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« En France, les décisions de l’employeur ne doivent pas être motivées par des considérations religieuses »

Rédigé par lila13@hotmail.co.uk | Jeudi 7 Mai 2009 à 11:07

Décisions judiciaires, recommandations de la Halde…, la religion est un paramètre dont les entreprises doivent de plus en plus tenir compte pour gérer leurs équipes. Patrick Banon, écrivain, chercheur en sciences des religions et conseiller auprès d’entreprises et d’institutions en gestion de la diversité culturelle et religieuse, expose les grands principes à suivre.



Capital.fr : Assistons-nous actuellement à un retour du religieux dans la société ?

Patrick Banon : Le monde se re-sacralise. Avec la mondialisation 200 millions de personnes ont changé de pays et elles sont venues avec leur héritage culturel et cultuel. Avant, nous avions une vision terrienne de la religion : terre d’islam, terres chrétiennes… Aujourd’hui les systèmes de pensées religieuses sont en constante interaction, car ils ne sont plus attachés à un territoire mais portés par des individus.

Capital.fr : De récentes décisions de justice (confirmation du licenciement d’une femme pour le port du voile et sanction d’un recruteur qui avait jugé un candidat sur sa religion) témoigne des difficultés à gérer la question religieuse dans l

Patrick Banon : Les entreprises sont le reflet de la société. Elles sont en première ligne et confrontées à cette multitude de croyance. Or il n’est pas de leur responsabilité de les gérer. Le devoir des employeurs est ne pas contraindre les salariés à transgresser leurs croyances, mais de garantir l’équité entre tous.

Capital.fr : La France est un pays laïc, quelles sont les obligations des entreprises ?

Patrick Banon : Laïc ne veut pas dire disparition des croyances, mais que le code du travail interdit toute discrimination sur la base de la religion. Parallèlement les salariés ne peuvent pas obtenir tous les aménagements qu’ils souhaitent sur ce fondement. L’employeur doit dans la mesure du possible faciliter la pratique de sa religion par un salarié, s’il lui demande par exemple un aménagement de ses horaires ou un jour d’absence pour pratiquer un rite religieux. Mais il peut aussi refuser s’il estime que cela va bouleverser le fonctionnement de l’entreprise. Positive ou négative, dans tous les cas la décision de l’employeur ne doit pas être motivée par des considérations religieuses.

Capital.fr : Qu’en est-il du port de signes distinctifs par les salariés ?

Patrick Banon : L’employeur ne peut en aucun cas imposer une tenue vestimentaire à ses salariés sauf dans le cas où la sécurité ou la tâche l’exige. Cette compatibilité est évaluée au regard de l’intérêt de l’entreprise et du contrat de travail du salarié. Par exemple, interdire le port du voile est illégal, à moins que l’entreprise soit spécialisée dans la vente de la lingerie fine ou de pilules contraceptives.

Capital.fr : La possibilité d’aménager le temps de travail ou d’interdire le port de signes doit elle être inscrite dans le règlement intérieur de l’entreprise ?

Patrick Banon : Certainement pas, une politique globale serait une erreur. Ces questions doivent être gérées au cas par cas sous peine de créer des communautés. La clef pour gérer les problématiques religieuses est de toujours se recentrer sur l’individu. En Grande Bretagne et au Canada par exemple, les siks sont autorisés à ne pas porter de casques sur les chantiers. En Allemagne on peut préciser sa religion sur sa déclaration d’impôt. Cela conduit à constituer des groupes qui entrent en concurrence, puis à des schismes. C’est pour cette raison que le modèle français de la laïcité est à mon sens le seul qui permette une cohabitation équitable. C’est une exception française que nous devrions pouvoir exporter ! Je pense d’ailleurs que l’idée de Yazid Sabeg d’établir des statistiques ethniques est une erreur. Recenser les Français par la différence est un suicide démocratique.

Capital.fr : Comment gérer le cas de personnes ayant des croyances qui n’appartiennent pas aux grands courants religieux, ou appartenant à des sectes ?

Patrick Banon : Il faut faire la différence entre les mouvements marginaux qui ne posent pas de problème et les mouvements sectaires dangereux. Ce sont deux domaines totalement différents. De plus certains groupements peuvent être identifiés comme sectaires en France, mais pas en Allemagne. Dans tous les cas, comme pour la religion, le fait d’appartenir à une secte n’est pas suffisant pour justifier le refus de l’entreprise de répondre favorablement à des requêtes de la personne. L’entreprise n’est pas censée avoir connaissance de cette appartenance. C’est au moment où cela devient un phénomène de groupe qu’il faut tracer la frontière. Il faut gérer des différences, pas des minorités.

Propos recueillis par Anne-Hélène Pommier
Capital.fr