui se convertissent ont des origines syriennes ou libanaises. Dans un premier temps, ils réalisent des recherches généalogiques avec leur nom ou celui de leurs grands-parents, puis décident de se convertir » selon leur cheminement spirituel et religieux.

Dans sa mosquée, Salih souligne l'importance du dialogue avant la conversion. Il pose plusieurs questions pour comprendre les raisons et les motivations de la personne souhaitant adhérer à l’islam.

L'étape de la lecture et de la documentation est fondamentale. Pour cela, Salih met des livres à disposition afin que les personnes puissent prendre le temps de connaître la religion. « Si la personne a toujours cette même envie de se convertir, alors le processus de bienvenue à la mosquée commence. Parfois, certains font des recherches pendant au moins un an avant de se convertir. Mais avant tout, je leur dis toujours d’écouter leur cœur. »

Salih mentionne, à de nombreuses reprises, « les médias » comme sources d’une mauvaise interprétation de la religion mais ce n’est pas propre à l’Argentine. Cependant, Internet donne le change en étant, selon lui, un excellent moyen de s'interroger, de s'intéresser et d'approfondir ses connaissances sur quelconque religion. « Chacun doit pouvoir étudier ce qui l'intéresse. Personne ne doit se laisser porter par les informations transmises dans les médias. Chacun doit pouvoir penser et analyser avec ses propres yeux. »

Lors de la conversion, un volet important est à prendre en compte : la famille. Parfois, les réactions des familles ne sont pas toujours positives en raison d'une certaine peur véhiculée dans les médias à l'échelle internationale. « Ils sont effrayés à cause de l'actualité en Syrie ou en Irak. Ils sont préoccupés », affirme-t-il. Malgré cela, toujours ouvert à la discussion, Salih invite tout le monde à s'approcher de sa mosquée pour répondre à toutes les interrogations.

C’est bien en Argentine que Salih se voit vivre encore longtemps. Pour Ousmane, c’est différent. Malgré son intégration et son adaptation à la vie en Argentine, il a le projet de retourner vivre au Mali dans les années qui viennent. Aucune certitude pour l'instant. « Il faut s’adapter à toutes les situations », déclare-t-il. « S'il est favorable pour nous de vivre au Mali, nous irons. Si nous avons des opportunités ici, nous resterons. »

*Selon Pew, l'Argentine compte la plus importante communauté musulmane d'Amérique latine à se pencher uniquement sur leur nombre estimé dans le pays. Néanmoins, en tenant compte du pourcentage de musulmans par rapport au nombre d'habitants, Suriname décroche la première place avec 16 % d'adeptes à l'islam, suivi du Guyana (7 %) et de Trinidad-et-Tobago (6 %).